45. Yersinia, Royaume du Lyis
Une cavalière vêtue d’une longue cape encapuchonnée, arriva à la cité de Yersinia. Il faisait nuit, mais les lumières de la cité étaient visibles à des centaines de pas. Elle entra dans la cité et continua précipitamment dans les ruelles encore remplies de monde, principalement des personnes saoules sortant des tavernes.
« J’espère que le commandant sera là. Je l’espère. »
Elle accéléra en direction de l’atelier. C’était un endroit secret où pouvait se réfugier des Kaaïns venues de toutes parts. Ils les aidaient à se cacher, créer une nouvelle identité, une nouvelle vie. Le combat des siens était quotidien ; leur simple existence constituait un crime.
Elle arriva enfin à destination. Elle descendit de son cheval et entra dans l’atelier. On y vendait toute sorte de matériel de bricolage. La jeune femme salua rapidement le vendeur qui hocha la tête lui ouvrit une porte au fond du magasin. Elle arriva dans ce qui semblait être un débarrât. Elle déplaça des chaises, tables et d’autres objets posés sur le sol puis s’accroupit pour tirer sur une poignée encastrée dans le sol. Une large trappe en bois se souleva, laissant apparaître un couloir sombre qui menait vers des caves souterraines.
La jeune femme pénétra dans le couloir et ferma la trappe derrière elle. Plus s’enfonçait dans ce long couloir, plus les voix de conversations lointaines commençaient à devenir perceptible. Certaines semblaient en colère, effrayées, d’autres avaient un ton rassurant. Les mots devinrent clairs et la jeune femme ne reconnut pas leur accent fort, presque incompréhensible ; de nouveaux réfugiés sans doute. Ils pourraient venir de n’importe où dans le monde.
Au bout du couloir, elle aperçut enfin un groupe d’hommes et de femmes accompagnés d’enfants, discutant avec un homme âgé aux cheveux grisonnants. Elle attendit sagement qu’il tourne le regard vers elle puis lui fit signe. Il annonça quelque chose au groupe dans une langue qu’elle ne comprenait pas et se dirigea vers elle.
« Bonsoir Rita, dois-je m’inquiéter ? »
« Pas du tout, commandant Sajil. J’ai de très bonne nouvelle. »
« Parfait, je te rejoins dans un moment dans mon bureau. »
Elle pivota et se dirigea vers une petite pièce plus loin. Elle ouvrit la porte et s’installa sur une chaise, attendant patiemment le commandant. Le bureau était simple: une table, quelques chaises, de nombreux livres, des cartes un peu partout, rien d’extravagant.
« Rita ! » entendit-elle derrière elle.
Elle reconnut tout de suite ce roulement des R. Rita sourit et se retourna pour apercevoir sa copine, Nahia, un large sourire aux lèvres. Rita se leva pour la saluer, heureuse de la voir. La petite taille de Nahia était trompeuse car sa force était démesurée. Si bien que lorsqu’elle enlaça Rita, celle-ci faillit s’étouffer. En la voyant en difficulté, Nahia éclata de rire.
« Un cycle lunaire sans me voir et tu veux déjà m’assassiner ? Je t’ai à ce point manqué ? » s’exclama Rita.
Elles rient toutes les deux de bon cœur. Nahia venait d’Olorùn, un territoire lointain, « loin, plus au sud que le sud des Terres Sauvages » disait-elle toujours. Elle parlait peu de ses origines mais Rita avait rapidement compris qu’il ne valait mieux pas aborder le sujet. La seule fois où un malheureux jeune garçon, un paladin du nom de Driss, avait osé poser des questions, il s’était retrouvé une jambe cassée et couvert d’hématomes. Dire que Nahia avait le tempérament chaud était un euphémisme.
« N’avais-tu pas mission à Lyisstad, dit ? » Demanda Nahia, en prononçant difficilement le mot ‘‘Lyisstad’’. Elle avait souvent du mal à dire la lettre ‘‘L’’ et de manière générale.
« J’en reviens. J’ai des informations qui pourrait être utile. »
Nahia sourit.
« Toi toujours avoir informations utiles. Toi avoir le flaire, comme bon petit métamorphe »
Rita lui lança un regard outré
« Un bon petit métamorphe ? Tu m’insultes maintenant ? »
Nahia éclata de rire.
« On se moque, on se moque, mais il faut avouer, je apprécie bien le tigre là. »
« Souli ? »
Ils avaient tous les deux assistés à la réunion organisée par Aravel à la forêt des mages, il y a plusieurs cycles lunaires de cela, aux côtés du commandant Sajil. Elle aimait assister à ces réunions, lui rappelant qu’ils n’étaient pas seuls dans ce combat acharné.
« Oui, oui, lui. Il pas avoir froid aux yeux. Il dire ce qui pense même si ça pas plaire à autres. »
« Ce n’est pas faux. »
« Et puis, il avoir raison le tigre. Les humains, ça se casse facilement, hein. On devrait pas ‘voir peur de affronter eux. »
Rita acquiesça.
« Et bientôt, nous les affronterons. Des nouvelles du côté de l’île Invisible ? »
Elle avait appris depuis peu qu’un nouveau bastion de Kaaïn s’était créé aux larges de la Mer d’Hyros, à l’est du Royaume de Lyis, sur une île invisible à l’œil humain.
« Tout le monde préparer pour guerre. Nos nombres grandissent de lune en lune » répondit Nahia, la voix pleine d’enthousiasme.
« J’ai entendu que des Kaaïns du royaume du Cricks se sont joint à nous. »
Nahia acquiesça. Elle tapota l’épaule de Rita et s’exclama, triomphale :
« Guerre à nos portes, Victoire à notre portée ! »
Le commandant Sajil arriva quelques minutes plus tard. Nahia l’enlaça pour lui dire au revoir et s’en alla. Rita la suivit longuement du regard jusqu'à ce qu’elle disparaisse à travers le couloir.
Le commandant ferma la porte derrière lui.
« Je vous écoute » dit-il en s’asseyant devant elle.
« Comme vous le savez, j’étais assignée à la cité royale récemment. Il y a maintenant quelques lunes, j’ai senti une nouvelle aura de Lunsor, très puissante, dans les rues de la cité. Elle est apparue soudainement. »
« De la transplation, probablement » répliqua le commandant.
« Possible, ou des symboles d’anti-Lunsor qui pourraient bloquer son énergie aussi. Je ne peux pas être certaine qu’il s’agisse de la fille que vous cherchez, mais ce que je peux vous dire c’est que sa Lunsor est… je n’ai simplement jamais senti ça avant, commandant. »
« Où avez-vous perçu sa trace en premier ? » Demanda Sajil.
Il sortit un parchemin et se mit à écrire rapidement.
« Dans les alentours de la Citadelle. »
« Où en dernier ? »
« Dans une boutique d’arme. Je pense que la vendeuse sait quelque chose. Je sais que la fille était dans la boutique quelques secondes avant que je n’entre, mais la vendeuse n’a pas été coopérative. Elle avait la main sur son épée, prête à attaquer. »
« Pensez-vous qu’elle la protégeait ? »
« C’est possible. Cependant, il serait aussi probable que la fille ait transplacé juste avant que j’entre dans le magasin et que la vendeuse ne l’ait réellement pas vue. »
Le commandant continuait d’écrire.
« Si elle sait réellement transplacer, il est déjà possible que la fille soit bien loin. » affirma le commandant sans lever les yeux de son parchemin. « Mais c’est une piste. Interrogez la vendeuse. Pensez-vous qu’elle peut poser problème ? »
« Je ne risquerais pas de l’appréhender seule. C’est une Kaaïn, à première vue, je dirais de bas rang voir Alunsi, mais elle possède une boutique d’arme. Il faut s’attendre à ce qu’elle sache se défendre, mais avec un peu d’aide, ce serai parfaitement possible. »
Le commandant acquiesça.
« Aravel a donné des ordres pour la retrouver coûte que coûte, alors nous ferons le nécessaire. Je l’informe de ces nouvelles et vous enverrai des hommes. Cependant, gardez en tête qu’il est impératif que nous soyons discrets dans nos actes. »
« Puis-je proposer Nahia pour m’accompagner ? »
Sajil s’arrêta net d’écrire et leva les yeux vers elle.
« M’as-tu entendu ? Le but est d’interroger la vendeuse d’arme, pas de la couper en petits morceaux ! »
Rita sourit, amusée par sa réaction.
« Je sais bien mais Nahia peut être fort persuasive… »
« Fort persuasive et fort bruyante. J’ai dit que je voulais de la discrétion. »
« Nous sommes parfaitement capable d’être discrètes… »
Le commandant leva la main, et elle se tut. Il finit de signer son papier et roula le parchemin dans sa main.
« Vous en êtes capable Rita, pas Nahia. Écoutez, vous pourrez passer tout le temps qu’il vous faudra avec votre chérie après cette mission. Mais je ne prendrais pas de risque maintenant alors que nous sommes si proche du but. Je vous enverrai le nombre de Kaaïns nécessaire pour faire les choses correctement et sans bruit. »
Le commandant quitta la pièce sans dire un mot de plus, laissant une Rita en colère derrière lui.
Annotations