« Non mais qu’est-ce que c’était que cette chose ? » s’exclama Dalia.

Aravel et ses alliés s’étaient réunis à la maison de commandement quelques lunes après l’attaque de la bête. Certains hommes de Frej et de Nizar étaient encore blessés et avaient besoin de soin. Souli et le commandant des Sentinelles étaient présents à la demande d’Aravel. Il voulait avoir l’avis de tout le monde. Aravel lui transmis ses souvenirs de la bête.

« Je n’ai jamais rien vu de tel » déclara Souli.

« ‘Pense que personne a jamais rien vu comme… » disait Nahia.

Aravel perdit le fil de la conversation, ne parvenant pas à quitter des yeux le pendentif. Il n’y avait aucun doute sur la signification du symbole ; c’était celui de la Déesse Eya, la déité du Brahaum. Il avait grandi avec cette inscription gravée partout sur les maisons, leur armure. A Arabasta, la capitale, les statues d’Eya étaient toutes incrustées de ce même symbole. Aravel n’avait jamais été particulièrement religieux, mais comme ces proches restés au Brahaum, il croyait fermement aux enseignements d’Eya.

« Notre sang avant tout… » marmonna-t-il dans sa barbe.

Quelqu’un ouvrit la porte d’entrée de la maison, obligeant Aravel à sortir de sa rêverie. Une femme s’avança dans la salle principale où ils se réunissaient. Il se figea, surpris.

« Neeko. »

Dès qu’il prononça son nom, tout le monde fit un pas en arrière. Le commandant des Sentinelles lui, transplaça instantanément. Aravel soupira. Il avait déjà été difficile de le convaincre de venir.

« Qu’est-ce qu’il peut être dramatique celui-là » dit-elle en s’approchant.

Neeko se montrait rarement en public et Aravel était content de voir qu’elle avait répondu à son appel. Il n’avait plus eu de nouvelle d’elle depuis plusieurs cycles lunaires.

« Neeko, la Küron ? » demanda Souli, le regard méfiant.

Aravel acquiesça, mal à l’aise par cette appellation. Küron était le mot utilisé plus souvent pour parler des polymorphes. Il y avait là une connotation négative, puisqu’il signifiait ‘‘ voleur de peau ’’. Neeko lança à Souli un regard indifférent.

« N’ayez crainte, vous êtes tous bien trop laid pour moi. » dit-elle avec un petit rire. « Puis-je voir la bête ? »

Aravel partagea son souvenir. Neeko observa attentivement ce qu’il s’était passé.

« Je vois que tu as réussi à la poignarder. As-tu gardé la dague ? »

Aravel acquiesça et sortit la dague qu’il avait planté dans le bras de la bête. Il n’avait pas essuyé le sang qui était dessus. Il la tendit à Neeko qui renifla la lame. Elle la passa ensuite à Dalia qui la regarda, confuse.

« Tu es un métamorphe non ? Tu as probablement un meilleur odorat que moi. »

Dalia acquiesça, effrayée que Neeko s’adresse à elle. Elle prit doucement la dague, prenant soin de ne pas toucher la polymorphe. Elle huma l’odeur du sang à son tour et grimaça.

« Quelle horreur. Je m’en serais souvenu si j’avais déjà reniflé une odeur pareille. Ça sent la mort. »

« Quand tu dis ‘ça sent la mort’, parles-tu littéralement ? » lui demanda Neeko.

Dalia réfléchit et huma encore une fois la lame avant de la tendre à Souli.

« Littéralement. » dit Dalia.

« Ça me rappelle l’odeur du sang d’un animal retrouvé quelques temps après sa mort » déclara Souli après avoir senti à son tour.

« Comme une ghoule ? » demanda Nizar.

« Ce n’était pas une ghoule » répliqua Aravel.

Souli secoua la tête.

« Ce n’est pas la même odeur qu’une ghoule, je l’aurais reconnue. Mais c’est vrai que ça fait penser à quelque chose comme ça. »

On entendit la porte s’ouvrir à nouveau et Frej apparu peu après. Il s’arrêta en voyant Neeko et sourit.

« Mais qui a-t-on là !? »

Il enlaça Neeko, devant le visage horrifié des autres personnes autour de la table. Aravel dut retenir un rire. On racontait que pour qu’un polymorphe vole l’apparence de quelqu’un, il fallait un contact physique. C’était la raison pour laquelle de nombreuses communautés de Kaaïn se saluaient à distance.

« On parlait de la fameuse bête. Les métamorphes trouvent que son sang sent la mort. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Frej resta silencieux, pensif.

« Et bien que connaît-on comme créature de type mort-vivant ? » demanda Nizar autant pour lui même que pour les autres.

Aravel alla à sa bibliothèque et sortit un large manuscrit qu’il posa lourdement sur la table.

« Catégorisation des Kaaïns, par le Grand Mage Eraki. » dit-il en soupirant. « La liste est affreusement longue. »

« Non mais ne vous fatiguez pas. À part les ghoules, je ne connais pas de Kaaïns de type mort-vivant existant dans Menaskalig. » déclara Frej.

Aravel lui lança un regard sceptique.

« Inclus-tu aussi les mystérieuses créatures des Rocheuses Blanches du Brahaum, ou les bêtes des canyons du Cricks ? »

« Ses créatures ne quittent jamais leur territoire. » répliqua Frej.

« Qui nous dit que ce Kaaïn venait de Menaskalig ? » demanda Nizar.

« Il a raison. » affirma Dalia. « Il faut étendre les possibilités à tout ce qui est au sud des Terres sauvages. »

Nahia acquiesça.

« À Olorùn, tout possible. Terres Sauvages ont biome changeant et inexploré, puis t’as aussi les forêts de Vyland et Nyland quasi entièrement sauvages. »

Neeko se racla la gorge.

« Attendez un instant. Rappelez-moi : pourquoi est-ce si important d’en savoir plus sur cette bête ? »

Tous restèrent silencieux. Les têtes se tournèrent vers Aravel, attendant qu’il réponde.

« Une bête pareille, nous n’avons jamais vu cela. Ça ne peut pas être une coïncidence. Il doit y avoir une raison pour laquelle elle est apparue, pour laquelle elle se dirigeait vers notre royaume, vers le nord. »

« Et as-tu une idée ? » demanda Neeko.

Frej soupira. Il lança un regard fatigué vers Aravel.

« Il pense que c’est lié à la lumière qui est apparue il y a dix-huit ans, et à la prophétie. »

Aravel acquiesça vigoureusement, agacé par l’attitude dubitative de Frej. Tout était lié, il en était certain. C’était une pièce du puzzle qui se formait sous ses yeux.

« La bête semblait venir d’un autre monde, tout comme la lumière. » affirma Aravel.

« Il y a presque vingt ans d’écart entre les deux événements. » répliqua Neeko. « Il n’y a aucune raison de penser qu’ils sont liés. »

Tout le monde resta silencieux. Même Aravel savait que c’était peut-être excessif de voir un lien entre les deux mais son intuition lui disait le contraire.

« Et on parle pas de l’homme apparu et emporté bête, comme ça pouf ! »

« C’est vrai que c’est presque ce qui m’a le plus surpris » affirma Dalia avec un petit rire en voyant les gestes théâtraux de Nahia.

« Une créature si puissante, visiblement allié d’un autre Kaaïn capable de la contrôler, nous devons être prudent. » affirma Aravel. « Ça devrait être une raison de plus pour en savoir plus sur la bête. »

Neeko ne semblait pas convaincue.

« La raison pour laquelle vous êtes partis après la bête était pour l’empêcher de faire des dégâts. Or la bête s’est envolée, le problème n’est-il pas donc résolu ? »

« La raison pour laquelle nous sommes parties après la bête, c’est pour essayer de la rallier à nous. » rétorqua Aravel.

« Et clairement, elle n’était pas tout à fait de cet avis-là. » dit Nizar.

Frej s’approcha d’Aravel et posa sa main sur son épaule. Lui qui d’habitude appréciait ses gestes d’affections, en fut maintenant irrité.

« Je dois dire, Neeko n’a pas tort, Aravel. Nous n’avons plus de raison d’aller après cette bête. »

Aravel tapa des poings sur la table.

« Vraiment ? Encore ? Pendant des années, vous m’aviez tous dit la même chose sur la prophétie, répétez que je perdais mon temps et mon énergie pour rien et j’avais finalement raison ! Allons-nous refaire la même erreur et laisser cette bête filer entre nos doigts, bon sang ? »

« Cette fois ci, il n’y a pas de prophétie pour appuyer tes propos, Aravel. » répliqua Dalia.

Il eut envie de hurler. Il soupira et se frotta les yeux, fatigué de devoir toujours convaincre les autres.

« Mais nous garderons les yeux ouverts si nous voyons quelques choses, d’accord ? » dit Nizar.

Tout le monde acquiesça laissant Aravel dans une colère silencieuse. Frej lui sourit d’un air rassurant, puis se retourna vers les autres.

« Notre priorité maintenant c’est de s’organiser. Continuons les entrainements et la collecte d’arme, la guerre est proche. »

Tout le monde acquiesça à nouveau. Aravel ne dit rien de plus et les congédia. Chacun transplaça hors de la pièce. Neeko par contre ne bougea pas.

« Je vois bien que toute cette histoire te tracasse toujours. Tu sais, si ton intuition te dit qu’il y a quelque chose à découvrir ici, alors suis-là, mais dans ce cas-là suis-la jusque bout. »

« Que veut-tu dire par là ? »

« Tu sais qui peut t’apporter des réponses. Quelqu’un qui a une connaissance du monde des morts comme celui des vivants. »

« L’Oracle ? »

« Mmm… oui, mais je pensais à quelqu’un d’autre. L’oracle ne t’aidera probablement pas. »

« Comment peux-tu savoir si l’Oracle peut ou ne peut pas m’aider ? »

« Il est occupé en ce moment. »

Aravel écarquilla les yeux.

« J’ignorais que tu avais des contacts si étroits avec lui. »

« C’est lui, il me parle dans mes rêves parfois. »

« À qui pensais-tu alors ? »

« Asteraoth. »

Son cœur ne fit qu’un bon. Voilà bien un nom qu’il aurait préféré oublier. Il devait s’avouer qu’il y avait brièvement pensé, mais il ne voulait en aucun cas se tourner vers cette créature.

« Non. Il n’en est pas question. »

« Juste penses-y. Je dois m’en aller maintenant. »

« Neeko, attends ! As-tu des nouvelles de Neemah ? »

Elle s’arrêta alors qu'elle se dirigeait vers la porte.

« Seulement qu’elle ne risque pas de t’aider au sujet de la fille que tu recherches : son seigneur leur a ordonné de la laisser tranquille. Ne te préoccupe plus de Neemah, je m’occupe d’elle. »

Neeko disparu à ce moment-là. Aravel fronça les sourcils ; ‘‘son seigneur’’ ? Il n’avait aucune idée de quoi elle parlait. Mais en tout cas, il espérait qu’il puisse lui faire confiance à ce sujet. Il ne pouvait pas se préoccuper d’autant de chose en même temps.

Aravel posa les yeux sur la dague encore sur la table et la prit pour la mettre soigneusement dans un sac. Les autres avaient raison sur une chose : il n’y avait là pas d’urgence, la bête était partie. Il résoudrait cette énigme plus tard. Il reposa la dague dans le tiroir avec le pendentif et s’apprêta à aller chez lui quand quelqu’un apparut dans son champ de vision. Aravel cru avoir une crise cardiaque. Je dois impérativement mettre des symboles anti-lunsor dans cette maudite maison !

Il leva les yeux et vit le commandant des sentinelles. Celui-ci regardait à droit et à gauche.

« Le Kuron est parti ? »

Aravel acquiesça. Avait-il été là tout ce temps, attendant que Neeko s’en aille ?

« J’ai une information concernant le Roi, qui pourrait grandement t’intéresser. »