Not another Cinderella story
– Putain, Cindy, j’en ai marre de tes conneries, tu dégages de chez moi.
– Quoi ? Mais, mais, mais, mes affaires ?
– M’en fous, tu reviendras les chercher un autre jour.
– Mais il, il pleut dehors, allez merde, Samuel, fai-fais pas chier. Si tu veux je, je te rimjob, tu aimes ça quand je…
– Redescends Cindy, bordel, redescends ! Allez, casse-toi d’ici ! Non, me touche pas, dégage, juste dégage !
Me suis retrouvée dehors, sous la pluie. En pyjama, les pompes dans une main, mon sac à main dans l’autre. J’ai grimacé en sentant la flotte m’agresser et j’ai cogné à la porte.
– Putain, Samuel, allez ou-ouvre, quoi. Allez ! Je, je vais friser, m-merde.
Merde. J’ai repéré la silhouette d’un abribus et, comme marcher droit c’est pas mon truc, j’ai couru en zigzag entre les gouttes pour le rejoindre. J’ai bousculé la vieille dame assise sur le banc qui m’a lancé un regard outré. Ça m’a fait bader pendant bien deux minutes. Une fois calmée, j’ai sorti mon téléphone, me suis battue un instant pour le déverrouiller et ai appelé mon père.
– Allo, papa ?
– Ton père est en train d’ouvrir les huîtres, tu veux quoi ?
– Hey, Ré-régine, ma copine Régine, comment va ma belle mère pré…
– Tu es encore défoncée ?
– Moi ? Nooooooooooon ! N-non ! Je suis clean, attends, il est midi.
– Tu veux quoi ?
– Passer à la maison. Papa peut venir me chercher ? Je suis devant chez Samuel.
– C’est Cindy ? Elle veut quoi ? a demandé la voix étouffée de mon père.
– Que tu ailles la chercher, mais…
– Attends, passe la moi. Hey, chérie, tout va bien ?
– P-papaa, je suis toute mouillée, viens me chercher.
– Un soucis avec ton copain ?
– I-il m’a mise à la porte. J’ai froid.
– J’arrive. Mets toi à l’abri hein.
– Je suis sous un abribus, mais il y a une vieille qui me fait un peu peur, ais-je chuchoté.
– Je me dépêche, mon poussin.
J’ai raccroché et j’ai lancé un regard discret à ma voisine qui m’ignorait superbement en comptant les gouttes de pluie, ses mains serrant bien fort son petit sac sur ses genoux.
– Hey, elle est belle votre f-fourrure.
– C’est du chinchilla, a-t-elle daigné répondre.
– Ça a l’air chaud, j’imagine que tu veux pas partager avec moi.
Elle a posé un regard dédaigneux sur ma personne et ma tenue légère.
– En échange, moi je pa-partage ça avec vous, ma p'tite vieille.
J’ai sorti une pills bleutée de mon sac, je l’ai brisée entre mes ongles et lui en ai tendu la moitié.
– Avec ça, zéro tracas, zéro glagla.
– Qu’est ce que c’est ? a-t-elle demandée d’une voix inquiète en se tassant au bout du banc.
– Mdma. Allez-y, prenez, c’est offert de b-bon cœur. Non ? Z’êtes sûre ? C’est de la bonne hein, des hauts plateaux.
– De quels plateaux, vous dites ?
– C’est une expression, lol. Du coup, t’en veux pas ? Bon, tant pis pour vous.
J’ai avalé les deux moitiés sans insister et me suis recroquevillée dans mon pyjama trempé en attendant que l’effet agisse. Le bus de la vieille en fourrure a fini par arriver et me suis retrouvée seule. Le temps qu’un nouveau piéton trempé me rejoigne à l’abri de la pluie, j’étais bien perchée et réchauffée.
– Salut, t’es beau.
– Heu, salut.
– Mon copain vient de me foutre dehors.
– Ha ?
Il avait l’air gêné pour moi alors je lui ai tapoté gentiment le bras.
– Mais ça va s’arranger, hein, t’en fais pas. Tu es en couple, toi ? T’es canon, tu dois forcément être en couple. T’es pas gay quand même ?
– Heu, non.
– J’avais un ami gay, il s’appelait Luc, c’est rigolo parce qu’à l’envers ça fait…
– Ho tiens, je reçois un appel. Oui, allo ?
– Cul, ça fait cul, hahaha. Hey dis, tu veux qu’on danse ?
Je suis sortie de l’abribus et j’ai entamé quelques pas maladroits.
– Allo, ça va ? Oui ça va aussi. Ha tiens ? C’est vachement intéressant ce que tu me racontes là, dis donc. Oui, bien-sûr, oui, il n’y a vraiment plus de saisons, hahem…
– Hey, regarde moi, je danse. Ail am dancing ine ze renne.
Il m’a lancé un regard désespéré avant de rentrer sa tête dans son col de manteau et de reprendre sa conversation. Peut-être qu’il n’aimait pas la tecktonik.
– Attends, je te montre mon numéro de pole dance.
J’ai galopé pieds nus dans les flaques jusqu’au lampadaire le plus proche et j’ai pris une pose sexy en m’y frottant de haut en bas. J’ai fait trois tours en m’emmêlant les jambes avant de rendre mon estomac dans une flaque d’eau.
– Cindy ?!
J’ai levé la tête vers celle de mon père, tendue à travers la vitre de sa voiture, de l’autre côté de la rue. Il m’a fait un signe pour me dire qu’il allait se garer et j’ai couru chercher mes affaires. Au passage, j’ai ébouriffé affectueusement les cheveux de mon ami, toujours au téléphone, lui arrachant un regard écarquillé.
– À plus dans l’abribus, beau gosse.
Et j’ai foncé vers la voiture.
***
Cette ellipse mignonne vous est présentée par Elips stick, le rouge à lèvres des vraies princesses au sang menstruel de dauphine de la mer rouge, parce que tuer des dauphins, c’est mal.
***
– J’en ai marre, Cindy, marre, tu m’entends ? C’est plus possible.
La vie est un éternel et très chiant recommencement.
– Tu m’as jamais aimée de toute façon.
– Ça fait trois jours que je t’accueille et te loge gratis, trois jours que tu te comportes comme un zombie assisté ; je suis moi-même allée chercher tes affaires chez ton ex petit-ami, et tu oses me sortir ça ? J’en ai marre de devoir supporter tes délires, tu es une droguée, Cindy, une foutue droguée. Et le pire, le pire…
– C’est aussi la maison de mon père, vieille morue…
– Le pire, sale camée, ce n’est pas tes insultes, ni ton odeur de sdf, le pire c’est que tu proposes de la drogue à mes filles. Tu es quoi ? Une dealeuse ?
– C’est pas tes oignons, puis elles ont dix-sept ans, faut qu’elles se décoincent du cul si elles veulent pas finir comme toi.
– C’en est trop, Maurice, dis quelque chose, enfin !
– Hem. Bon, Cindy, tu ne vas pas pouvoir rester plus longtemps.
– Mais, papa…
– Non ! Tu m’avais promis que tu ne retomberais pas, mais là ça dépasse toutes mes inquiétudes. Et pour la santé de Gisèle et Marceline, il vaut mieux t’éloigner. Tu te rends compte de l’exemple que tu leur donnes ?
– Tu sais, être une femme libérée, c’est pas si fa…
– Une femme libérée, toi ? Non mais, tu t’es regardée, complètement accro à ta merde, là, j’appelle pas ça…
– Laisse-moi gérer ça, Gigine. Écoute, Cindy, je suis désolé mais tu dois partir.
– Et je vais aller où ? Sam répond pas à mes sextos.
– Je me suis renseigné, il y a une clinique pas loin qui propose des accompagnements, pour les gens comme toi, il parait que ça marche, tu sais, les cures.
– Tu crois que j’ai l’argent pour ça ?
– Tu l’as bien pour t’acheter ta dope…
– Gigine, s’il te plait, tu ne m’aides pas. Je suis prêt à t’aider à te sortir de ça, Cindy. On peut aller voir, je te paye le traitement si tu promets de faire de ton mieux pour sortir de ton addiction.
– Et si je refuse ?
– Tu peux aussi aller chez ta mère.
– Eurk, la secte du bon petit Jésus ? Au secours.
– Ce n’est pas une secte.
– C’est to-ta-le-ment une secte. Pas parce qu’ils viennent sonner à ta porte en souriant que c’en n’est pas une.
– Bref, fais ton choix.
– Tu parles d’un choix. Je me fais virer par mon propre père. Autant de “Gigine”, ça ne m’étonne pas, mais de toi…
– Tu es injuste...
– C’est ça ! Bon, tu me passes un peu de sous pour un taxi, au moins ?
Il a sorti son portefeuille d’un air blessé avant de me tendre trois billets de cinquante euros. Je n’espérais pas autant et je crois que Régine non plus, vu sa gueule de trois mètres de long. J’ai empoché l’argent comme une voleuse et j’ai récupéré mes quelques affaires qui trainaient un peu partout. J’ai quand même embrassé mon père pour ne pas paraître trop ingrate et je suis partie. Une nouvelle fois en trois jours, je me suis retrouvée à la rue. On ne peut pas avoir confiance dans les gens qu’on aime, c’est la morale de cette histoire. Ils finissent toujours par nous lâcher dès qu’il y a une petite difficultée. J’ai reniflé un bon coup et j’ai marché jusqu’à la station essence la plus proche pour faire du stop.
Après quelques heures de galère, j’ai réussi à trouver un mec super sympa qui a accepté de faire un détour pour me déposer en échange de trois culottes sales. Je me suis donc mise à l’oeuvre pour préparer son paiement tandis qu’on filait sur l’autoroute, de la psytrance plein les oreilles.
– Tu as de la chance, je suis en période d’ovulation, petit veinard, ai-je crié tout en me récurant gaiement l’habitacle.
– Génial, a-t-il gueulé, j’adore les pertes blanches.
Après quelques heures de route, il s’est garé sur un triste parking de zone commerciale. La pluie s’était mise à tomber et couvrait tout d’un rideau gris humide et froid. Il a jeté un œil alentour.
– Tu viens faire quoi dans ce trou paumé ?
– Il y a une free party dans un entrepôt à deux pas ce soir, je vais faire la fiesta, me défoncer la gueule et me trouver un mec chez qui finir la nuit.
– La classe, je serais bien venu, mais j’ai mass de trucs à faire avec la naissance du deuxième qui doit arriver dans une semaine.
– T’es un brave gars, Brandon, ta femme a bien de la chance. Tiens, tes culottes, et merci de m’avoir déposée.
– C’était un plaisir, j’espère que tu vas trouver un mec bien, toi aussi.
– On se fait la bise ?
– Grave, hé dis, je peux sucer tes doigts ?
– Mais ouais, fais toi plaisir. Alors, ils ont du goût ?
– Génial, un régal. Merci pour les culottes d’ailleurs, t’as fait ça comme une pro. Je penserai à toi en les reniflant. Bye.
– Bye, et encore félicitations pour le bébé, bisous à ta femme.
– Je n’y manquerais pas.
J’ai soulevé mon pull et agité mes seins pour lui dire au-revoir tandis qu’il s’éloignait. C’est cool de faire de belles rencontre comme ça. C’est le sourire au lèvres que j’ai pris mes cliques et mon sac et que je suis parti vers l'entrepôt. J’ai froissé les billets planqués dans ma poche du bout des doigts. J’allais pouvoir salement refaire mon stock d’ecsta, merci papa.
***
Cette ellipse ci vous est offerte avec amour en partenariat avec le Rhum Héhoé-Juliet. Vieilli pendant tellement d’années en fût de chêne des antilles qu’on peut parler ici de véritable rhum antique. L’abus d’alcool est mauvais, à votre santé !
***
– Merde, elle est où cette fê-fête.
J’ai glissé le long d’une pente pleine de broussailles, m’égratignant les mains et les fesses.
– Bordel, je me suis pas t-tant éloignée que ça, si ?
Je ne reconnaissais pas le chemin que j’avais pris pour trouver un buisson tranquille où faire mes besoins. Tout tournait un peu et le halo de la torche de mon portable tremblotait devant moi, prenant d’étranges formes psychédéliques. J’entendais vaguement les basses et les cris dans le lointain mais sans arriver à me repérer. Épuisée, la bouche asséchée par de la mauvaise vodka, les pieds tordus dans mes talons, j’ai fini par déposer les armes et mon cul sur un rocher.
– Sa mère, ça n’arrive qu’à moi, ça. Je v-voulais juste m’amuser moi, snif. Au moins il ne p-pleut plus.
J’ai terminé le fond de gobelet que j’avais réussi à ne pas trop renverser pendant mes acrobaties. La tête me tournait beaucoup trop, impossible de me repérer aux quelques étoiles qui clignotaient comme des guirlandes dans le ciel.
– Salut Cindy, je suis Oléron, le prince des fées.
Je me suis retournée vers un beau mec en collants verts qui brillait doucement dans le noir, à quelques pas. Le clone de Mimie Mathy mais avec de longs cheveux blancs flottait tranquillement à son côté. Logique, si elle voulait rester à sa hauteur.
– Et moi je suis Laguna, ta tata la bonne fée.
– Ma tata ? Vous êtes pas censée être ma marraine ?
– Oh bah non, je suis déjà la marraine d’Oléron.
– Ha... ok…
– Bon, Cindy, je connais la solution à tous tes problèmes.
– Ha bon ?
– Il faut que tu trouves ton prince.
– Sans rire ?
– Je vais maintenant transformer ton sarcasme en une magnifique limousine chevrolet 3 portes 240 chevaux avec jaccuzzi et minibar et ton seum en robe pronuptia haute couture en mousseline dentelée.
– Mais c’est impossible.
– Mais si c’est possible, avec la carte kiwi.
– Ha… ok… Et lui, il peut pas être mon prince, il est grave canon ? ai-je demandé en désignant Oléron qui tirait sur le spandex serré qui moulait un peu trop son entrejambe.
Ce mec avait une bite énorme, un bras, une trompe, que dis-je, c’était une presqu’île.
– Je suis déjà fiancé à Tatiana, s’est-il exclamé d’un ton joyeux, la princesse des fées. Puis tu n’es pas très canon, toi.
– Sympa.
– Donne moi ton seum, baby, ton spleen baby, donne moi aussi tout tes soucis, baby, avec ma carte, kiwi, je vais te rendre super sexy, philosophie… chantait Laguna, ma tata, pendant que je matais le bas relief de son filleul.
J’ai éclaté de rire en voyant une gigantesque limousine blanche dégringoler du ciel. J’ai fait tournoyer les jupons et les dentelles de ma robe de mariée et me suis installée dans les fauteuils en cuir ultra confortables avec option massage vibrant.
– Vas trouver ton prince, Cindy, mais il faut que tu reviennes avant minuit, m’a mise en garde la bonne fée.
– Promis, minie tatie. Au revoir Oléron, au revoir tatie, je vous aime.
La limousine est partie à toute allure, m’emportant vers mon prince. Je me suis plongée toute habillée dans le jacuzzi en attendant, jouant avec les remous et essayant tous les boutons. L’un d’eux m’a envoyé un jet d’eau chaude au visage. Ça faisait du bien parce que j’avais très soif, en fait.
– Trop bien, ai-je glouglouté.
– Cindy, dis-moi oui, s’est mis à chanter mon chauffeur dans une grande lueur rouge, Cindy, c’est minuit, oh oui, chérie, c’est minuit…
Puis tout s’est évaporé, la limousine, la robe, le chauffeur, la chanson, n’est plus resté que le jet d’eau chaude sur mon visage.
J’ai ouvert un œil douloureux, et ai remué sur le sol dur et plein de cailloux.
– Haaaaaa, oh merde, merde, désolé.
J’ai levé les yeux vers ce qui semblait être un petit punk à crête qui rangeait sa bite dans sa braguette. Il m’a tendu une main pour m’aider à me relever.
– Je t’avais pas vu, désolé.
– Pas grave, c’est des choses qui arrivent, ai-je crachoté en me tenant la tête. Oh, merde, ça tourne.
– Tu faisais quoi là, par terre, tu t’es endormie ?
– Me suis perdue en allant pisser, j’étais à la fête…
– J’y retourne, moi, tu viens ?
– Attends, tu veux pas rester un peu, j’ai la tête qui tourne à mort.
Je me suis laissée tomber au sol et il s’est assis près de moi.
– J’ai du speed pour t’éclaircir les idées, si tu veux.
– Tu gères.
J’ai avalé le comprimé qu’il me tendait. Un silence s’est installé entre nous, tranquille, tandis que les bruits de la rave résonnaient au loin.
– C’était mon premier golden shower, ai-je plaisanté.
Il a rit.
– Moi aussi.
– Dis, tu serais pas une sorte de prince, des fois ?
– Haha, non, trop pas. Pourquoi ?
– Tant mieux…
J’ai posé ma tête pleine de cheveux dégoulinants sur son épaule. Ça n’a pas eu l’air de le déranger.
– Je suis trop grande pour ces conneries.
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