77. Doumah, Royaume de Cricks

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« …Quatre tribus Ksars sont actuellement localisées au nord de Vyland, dans les Terres sauvages et enfin aux côtes de Rovik. La 2ème légion a anéanti l’une de leurs plus importantes communautés il y a neuf lunes. »

Gödrik écoutait le rapport du Scribe de Denvik, la capitale impériale d’Olorùn. Être si loin de chez lui l’angoissait quelque peu et il ne se sentait rassuré que par ses rapports hebdomadaires, bien que peu palpitants. Il s’assurait également de recevoir des nouvelles quotidiennes venant de Winslow, qui prenait son rôle particulièrement à cœur. Dali, Maya, Lucrezia et Ak’sil eux, semblaient s’endormir à moitié aux rapports qui étaient presque identique, au mot prêt, à celui qu’ils avaient reçu la semaine passée.

« Après cette attaque victorieuse, les Aigles d’Olorùn recensent actuellement moins de deux-cents Ksars de par le territoire. Leur extinction est imminente. »

« D’accord, très bien, mais qu’en est-il de Barum Ni ? » demanda Gödrik.

Il pouvait voir Dali se redressait au coin de l’œil, tout d’un coup bien plus alerte. Le Scribe ferma les yeux un moment comme pour collecter ses souvenirs puis dit :

« Il y a cinq lunes a eu lieu la réunion quadrimestrielle des Gouverneurs où se sont rencontrés Winslow, Asteraoth, Dornijk, Pali… »

« Donc tous les gouverneurs. » l’interrompit Gödrik.

« C’est ça, majesté. »

« Rappelle moi encore où s’est déroulée cette réunion cette fois-ci ? »

« À Mel’kir, Kigenart. »

Gödrik jeta un coup d’œil vers Lucrezia qui discutait à voix basse avec Ak’sil. La mention de sa terre natale n’avait pas semblé l’avoir fait réagir. Peut-être n’avait-elle pas entendu… ou peut-être cela n’avait-il plus d’importance pour elle. Elle n’avait plus mis les pieds à Kigenart depuis des siècles et il tenait à ce que cela reste ainsi.

« De quoi était-il question cette réunion-ci ? » demanda Dali.

Silence. Gödrik connaissait déjà la réponse : Winslow lui avait fait un rapport au mot près de ce qu’il s’était dit durant cette réunion. Lucrezia et Ak’sil rigolèrent un moment, déstabilisant à peine la concentration du Scribe qui avait encore les yeux fermés.

« Les sujets habituels, géneral. » finit par répondre le Scribe. « Impôts, finance, budget, éviction d’Alunsi, chamaillerie de territoire entre Nyland et Vyland, tension interne à Rovik. »

Dali hocha la tête.

« Autre chose ? » demanda Gödrik voulant vaquer à ses occupations.

Le Scribe ferma les yeux à nouveau. Ferait-il la même chose s’il lui demandait de respirer ?

« Non, pas pour le moment. » finit-il par répondre.

« Des activités sismiques ou climatiques inhabituelles ces dernières lunes ? » demanda Dali avant que Gödrik ne puisse congédier le Scribe.

Ce dernier ferma les yeux encore, serrant ses paupières cette fois.

« Deux activités sismiques majeures il y a deux semaines dans les Terres Sauvages d’épicentre inconnu, une autre venant de la fosse N’rava. Un ouragan inattendu sur les côtes de Rovik, sans incident à rapporter dans les cités touchées. Une éruption volcanique du Barum Ni. Un cyclone à noter côté Golf du Göksel. »

Gödrik haussa les sourcils, se demandant ce que Dali faisait de ces informations futiles. Iel posait cette même question chaque semaine.

« Merci, ça sera tout pour moi. » affirma Dali en jetant un coup d’œil vers Gödrik.

Celui-ci hocha la tête et congédia le Scribe.

Gödrik se leva et se dirigea vers ses chambres, accompagné de Maya. Ils n’échangèrent pas un mot sur le chemin vers ses quartiers privés. Il ne l’appréciait guère, mais il avait besoin d’elle. Dans le royaume de Cricks, un homme et une femme ne pouvaient vivre ensemble que s’ils étaient officiellement conjoints. La religion interdisait toutes interactions ambiguës hors mariage. Les coutumes de ce royaume l’irritaient, mais il n’avait pas le choix : il devait respecter leur tradition pour maintenir un semblant de stabilité dans ce Royaume et accessoirement garder Maya à ses côtés. La nommer conseillère n’était pas une option car il ne lui faisait aucunement confiance. Il ne restait donc qu’un rôle futile possible : être sa femme.

« Du nouveau à propos du Démon ? » lui demanda-t-il, une fois arriver dans ses chambres.

Depuis plusieurs siècles, Gödrik pensait qu’un démon rodait dans leur monde. Il lui avait fallu tant de temps pour comprendre tous les signes. Il ignorait qui ce démon était, où il se trouvait. Maya, comme toutes les Sahira, pouvaient s’immiscer dans leur esprit. Les informations qu’elle pouvait lui fournir étaient précieuses.

Elle baissa les yeux, effrayée.

« Qu’y-a-t-il ? »

Elle resta silencieuse, la tête baissée, évitant de croiser son regard. Il pouvait sentir sa peur, intense. Elle alla s’asseoir sur une chaise, les larmes aux yeux. Il s’approcha et s’accroupit devant elle. Il prit son visage entre ses mains et déposa un baiser sur son front.

« Tu peux tout me dire, tu le sais. Je te protégerai quoi qu’il arrive. »

Il s’impatientait, mais il devait la rassurer s’il voulait savoir ce qu’elle lui cachait sans avoir à faire appel à Lucrezia.

« Tu ne peux pas me protéger de lui »

Il sentit une soudaine pulsion de violence. Comment osait-elle dire ça ? Mais il sourit et dit d’une voix douce :

« Penses-tu vraiment que je ne fais pas le poids contre un simple démon ? »

Il voyait le doute dans ses yeux. Qu’était-il arrivé pour qu’elle perde soudain confiance en lui, en ses capacités ? Elle l’avait toujours vénéré, aveuglément obéi à ses ordres sans jamais poser de question. Quelque chose de grave avait dû se produire et il avait besoin de réponses maintenant. Il n’avait pas de temps à perdre. C’est dans ses moment-là qu’il aurait souhaité être un enchanteur. Ses capacités de persuasion étaient limitées. Il devait être créatif. Il ferma les yeux et laissa apparaître son aura de Lunsor.

« N’oublie jamais qui je suis, Maya. »

Elle leva les yeux, éblouie par son énergie. Il pouvait sentir les muscles de sa mâchoire trembler sous ses mains. Elle avala difficilement sa salive et dit finalement :

« Il est rentré dans ma tête. Je ne sais pas comment il a fait. Il a dû me sentir dans son esprit lorsque j’ai capté sa conversation avec Neemah. Il a capturé mon aura. Mon esprit était emprisonné pendant une fraction de seconde. Ce qu’il a fait … Je ne peux pas l’arrêter. S’il te plait, je ne peux plus m’approcher de lui. Il est trop puissant. »

« Penses-tu qu’il est parvenu à capturer ton esprit car tu as été trop souvent dans sa tête auparavant ? »

« C’est vrai que… plus je rentre dans son esprit, plus il peut renforcer son emprise sur moi. Il ne l’avait jamais fait avant. J’ai toujours réussi à me retirer avant même qu’il ne s’aperçoive que j’étais là. Je ne peux plus le faire… je suis désolée. »

« Si une autre Sahira le faisait à ta place, aurait-t-il la même emprise sur elle ? »

« Je ne pense pas » répondit-elle, le regard plein d’espoir.

Il se redressa et ferma les yeux. Si le démon pouvait capturer son aura, Gödrik ne pouvait pas risquer qu’il découvre qu’il le traquait. Il soupira.

« Je suppose que je n’ai plus besoin de toi alors. »

Avant même qu’elle n’ait pu s’apercevoir de ce qu’il avait dit, il lui brisa la nuque. Elle s’écroula, morte.

Debout dans l’immense terrasse de sa chambre, Gödrik contempla la cité majestueuse à ses pieds, le regard vide. Il faisait nuit et la lune brillait dans le ciel. Tout ceci l’ennuyait. Il y avait tant d’autres choses qu’il aurait voulu faire, mais c’était son devoir de traquer ce démon, de le chasser de ce monde. Rien n’était plus sûr avec une telle créature dans leur monde.

Quelques instants plus tard, Dali entra dans la pièce. Son regard se posa sur le corps de Maya, gisant, inerte sur le sol.

« Trouve-moi une autre Sahira » ordonna Gödrik, le sentant approcher.

« Hmm… J’ai entendu dire qu’un certain Gödrik les avait exterminées il y a des centaines d’années durant la Guerre des Damnées, le savais-tu ? »

Le ton sarcastique de Dali l’irritait. Il n’était pas d’humeur à rire.

« Pas toutes. Apporte-moi une autre et vite. »

Dali soupira.

« Il m’a fallu des années pour trouver celle-ci. Peut-être aurait-il fallu y penser avant de lui briser la nuque comme une vulgaire marionnette. » Iel s’approcha du corps inspectant les marques sur son cou. « Pauvre fille. Ce que tu peux être stupide parfois. »

En un geste, Gödrik se retrouva devant son général, le.la dévisageant d’un regard perçant. Il était certes grand, mais Dali avait la même taille et ses yeux étaient à sa hauteur. Iel ne le quittait pas des yeux. Son général n’avait pas peur de lui et iel était le.la seul.e. Tous les autres étaient terrifiés par sa simple présence. Gödrik leva doucement la main vers son visage et passa délicatement une mèche de cheveux derrière ses oreilles.

« Mais qu’est-ce que je vois là, c’est sa mort qui t’a rendu si émotif ? »

En un clin d’œil, Gödrik se retrouva projeté contre un mur. Dali apparu devant lui et emprisonna ses bras, paralysant ses mouvements.

« Ne joue pas à ce jeu-là avec moi, Gödrik. »

Il éclata de rire. C’était toujours ‘‘Gödrik’’. Pas Majesté, pas altesse, seulement ‘‘Gödrik’’. Il dévisagea Dali qui se tenait si près qu’il pouvait sentir son souffle sur ses lèvres, son corps chaud contre lui. Il sentit tous ses muscles se crisper, sa respiration s’accélérer. Ses lèvres si proches… Il les aurait bien embrassées… Non. Il refusait catégoriquement de faire le premier pas. Il était l’Empereur après tout : le Monde se prosternait à ses pieds depuis des milliers d’années, les plus puissants comme les plus faibles. Dali n’y faisait pas exception.

Le sentant se détendre sous ses mains, Dali le relâcha et recula. Iel semblait presque déçu.

« Je vais voir ce que je peux faire. Mais je ne te promets rien. »

Dali se retourna et se dirigea vers la porte.

« Il y a probablement une communauté de Sahira au-delà du voile » affirma Gödrik alors que Dali s’apprêtait à sortir.

Ce.cette dernier.ère s’arrêta et pivota vers lui. Iel le dévisagea, intrigué.e.

« Comment peux-tu savoir ce qu’il y a au-delà du voile ? »

Gödrik sourit à lui-même.

« La déesse de la Guerre et de la Lumière l’a confié au Dieu du Chaos et du Feu, il y a fort, fort longtemps. »

Dali leva les yeux au ciel.

« Tu n’es pas un Dieu. »

« Elle non plus, elle n’était pas une déesse, mais c’était son territoire… » répliqua Gödrik tout bas, plus à lui-même qu’à son interlocuteur, un sourire triste aux lèvres.

Dali fronça les sourcils et l’observa un moment. Mais Gödrik repartit vers le balcon, lui indiquant qu’iel devait s’en aller.

Il sortit une amulette qui pendait autour de son cou, sous ses vêtements. L’amulette était ancienne, faite en bronze, ce matériau qui n’existait nulle part sur les Terres Émergées. Dessus étaient gravés des symboles ancestraux : deux demi-lunes fines, accolées, inversées l’une par rapport à l’autre. Il suivit du doigt le symbole avec délicatesse. Puis il leva les yeux, le regard rivé sur la lune.

« J’ai trouvé ton précieux cadeau, le sais-tu ? » Il sourit. « Comment as-tu fait pour me dissimuler une telle chose pendant si longtemps ? Ah… même si loin, tu ne cesseras jamais de me surprendre »

Une larme vint couler sur sa joue. Il serra l’amulette contre son cœur.

« Mais ne t’en fais pas, mon amour ; je protégerai ton cadeau comme si ma vie en dépendait. Je le protégerai jusqu’à la fin des temps. »

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