48. Aravel

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Depuis quelques lunes, les réfugiés affluaient, en masse. Ils venaient du Royaume de Cricks. Quelque chose s’était produit. Ils racontaient qu’un cycle lunaire auparavant, une créature monstrueuse avait surgi des vastes canyons sombres à la frontière entre le Royaume de Cricks et les Terres sauvage et avait détruit deux villages entiers. Depuis, les soldats du royaume ratissaient les cités et les villages, emprisonnant toutes les personnes suspectées d’être des Kaaïns, à la recherche de cette créature. Les exécutions se multipliaient. Certains rapportaient que des forêts entières avait été décimé par les soldats car on pensait qu’elles abritaient des Kaaïns. Tout le monde était terrifié.

Aravel accueillait la plupart de ces réfugiés dans la cité d’Adryana. Il leur donnait à manger, à boire, un abri où ils pouvaient dormir, de nouvelles identités. Et lorsqu’il ne pouvait pas les aider tous, il les envoyait vers d’autres villages ou cités où des alliés accueillaient les réfugiés. Les histoires qu’on lui racontait étaient terribles. Nombres de ces réfugiés avaient perdu leurs familles, leurs enfants. Certains étaient parvenus à fuir ensemble. Tous n’avaient pas survécu au voyage car la plupart ne savaient pas transplacer.

Dans la foule de réfugié, il aperçut Frej au loin. Il était parti pendant plusieurs semaines, traquant sans succès la fille qu’ils recherchaient. Étrange qu’il soit déjà de retour.

« Des nouvelles ? » demanda Frej en s’approchant.

« Rita ne t’a rien dit ? »

Il fit non de la tête.

« Ta sœur pense avoir repéré la fille dans la cité royale. »

Frej fronça les sourcils.

« J’espère qu’elle sait ce qu’elle fait. C’est très risqué de s’aventurer à Lyisstad surtout maintenant avec la visite imminente du prince de Cricks. » répliqua-t-il, inquiet.

« Ah j’avais oublié qu’il arrivait bientôt... » affirma Aravel, pensif. « Puis, c’est la deuxième fois qu’elle se rends dans la cité Royale en plus. »

« Elle doit connaître quelqu’un là-bas, c’est la seule explication. Que comptes-tu faire maintenant ? »

« Le commandant Sajil compte envoyer des Kaaïns pour en savoir plus dès que nous avons mis au clair la situation avec les réfugiés. Il enverra les meilleurs de ses soldats et ils sauront rester discrets. Rita sera parmi eux. »

Frej acquiesça et resta silencieux. Il était probablement inquiet pour sa sœur. Aravel l’était aussi. Ce n’était pas le meilleur moment pour qui que ce soit d’entrer dans la cité Royale.

Un jeune homme qu’il n’avait jamais vu passa devant eux, jeta un regard bref vers lui, et continua son chemin. Désormais, Aravel se demandait toujours si Neeko était quelque part, en train de l’épier. Il ne l’avait plus revu depuis leur conversation dans la forêt des mages.

« Je regrette déjà ma décision d’avoir pris Neeko dans nos rangs. J’ai l‘impression de la voir partout. »

Frej rit et tapota sur ses épaules, d’un air rassurant.

« Crois-moi, mieux vaux qu’elle soit de notre côté. Puis, elle n’a pas de raison de nous jouer des tours. Elle veut la même chose que nous tous : gagner cette guerre. »

Aravel lui lança un regard incrédule. Gagner cette guerre, détruire Neemah, pousser Aravel au pouvoir… Qui sait ce qu’elle avait réellement en tête.

« Comment peux-tu en être si certain ? »

Frej sourit d’un air malicieux.

« Parce que je la connais mieux que tu ne le crois. »

Aravel fronça les sourcils. C’était vrai que Frej avait été celui qui l’avait introduit à Neeko, mais il n’avait aucune idée d’où il la connaissait, ni depuis combien de temps.

« Et de ton côté, du nouveau ? » demanda Aravel.

« Je ne sais pas si tu es au courant : Irène est de retour. C’est pour ça que je suis revenu ici en vitesse. »

« QUOI ? »

« Des hommes de Neemah l’auraient retrouvé il y a quelques lunes, inconsciente, près du voile, non loin de Randar. »

Aravel sentit ses jambes le lâcher. Il s’assit sur le premier banc qu’il trouva.

« Ce n’est pas… Comment ? Ils sont sûr que c’est elle ? Elle est vivante ? »

Frej soupira.

« Je… oui, on peut dire ça. On m’a appelé hier pour les aider à la soigner comme on peut. Elle est revenue figée dans une métamorphose. »

Avait-il bien entendu ? Son Irène ? Il sentit la plaie dans son cœur se rouvrir à nouveau. Il se voyait projeter de nouveau à ses funérailles il y a dix-huit ans de cela. Il faisait encore des cauchemars de sa petite protégé perdue seule de l’autre côté du Voile.

« L’as-tu vu de tes propres yeux ? Lui as-tu parlé ? »

« Oui je l’ai vu. C’est... elle ne réagit pas quand on lui parle. Son regard est vide. Qui sait quelles horreurs elle a vu de l’autre côté. »

Aravel le dévisagea, encore abasourdie par une telle nouvelle. Personne ne revenait jamais du voile. C’était une condamnation à mort. Il avait fait le deuil, difficilement, mais il avait passé le cap. Il s’était résolu à continuer le travail qu’ils avaient commencé ensemble car il savait que c’était ce qu’elle avait voulu. Chaque solstice d’hiver, il allait se recueillir près de l’arbre désormais grand et vigoureux qu’ils avaient planté pour elle lors de ses funérailles. Il n’y croyait pas. Comment avait-elle fait ? Comment était-ce possible ?

« Souli doit être plus qu’heureux de revoir son épouse. » affirma Aravel.

« Tout comme le reste de leur communauté. Leur chef est de retour parmi les morts, qui l’aurait cru ! »

Il sourit.

« Si quelqu’un peut revenir du voile, c’est bien elle. Irène a toujours été une croyable combattante… et qu’est-ce qu’elle était têtue… »

« Clairement, elle l’est toujours ! »

Frej s’esclaffa mais Aravel le regarda d’un air troublé. ‘‘Elle l’est toujours’’. Pendant des années, il avait continué à parler d’elle au présent, à chaque fois il devait se rappeler de la triste réalité.

« Tu peux aller la voir… »

Frej s’interrompit. Il avait dû voir son regard alarmé. Aravel sentit son cœur s’accélérer. Une partie de lui aurait voulu transplacer instantanément vers la forêt de Dzinka mais quelque chose le retenait.

« Elle a probablement besoin d’un peu de temps. J’irais quand elle ira mieux. »

La réalité était qu’il était terrifié de ce qu’il trouverait s’il allait la voir. Si elle n’était plus elle-même, il devrait faire un nouveau deuil. Il ne voulait pas. Pas tout de suite. Sa petite Irène était de retour et c’était tout ce qu’il avait besoin de savoir. Frej hocha la tête et ne dit rien de plus. Il lui en était reconnaissant. Il avait toujours cette capacité presque surnaturelle de le comprendre mieux qu’il se comprenait lui-même parfois. Il était si chanceux de l’avoir dans sa vie.

La foule de réfugié ne faisait qu’augmenter. Aravel ignorait ce qu’il se passait exactement, mais il avait encore et toujours le sentiment que tout ceci était lié d’une façon ou d’une autre

« J’ai vu des réfugiés venant du royaume de Cricks à la cité de Mirad aussi. » affirma Frej en arrivant. « As-tu entendu les histoires ? Une créature a dévoré tout un village »

« Serait-ce une histoire inventée simplement pour avoir une bonne raison de massacrer tous les Kaaïns ? »

« Non, la créature est réelle. Les membres de la famille avec qui j’ai discuté m’ont dit qu’ils l’ont vu de leurs propres yeux. C’est arrivé la nuit mais ils étaient tout près. La créature s’est approchée d’eux et les a épargnés. Ils pensent qu’elle ne voulait s’en prendre qu’aux humains. Ils m’ont décrit une créature terrifiante. Ils ont pensé que c’était un démon. »

Aravel l’écoutait, abasourdi. C’était effrayant. Quelque chose se préparait, quelque chose de sombre. Il pouvait sentir que l’air avait changé. La prophétie, cette créature surgissant de nulle part, Irène revenant du Voile… ça ne pouvait pas être une coïncidence. Il était aussi toujours persuadé que la lueur qui était apparue il y a presque vingt-an de ça, au-delà du Voile des Âmes Perdues, n’était pas une coïncidence non plus. C’était un signe. Certains pensaient qu’il était de fou d’y voir un lien.

« Si c’était un démon, ils ne seraient pas en vie pour le raconter. » répliqua Aravel.

Frej acquiesça. Les démons n’étaient pas de ce monde. On disait qu’ils vivaient dans leur propre réalité, impénétrable, totalement séparé de celle des humains et des Kaaïns. Ils ne pouvaient entrer dans leur monde que lorsqu’on faisait un pacte avec un démon, et personne n’était suffisamment fou pour faire une chose pareille. Ils dévoraient tout sur leur passage. C’étaient des créatures impitoyables qui ne répondaient à rien d’autre que le chaos et la mort. Cette créature-là n’en n’était certainement pas une. Elle avait épargné les Kaaïns.

Aravel leva les yeux vers Frej.

« Penses-tu que nous pourrions convaincre une telle créature de se joindre à nous ?»

« Qu’est-ce qu’il te dit qu’on sera capable de simplement communiquer avec ? »

Aravel resta pensif. C’est vrai qu’il ne pouvait même pas être certain de cela.

« Détruire un village entier d’humain et n’épargner que les Kaaïns, ça ne peut être qu’intentionnel. »

Frej haussa les épaules.

« On pourrait essayer… »

Aravel comprenait son hésitation cependant. Il demanderait à ses hommes d’interroger les réfugiés et de recueillir tous les témoignages qu’il pouvait sur cette créature.

« Aravel. »

Il se retourna et aperçut un de ses hommes, Nizar, un mage de la communauté de Kaaïn de la cité de Dazoç.

« Le commandant de l’Ordre des Sentinelles est là, il veut te parler. »

Aravel fit signe à Frej de le suivre.

« Dis, est-ce vrai ce qu’on dit, que même Asahi et Ly ne connaissent pas son véritable nom ? »

« Elles sont peut-être bannies de l’ordre, ça ne veut pas dire qu’elles sont prêtes à trahir tous ses secrets. »

« Ha ! » Frej s’esclaffa. « Toujours aussi mystérieux ces sentinelles. »

Aravel sourit. Mystérieux était un euphémisme. On ne savait presque rien de cette communauté si secrète.

Il se dirigea vers le centre de commandement, Frej sur ses pas. Arrivé devant un bâtiment discret en plein milieu de la cité d’Adryana, Aravel ouvrit la porte et trouva le commandant les attendant. C’était un homme d’un certain âge, petit de taille, les yeux bridés. Son crane était entièrement rasé comme tous les autres Sentinelles, et dessus était tatoué d’étranges symboles dont Aravel ne connaissait pas la signification. Il avait remarqué que chaque Sentinelle avait un symbole différent tatoué quelque part sur leur corps. Le commandant baissa la tête, en guise de salutation. Frej fit de même, sous le regard moqueur d’Aravel.

« Alors, des nouvelles, commandant ? » Demanda le mage.

« Le roi Eynard a été contacté récemment par de riches marchants du Brahaum afin de conclure une transaction importante. Cependant, ces marchants refusent catégoriquement une rencontre dans la cité royale, par crainte de représailles. D’après les conseillers du roi, le Brahaum ne veut pas montrer officiellement que leur lien avec celui de Lyis sont bonnes, d’où la demande de discrétion absolue des marchands du Brahaum. »

« Le roi va envoyer un représentant alors » conclut Frej.

Le commandant fit non de la tête.

« Les marchants ne font confiance à aucun représentant ni conseiller. Ils veulent faire affaire avec le roi directement »

Aravel haussa les sourcils, étonné.

« C’est impossible qu’il accepte de les rencontrer en dehors de la cité royale. C’est louche. »

« Et bien, ce n’est pas si simple que cela. Ce que les marchants veulent leur vendre c’est une quantité extraordinaire de Lancère à un prix abordable. Vous imaginez avec les prix actuels du Lancère, une telle occasion serait plus que fructueuse pour le royaume. Il ne peut pas refuser cette offre. »

« Que comptent-ils faire alors ? » demanda Frej.

« Le roi a exigé de choisir lui-même le lieu et la date de la rencontre. Ainsi, sauf s’il change d’avis, celle-ci aura bel et bien lieu, tôt ou tard. »

Aravel dévisagea le commandant, le regard ébahi. Si le roi sortait de la cité royale ultra protégée et inviolable, ils n’allaient pas manquer l’opportunité en or que cela représentait.

« Merci commandant, quelque chose d’autre ? »

Il secoua la tête puis disparu dans les airs sans un mot de plus.

« Il faut absolument agir ! » affirma Frej.

« Nous ne savons pas encore où ni quand la rencontre aura lieu. Qui sait, le roi peut toujours changer d’avis. Nous devons être patients. »

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