27. Ayah

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Le lendemain, dès sa sortie de la librairie de Gilda, Ayah se dirigea d’un pas précipité, vers le Citadelle. Elle gravit les interminables marches jusqu'à l’entrée. Il n’y avait personne à la porte et celle-ci s’entrouvrit devant ses yeux. Ayah n’y croyait pas. Elle avait le privilège d’entrer dans ce bâtiment légendaire.

Dès qu’elle mit un pas à l’intérieur, elle fut tout de suite frappée par le silence qui y régnait. Les rares personnes qu’elle pouvait apercevoir étaient plongés dans de gros manuscrits, parcourant en silence les lignes d’ancestraux ouvrages. Ayah aperçut un Feis Nona avec un chariot plein de livre se dirigeant vers une pièce sombre et le suivit le plus discrètement possible. Le silence ambiant et l’atmosphère si sérieuse lui donnèrent le sentiment qu’elle ne devait pas faire de bruit.

Lorsqu’elle pénétra dans la pièce sombre, il lui fallut un moment pour s’accommoder à l’obscurité de l’endroit. Puis petit à petit, elle pu apercevoir le plafond haut. Il était entièrement recouvert d’étranges symboles qu’elle n’arrivait pas à déchiffrer. La pièce était noire de livres, chaque mur recouvert par des milliers de manuscrits.

Des inscriptions sur les étagères défilèrent devant ses yeux : Plantes et herbes du monde, Science du corps humain, algèbre, science des astres, philosophie... Elle avança un peu et vit encore : Langues anciennes, Art contemporain, Art pré-contemporain, Arts anciens. Ayah ne comprenait pas le sens de tous ces mots, mais elle était pressée d’en savoir plus. Arrivée au fond de la pièce, un mur entier était dédié à seulement deux catégories : Histoire du Lyis ainsi que Légendes et croyances du Lyis. Si seulement elle connaissait un moyen de lire tous ces manuscrits en un claquement de doigt. Ayah voulait tout apprendre, tout découvrir maintenant et tout de suite.

Elle prit alors quelques livres, dont la légende des Dieux de l’onyx, et chercha un endroit caché où elle pouvait lire sans être vue, puis s’accroupit à même le sol et entama sa découverte du monde.

« Le vieil homme n’arrivait guère à me situer l’époque concernée, pas même vaguement. Il racontait que son père, et son grand père avant ça, transmettait cette histoire de génération en génération.

Il me rapporta qu’il y fut un temps où les Dieux ancestraux vivaient parmi les hommes, où deux lunes jumelles brillaient dans les cieux. Les dieux étaient deux sœurs et un frère. Ils régnaient sur un monde en paix. Le trio céleste était constitué de la Déesse de la Guerre et de la Lumière, sa sœur la Déesse de la Paix et de la Prospérité et enfin leur frère, le Dieu du Chaos et du Feu.

Les dieux, pourtant de puissance égale, ne l’étaient pas dans le cœur de leur peuple. La Déesse de la Guerre et de la Lumière demeurait la préférée des humains, convaincu qu’elle était la plus puissante des trois. Le Dieu du Chaos, jaloux de sa sœur, leva une rébellion qui silla à jamais l’empire des Dieux désormais brisé en deux royaumes.

La guerre entre les deux royaumes fit rage. La Déesse de la Paix, accablée par les horreurs de la guerre, trahie par son frère et sa sœur, fut consumée petit à petit par une violente fièvre. Elle périt peu après dans l’agonie.

Son frère et sa sœur, rongés par les remords, entrèrent dans une rage folle et décimèrent presque l’entièreté de la population dans un cataclysme gargantuesque. Certains humains cependant, sont parvenus à s’enfuir vers des contrées lointaines où ils pouvaient recommencer de nouveau, loin de leur dieux vengeurs et destructeurs. C’est ainsi que la civilisation des humains a failli s’éteindre à tout jamais. »

Ayah ferma le manuscrit, émerveillée par ce qu’elle venait de lire. La légende était effectivement plus complexe qu’elle ne l’avait cru. L’ouvrage ne répondait finalement pas de façon tranchée à la réponse de l’existence de la seconde lune. En y repensant, elle se demandait si cette histoire-là n’était pas la même que celle que leur avait raconté Yasser, le vieux conteur des fêtes de Solstice lorsqu’elle était petite. Un cataclysme ayant détruit le monde des Kaaïns… Devait-elle le croire ? N’y avait-il vraiment plus rien de ce monde ? Pas d’après Raven. Elle tâcherait de faire plus de recherches sur le sujet.

Alors qu’elle était plongée dans un autre ouvrage, Ayah entendit soudain un raclement de gorge. Elle sursauta.

« Je me disais bien que tu serais là. »

Elle se retourna et reconnu le Maître de la citadelle. Ayah était tellement concentrée dans sa lecture qu’elle ne l’avait pas entendu arriver. Il se baissa vers elle et prit le livre qu’elle avait entre les mains.

« Royaume du Lyis : une décennie marquante. 880 à 890 PTP. » lu-t-il. « Ce n’est pas exactement le livre que je t’avais autorisé à lire. »

Elle sentit tous ses muscles se crisper et son ventre se nouer.

« Veuillez m’excuser, j’étais… »

« Étonnant, peu de jeunes gens sont intéressés par la politique de notre cher royaume. » l’interrompit-elle. Il parcourut le livre à la recherche d’éventuel dégradation puis scruta Ayah d’un air curieux. « Depuis combien de temps es-tu là ? »

Son ton était si neutre qu’elle ignorait s’il était en colère ou pas.

« Je ne sais plus, j’ai perdu la notion du temps. »

« Qu’as-tu lu jusqu’à présent ? »

Elle lui cita tout ce qu’elle avait parcouru toute la nuit. La liste était si longue que le vieil homme finit par l’interrompre d’un geste de la main. Il sourit et ses traits s'adoucirent.

« Les manuscrits de cette Citadelle peuvent avoir cet effet. Lorsqu’on est réellement passionné, on s’oublie dans nos lectures, la connaissance et la découverte de l‘Histoire. » Il lui rendit le livre. « Il me semble que je ne t’ai même pas demandé ton prénom. »

« Ayah. »

« Fais-toi discrète, Ayah, n’abime pas les livres et surtout rien ne sort d’ici. Si tu as des questions, je serai au dernier étage de la tour. »

Il se retourna et s’éclipsa entre les étagères des livres. La jeune fille resta sans bouger pendant de longues minutes. Qu’est-ce qu’il venait de se passer ? Elle ne s’était pas attendue à cela. Elle était certaine qu’il allait la jeter dehors ou pire.

Elle inspira profondément et s’en alla contre son grès de la Citadelle. Elle avait malheureusement encore des responsabilités.

Ayah se rendit à la boutique de Gilda. Il était encore tôt ce matin et la vieille dame n’était pas là. Elle n’attendit pas pour commencer son travail. Elle décida de ranger et organiser méticuleusement chaque livre par catégorie et par ordre alphabétique. Elle avait même eu l’idée de confectionner un petit annuaire rassemblant tous les ouvrages qu’elle avait classé. Gilda en serait ravie.

À la fin de la journée, Ayah sortit avec deux pièces d’or dans la poche. Avec ça, elle pourrait acheter de quoi manger pour elle et sa petite protégée pendant deux semaines. Elle se dirigea en vitesse vers la maison abandonnée où elle trouva Raven.

« Ayah ! » Elle courut vers elle et l’enlaça. « J’ai eu si peur ! Où étais-tu ? »

« Je suis désolée, je me suis perdue dans la Citadelle. »

« Oh ! Raconte-moi tout ! C’est comment à l’intérieur ? J’ai toujours voulu voir ça. »

« C’est immense ! » s’exclama Ayah en faisant de grands gestes avec ses mains. « Il y a des rangées de manuscrits qui n’en finissaient pas ! Le plafond est si haut que le voir donne le vertige ! C’est tout simplement splendide ! »

« Et alors, il y a des jouets ? Des jeux de cartes ? »

Ayah s’esclaffa.

« Pas que j’ai remarqué, mais je chercherais la prochaine fois. »

« Et qu’as-tu fais là-bas toute une nuit sans jouets ? »

« Oh… Qu’est-ce que je n’ai pas fait plus tôt ! J’ai découvert des contrées lointaines et des créatures du monde dont je ne connaissais pas l’existence, des histoires fantastiques d’un temps passé. J’ai rencontré des personnages historiques fascinants qui ont changé le cours des choses. »

Raven la regardait, les yeux ronds.

« Tout ça dans la Citadelle ? »

« Tout ça dans les livres ! »

« Ah. »

Ayah rit devant son regard déçu.

« Mais imagine si une lune, on écrivait un livre sur toi et moi ! »

« Oui ! La reine Ayah et la princesse Raven du Lyis… Non ! De Menaskalig ! L’IMPÉRATRICE AYAH ! »

Elles éclatèrent de rire. Ce n‘était pas tout à fait ce qu’Ayah avait en tête.

« Entre temps, l’Impératrice n’a même pas assez de pain pour deux. » dit-elle avec un soupire.

« Ne t’inquiète pas, Roni a dit qu’il avait repéré une taverne où il serait facile de prendre du pain et des fruits une fois par semaine. Il ira avec... »

Ayah ne cessait de penser aux différents thèmes de lecture qu’elle avait encore à découvrir, les sujets par lesquels elle voulait commencer, ceux qu’elle laisserait pour plus tard.

« Hmm… Je vais y retourner. »

« Hein ? Où ça ? »

« La Citadelle. J’ai encore tant de choses à lire. »

Raven baissa la tête, le regard triste. Ayah s’accroupit et releva son visage vers elle.

« Ne t’inquiète pas ma belle, je reviendrai. Je reviendrai toujours pour toi. »

« Maman aussi disait ça. »

Ses mots lui firent office d’un poignard dans le cœur.

« Raven, ma chérie, tu sais pourquoi je ne trahirai jamais ma parole ? » La petite secoua la tête. « Parce que je sais ce que c’est que l’abandon, je ne te ferai jamais subir une telle chose. Rien ni personne ne pourra nous séparer, je ne le permettrai pas. »

Elle essuya les larmes qui coulaient sur le visage de Raven.

« Et si… et si tu étais emprisonnée ? »

« Alors je détruirais la prison et tout le monde avec pour revenir vers toi. Je détruirai toute cette cité s’il le fallait. »

Raven rit.

« Non pas toute la cité… on ne pourra pas être reines s’il n’y a plus de cité royale. »

Ayah éclata de rire et la prit dans ses bras, serrant fort.

« Je vais y aller maintenant, je reviens dès que je peux. »

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