39. Ayah
Quelqu’un frappa à la porte, la faisant sursauter. Ayah était tellement plongée dans le Journal du dragon bleu qu’elle en oublia où elle était. Un Feis Nona entra et lui annonça que le prince l’attendait à l’entrée de la Citadelle. Le prince ? Il lui fallut un moment pour comprendre de qui il parlait. Samaël. Elle oubliait constamment qui il était. Pour elle, il n’était rien d’autre que ce garçon qu’elle avait sauvé il y a des années de cela. Il ne pouvait pas être le prince.
Ayah s’aperçut des répercussions que cette rencontre pouvait avoir : si Samaël découvrait ce qu’elle était, s’il se souvenait de ce qu’il s’était passé, ce serait fini pour elle. Mais il était peu probable qu'il se rappel de quoique ce soit ; c’était il y a longtemps et il avait été si affaibli par le poison. Et puis… Qui refuserait une amitié avec le prince, le futur Roi ? Un tel allié , ça en valait le risque. Elle devait se rapprocher de lui. Personne ne touche aux amis du prince héritier.
Elle sortit donc en vitesse du château et retrouva Samaël avec trois de ses amis ; une charmante jeune fille à l’air sévère et deux garçons. Un d’eux était presque aussi grand que Samaël, il était blond avec de grands yeux marrons. L’autre était de taille moyenne, le teint plus mat que ses amis, ses cheveux mi-long bruns cachant une partie de son visage.
« Ayah, je te présente Lira, Baron et Keelan. Milo et Katerina nous rejoindront plus tard. »
Ayah acquiesça et leur sourit. Lira lui rendit son sourire tandis que le grand blond, Baron, l’observait longuement, la mettant mal à l'aise. Keelan lui, hocha la tête puis détourna le regard.
« Tu es la fille du Brahaum, c’est ça ? » demanda Baron.
Ayah acquiesça, espérant que personne ne remettrait en question cette information. Il continua de la dévisager comme si une deuxième tête allait surgir de ses épaules à tout moment.
« Est-ce vrai ce qu’on raconte ? Que votre reine est si enragée qu’elle a une fois fracassé la tête d’un homme parce qu’elle était mécontente de lui ? »
Ayah fronça les sourcils.
« Je n’ai jamais entendu cela. Certainement, les gens aiment exagérer les histoires. »
« Elle a raison, n’écoute pas ce que les soldats racontent » répliqua Keelan. « Les rumeurs se colportent plus vite que les faits. Nous n'avons pas assez de sources fiables relatant ce qu'il se passe au delà de nos frontières. »
Lira lança un regard en colère vers ses amis, puis se retourna vers elle et sourit.
« Je suis certaine que Samaël n’a pas prit la peine de te dire que tu es la bienvenue dans ce Royaume, et parmi nous. »
Ayah la dévisagea, étonnée par son ton si chaleureux. La gentillesse de ses paroles la prit de court et elle ne sut quoi dire. Elle se contenta d'hocha la tête et de sourir, timidement.
Ils se dirigèrent rapidement vers un quartier plus loin des rues les plus populaires et les plus animés de la cité.
« Où allons-nous ? »
« Au village de Condort. » répondit Keelan.
« Je connais tous les moyens de sortir de la cité sans que les gardes ne s’en aperçoivent. » commenta Samaël devant le regard admiratif d'Ayah.
L'énorme muraille entourant la cité était elle même encerclait par une deuxième muraille, encore plus haute. Entre les deux, passait un large court d’eau prenant source de la mer blanche. La cité était en fait comme une île entourée de muraille. Il y avait onze portes en plus de la principale, mais toutes étaient gardées par des patrouilleurs et des soldats de l’armée.
Ils arrivèrent devant une taverne discrète à la bordure est de la cité. Samaël entra, suivit par Ayah et les autres. Il salua le propriétaire qui lui sourit en retour et se dirigea derrière le comptoir. Samaël ouvrit une porte donnant sur les cuisines de la taverne. Ayah le suivait sans mot, impressionnée par sa connaissance de la cité.
Ils arrivèrent à l’arrière de la taverne puis le prince se baissa pour ouvrir une vieille trappe en bois révelant ce qui semblait être une cave. Là, étaient gardés les élixirs à l’abris du soleil et de l’humidité. Samaël se dirigea au fond de la pièce et avec l’aide de Keelan et Baron, il poussa un énorme placard en bois anciens, laissant apparaître une porte. Elle s’ouvrait sur un long tunnel obscur.
Le prince prit une torche et s’avança dans le tunnel.
« Ce passage aurait été construit il y a des siècles, lorsque les Kaaïns régnaient encore sur ces terres. » raconta Samaël en réponse à son regard interrogateur. « Nos ancêtres l'auraient utilisé pour faire sortir et entrer toutes sortes de choses. »
« Je n’avais jamais entendu parler d’un autre moyen d’entrer dans la cité que par ses portes. » répliqua Ayah. « J’ai pourtant lu beaucoup de chose sur Lyisstad. »
« Ha, ce n’est pas le genre d'information qu’on trouve dans les livres d’histoire. » répondit Baron avec clin d’œil.
« Comme si tu savais quelle genre d'information on trouve dans les livres d'histoires. » se moqua Samaël.
Ils marchèrent longtemps et arrivèrent enfin au bout du tunnel. Il y avait là une grosse porte faite d'un métal qu'Ayah reconnu instanténment : c’était du Lancère. Il était clair que ce passage n’était pas fait pour les Kaaïns. Samaël lui tendit la torche et sortit une grosse clé de sa poche pour ouvrir la serrure. Ils sortirent du tunnel et Ayah prit grand soin de ne pas toucher la porte. Elle espérait qu’aucuns n’avaient remarqués son mouvement bizarre.
« Bienvenu dans le village de Condort » dit Samaël en tendant les bras, montrant le village des mains.
Ce qu'elle avait sous les yeux desormais ne ressemblaient en rien aux villages qu'elle avait connu, bien plus vaste, bien plus propre. Ici, la plupart des travailleurs de la cité royale habitaient le plus souvent, les maisons de Lyisstad devenues bien trop couteuses. Les rares parcelles de terres encore libres dans la cité royale étaient d'autant plus inaccessibles.
Ils arrivèrent devant une taverne joliment décorée par des petites lumières multicolores, un aspect quelque peu excentrique pour les gouts habituellement sobre de la cité.
« Voici le Rikusentar, sans doute la meilleure taverne du royaume ! » s’exclama Baron.
« Et ma préférée. C’est moi qui leur ai fait découvrir cet endroit. » ajouta Samaël.
« Tu aimes bien le rappeler à toutes les personnes qu’on rencontre, hein vantard ! »
« Oui, le petit prince peut être un peu prétentieux par moment » dit Keelan, tout sourire.
Lira le tappa sur la nuque, le prenant par surprise, devant l’hilarité général.
« Laissez-le tranquille ! »
Ayah les observait, amusée, alors que Samaël lancer un regard gratifiant à Lira. Ils entrèrent dans la taverne bruyante et s’assirent dans une grande table vers l’arrière, visiblement réservée pour eux. Un violoniste et un homme en tambour chantaient aux rythmes de mélodies traditionnelles de Lyis, lui rappelant les fêtes de solstice. Au moins, l’ambiance lui était familière.
Le tavernier semblait parfaitement les connaître puisqu’il n’attendit même pas leur commande que l’élixir arriva déjà à leur table. Ayah écarquilla les yeux en voyant l’énorme gobelet transparent devant elle. Le breuvage était bleuté, chose qu’elle n’avait jamais vu, l’élixir étant habituellement d’un marron sombre.
« Cet élixir s’appelle le Rikusentar, c’est une spécialité concoctée par cette taverne. » expliqua Keelan.
« Goûte, tu verras, c’est merveilleux ! » affirma Samaël.
Tous burent d’une traite leur gobelet alors qu'Ayah pavenait à peine à prendre le sien dans ses mains. Le verre était trop lourd pour le souveler d’une seule. Elle prit finalement une gorgée. La boisson avait un arrière-gout sucré subtil, presque mielleux, loin de l'amertume habituelle des élixirs qu'elle connaissait.
« Oh, c’est bon ! »
Les gobelets s’enchainèrent mais elle préféra ne pas en rajouter. Ayah devait rester plaibement consciente de toutes ses paroles et gestes. Cette soirée était très importante. Elle voulait à tout prix être appréciée par Samaël et ses amis et pour ça, elle devait faire attention.
« Vous êtes tous de Lyisstad ? »
Lira et Baron acquiescèrent.
« Ma famille et celle de Baron sont de très anciennes familles de Lyisstad, respectivement les Yunkar et Golovir. »
Ayah fronça les sourcils un instant. Elle avait effectivement déjà entendu ces noms de famille mais ne savait plus d’où. Keelan se pencha vers elle.
« J’étais également confus en arrivant à la cité Royale et en entendant tous ses noms de famille. Pour information ; Indra Yunkar, plus connue sous le nom d’Impératrice déchue, était la dernière impératrice de Menaskalig. Baron Golovir, Ier de son nom, était le bras droit de Samaël le Conquérant, le premier Roi de Lyis. Comme tu vois, peu de choses ont changé en mille ans. »
Ayah eut un petit rire mais en réalité, elle s’apercevait avec effroi, à quel point elle était étrangère dans ce groupe d’amis aux familles légendaires. Elle, n’était personne, seulement une petite fille que sa mère avait abandonnée, qui avait grandi dans un pauvre village de pécheur.
« Je vois, effectivement. Et toi, d’où viens-tu ? »
« Un petit village que tu ne connais probablement pas du nom de Turgay. Mon père était un boucher. »
Un autre garçon et une fille les rejoignirent au bout d’un moment. Ayah supposa que le garçon était de l’est au vu de son teint plus mate, comme Keelan. La fille elle, ressemblait quelque peu à Lira, mise à part ses cheveux coupés plus court. Samaël montra les nouveaux arrivant de la main :
« Ayah, voici Milo, et Katerina. Les amis, je vous présente Ayah. »
Katerina hocha la tête et but d’une traite le gobelet d’élixir qui arriva. Le garçon lui sourit et prit sa main pour y déposer un baiser.
« Enchanté. »
« Ayah demandait si nous venions tous de Lyisstad. » déclara Keelan.
« Ah, je suppose que tu as déjà eu droit à la leçon d’histoire sur les célèbres Yunkar et Golovir. » déclara Milo.
Ayah acquiesça avec un petit rire.
« Alors laisse-moi t’impressionner un peu : mon père était aussi un guerrier légendaire. Il a combattu de nombreux grands adversaires dont les noms furent effacés des livres d’histoires après leur défaite cuisante. »
Elle remarqua que Lira et Katerina levaient déjà les yeux aux ciels tandis que les garçons se tordaient de rire.
« Hmm... Connais-tu leur nom alors ? » demanda-t-elle.
Milo passa le bras derrière elle, et leva son autre main, décrivant les mouvements d’un glorieux combat.
« Seulement des rumeurs. Il y avait Geneviève la féroce poule rousse, Rodolph l’abominable coque brun et enfin Gertrude, la cruelle vache de l’est. »
Ayah rit, voyant que les autres étaient en train de pleurer de rire. Au bout d’un moment, Milo recula et baissa la tête en signe de respect.
« Excuse-moi, c’est une bien fâcheuse façon de se présenter, mais comme tu peux le voir, ils adorent entendre cette histoire. » Il pointa du doigt ses amis. « Je viens d’un village de l’est du nom de Lingard. Mon père était un berger. »
Tous allèrent danser dans l’espace ouvert sauf Ayah qui resta à l’écart.
« Pas trop perdue ? » Demanda Keelan en s'approchant.
« Un peu. » répondit-elle sincèrement.
Elle sourit et remarqua qu’il n’arrivait pas à la regarder longtemps dans les yeux.
« Ah mais ne t’inquiète pas. » dit-il en fixant intensément son verre. « Je sais ce que tu penses ; que tu n’as pas ta place parmi nous, toi qui viens de si loin. Mais comme moi, ils ne se soucient guère d’où tu viens. Tu es notre amie maintenant. »
Ayah le dévisagea, touchée par ce qu’il disait. Était-il sincère ? Il venait à peine de la rencontrer. Quelque chose clochait, c’était trop facile.
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