31. Aravel

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Cela faisait un peu plus de 10ans depuis que le Grand-mage avait entendu la prophétie pour la première fois. 10ans depuis qu’il avait entreprit ses recherches de l’être qui pourrait tout changer. Combien de fois avait-il failli abandonner ? Combien l’avaient moqué, avaient remis en question la prophétie ? Enfin, après toutes ses années, ses efforts portaient leur fruit : des centaines de Kaaïns et plus important les Sentinelles, rejoindraient ses recherches. Ce n’était plus qu’une question de temps avant que quelqu’un détecte sa trace. Il n’y avait qu’à espérer qu’elle n’avait pas quitté le Lyis. Une fois un accord trouvé, la foule se dissipa petit à petit dans la forêt.

« Aravel. »

Il se retourna et aperçu Sajil.

« Ah mais qui vois-je là ! Un vieil ours sorti de sa tanière. » Il l’enlaça et tapa son dos vigoureusement. « Je pensais sincèrement que tu enverrais un de tes représentants. »

« Vu la lettre que tu as envoyée, ça semblait important. Puis… Je commence à hésiter à envoyer d’autres personne à ma place, prendre les risques que je devrais prendre. »

« Qu’est-ce que tu racontes ? S’est-il passé quelque chose ? »

« Mon petit fils a été emprisonné. Tour de Xizi. »

« Ruthfoss ? Le gamin que j’ai vu la dernière fois ? »

Sahil acquiesça.

« Oh non, je suis désolé… Sur quelle base l’ont-ils enfermé ? »

« Tu sais, les habituelles bêtises… Ça n’a aucune importance pour eux tant qu’ils mettent tous les Kaaïns en prison. »

« C’est dans ce genre de situation que j’ai envie de hurler en voyant la réaction de Neemah et Bahal… » Aravel secoua la tête. « Mais pourquoi l’ont-ils enfermé dans la prison de Xizi, c’est loin de Yersinia… »

« Justement. Depuis la destruction de la Tour Noire, ils ne prennent plus de risque. Nous n’étions pas censés savoir qu’ils l’avaient emmené là-bas, ce sont les Sentinelles qui m’ont informé… »

« Nous trouverons une solution, comme pour les métamorphes à l’époque. »

Sajil acquiesça.

« C’est bien ce que tu fais là, tu sais. » déclara-t-il. « Rassembler tout le monde, leur annoncer une bonne nouvelle. N’écoute pas Bahal et Neemah, ils ne représentent qu’une minorité de réfractaires. Ton annonce donnera du courage à la majorité hésitante. Tu verras. »

« Je l’espère, mon ami. Comme tu l’avais si bien dit, tout ce qui compte c’est l’espoir. »

« Ah que je suis sage parfois. » Sajil sourit et se retourna. « Il est temps pour moi de repartir dans ma tanière. Comme toujours, restons en contact si des nouvelles se présentent. »

« Comme toujours ! »

« Que l’étoile d’Eya soit avec toi, mon ami. »

Aravel sourit. Il n’avait pas entendu cette salutation du Brahaum depuis très longtemps.

« Que l’étoile d’Eya soit avec toi, mon frère. »

Il hocha la tête et disparu dans les airs.





Quelques temps après la réunion, Aravel se dirigea vers la forêt pour réfléchir, loin des bruits de la cité. Le calme des bois, son air frais, le doux vent faisant bouger les feuilles l’aidaient toujours à se vider l’esprit le temps d’un instant.

« Tu peux sortir, qui que tu sois, je sais que tu es là. » déclara le mage au bout d’un moment, le ton calme.

Une jeune femme apparut dans les pénombres et s’approcha.

« Quel plaisir de te revoir, Aravel. »

Il n’avait jamais vu cette personne avant et pourtant quelque chose de familier se dégageait d’elle.

« Oh, tu ne me reconnais pas ? Je suis vexée. » dit-elle en voyant son regard interrogateur.

Aravel l’observa plus longuement. C'était une belle jeune fille, âgée d'une vingtaine d'années tout au plus. Sa peau de bronze était dénuée d’imperfections et ses cheveux ondulés descendaient presque jusqu'à ses hanches. Son aura était fort étrange mais il n’arrivait pas à discerner de quoi il s’agissait. Puis comme une réponse à sa question muette, sa silhouette se mit à se mouvoir sous ses yeux. Son visage se déforma en quelque chose d’indissociable, de troublant, avant que ses nouveaux traits ne se précisent. Aravel sourit.

« Neïro » murmura-t-il.

Devant lui se tenait désormais une femme aux traits plus matures, les yeux verts en amande. Ses traits banals passeraient facilement inaperçu dans une foule. Ses cheveux noirs bouclés contrastaient fort avec son visage pâle. Aravel jeta un œil sur sa main droite et remarqua une bague en argent avec un symbole indéchiffrable gravé dessus. C’était avec cette apparence qu’il avait originellement rencontré Neïro, une polymorphe de haut rang.

Rares étaient les êtres comme elle qui révélaient leur véritable nature. Leur seule présence rendait instantanément tout le monde anxieux et méfiant. Aravel avait toujours voulu la recruter parmi ses rangs mais Neïro n’aimait pas travailler en équipe. Elle était, en effet, fidèle à ses pairs : toujours fort discrète, peu savaient ce dont elle était capable. Aravel l’avait rencontrée par l’intermédiaire de Frej, il y a bien des années de cela. Ses talents de larron avaient depuis été fort utile à plusieurs reprises.

« Je me demande souvent si tu es dans les parages. »

« Je suis toujours dans les parages. »

Elle avait donc probablement assisté à la réunion. Aravel fouilla dans sa mémoire s’il avait déjà vu la jeune fille dont elle avait pris l’apparence quelques instants auparavant. Avait-elle été là sous d’autres visages ? Il ignorait totalement les limites de ses capacités, combien de visage elle pouvait prendre et pendant combien de temps.

« Ne te fatigue pas, tu sais que les possibilités sont infinies. » Neïro s’approcha et s’assit sur un épais tronc d’arbre mort par terre. « Dis-moi Aravel, pourquoi tiens-tu tant à retrouver cette fille ? »

« Je l’ai déjà expliqué, une personne d’un tel pouvoir peut totalement changer les choses dans cette guerre… »

« Donc ton unique objectif est de l’utiliser pour tes propres fins. »

Il fronça les sourcils, blessé par son accusation.

« Mes propres fins ? Cette guerre qui arrive nous concerne tous. Il n’y a rien d’égoïste dans mes intentions. »

« Il y a de l’égoïsme dans toutes nos intentions, Aravel, sinon elles ne seraient pas les nôtres. »

« Tu sais ce que je veux dire. Mon but est celui de tous. »

« Et quel est ton but exactement ? »

Aravel la regarda longuement, cherchant une indication à ce qu’elle voulait savoir exactement.

« Tu le sais très bien. Je veux la justice pour les nôtres. Pour les Kaaïns. »

Neïro leva les yeux aux ciels.

« Non, je ne t’ai pas demandé ce que tu veux officiellement. Je demande : qu’est-ce que tu veux vraiment ? »

« Quel autre but penses-tu que j’ai en tête ? »

Neïro haussa les épaules. Elle fit tournoyer sa bague entre ses doigts inconsciemment. Aravel avait remarqué qu’elle faisait souvent ça mais n’avait pas encore déterminé ce que cela révélait sur son humeur.

« Voilà mon raisonnement : supposons que la guerre éclate, c’est bien ce que tu veux, oui ? » Aravel acquiesça. « Maintenant imaginons que nous gagnons. Que se passera-t-il après, y as-tu pensé ? »

« Ce qu’il se passera après m’importe peu, Neïro. Tout ce que je veux c’est unir les notre et gagner contre l’injustice que nous subissons depuis bien trop longtemps. »

La polymorphe se leva et s’approcha de lui. Une lueur étrange passa sur ses pupilles, comme si pendant un bref instant, ces yeux avaient changé de couleur, allant du bleu au gris presque noir. Était-ce là sa véritable apparence qui ressurgissait momentanément ? Aravel savait que les polymorphes moins puissants n’étaient pas capable de maintenir l’illusion pendant trop longtemps. Neïro était hors norme dans le contrôle de sa Lunsor si bien qu’Aravel ne l’avait jamais vu ne serait-ce qu’osciller accidentellement d’apparence. Alors qu’avait-il vu là ?

« Le problème, Grand mage, c’est qu’il va falloir y penser. Tu ne peux pas te jeter dans une guerre sans réfléchir au long terme. »

« Au lieu de tourner autour du pot, Neïro, dis-moi ce que tu veux. »

« Si nous gagnons cette guerre, il devra y avoir quelqu’un à la tête. Et je ne vois aujourd’hui que deux éventualités, deux dirigeants possibles : Toi ou Neemah. Le problème vois-tu, c’est que je ne l’aime pas la vieille Sahira. Elle ne m’inspire guère confiance. »

Aravel écarquilla les yeux. ‘‘La vieille Sahira’’ ? Personne ne savait ce qu’était Neemah. Les Sahiras étaient des sorcières de haut rang, capables de puiser leur pouvoir du monde des démons. On les croyait disparues, anéanti il y a des millénaires durant la Guerre des Damnées. Mais Neemah était effectivement d’une puissance époustouflante, plus encore que les autres Kaaïns de haut rang qu’il connaissait. Mais comment aurait-elle pu savoir qu’elle pouvait en être une ?

« Toi, en revanche, je sais que nous pouvons travailler ensemble. » continua Neïro. « Alors voilà ma proposition : si nous nous lançons dans cette guerre, je me joindrais au combat à tes côtés mais seulement si tu m’assures que tu ne laisseras pas la Sahira prendre le pouvoir. Seul toi possède l’autorité et les alliés suffisants pour cela. »

Aravel l’observa, pensif. Neïro n’avait aucune idée à quel point le pouvoir ne l’avait jamais intéressé, contrairement à ce que pensait probablement tous ses opposants. Mais sa proposition était alléchante ; il avait toujours voulu voir la polymorphe dans ses rangs. Ses capacités étaient uniques et pouvaient s’avérer fort utiles.

« Je ne peux pas t’assurer quoique ce soit sur ce qu’il se passera après la guerre. Je ne peux même pas être certain que nous en sortirons vainqueurs. »

« L’Oracle ne se trompe jamais, n’est-ce pas ? »

Aravel fronça les sourcils. Neïro n’avait pas l’air d’être le genre à croire facilement sans preuves tangibles. Savait-elle quelque chose qu’il ignorait ?

« Je te laisse y réfléchir. A bientôt, Aravel »

À peine eut-elle fini sa phrase qu’elle transplaça. Aravel resta là, fort perturbé par ses paroles. Il n’avait jamais songé à prendre le pouvoir. En fait, il n’avait même pas pensé à son futur au-delà de la guerre. Pour lui, celle-ci serait son ultime bataille. Il était trop vieux et l’armée devant eux, trop grande. De plus, la prophétie, l’entièreté de la prophétie, le hantait toujours. Désormais, un nouvel espoir naquit dans son cœur : et si c’était possible ? S’ils gagnaient vraiment la guerre, qu’adviendrait-il de leur cause ?

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