Chapitre 3A: mai - juin 1754
Le jour de ses quatre ans, sa tante lui mit simplement une plume agréable d'oie dans les mains et disposa une grande feuille de papier devant elle. Sans hésiter, Louise trempa sa plume dans l'encre pour dessiner sa jolie famille. Il y avait au milieu de la page Camille sa sœur aînée, à droite sa cousine Anne, puis à gauche son oncle et sa tante, devenus au fil du temps ses parents adoptifs.
En s’apercevant qu'elle s'était oubliée, elle se rajouta en toute petite au bas de la page. Puis, de sa plus belle écriture, Louise signa son œuvre, la seule chose qu'elle sache écrire étant son prénom en lettres majuscule. Très fière de son dessin, elle demanda à ce qu'on l'accroche a un des murs de sa chambre, ce qui fut fait. Elle avait une décoration très à la mode pour l'époque, une tapisserie en toile tendue ornée de fleurs de lys, que Louise n'avait pourtant jamais aimé. Au-dessus de son lit, le Christ crucifié, qu'il lui arrivait parfois de décrocher tant cette image macabre la hantait. Bien sûr, lorsqu'elle faisait cela, on avait bien vite fait de le raccrocher.
Quelques jours plus tard, alors qu'elles jouaient ensemble au jeu du soleil, Louise fit preuve de curiosité en demandant à Camille ce qui se trouvait après ces trois chiffres. La petite fille de sept ans se mit alors à compter, vite et sans s'arrêter.
— Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf...
— Camille apprenez moi ! Je veux savoir compter comme vous.... Je vous en prie...
Elles s'assirent alors sous un arbre et Camille dessina sur le sable des chiffres.
Puis la grande sœur se leva et voulu quitter le parc. Louise s'en étonna.
— Où allez-vous, Camille ?
— Il me faut rentrer, ma leçon d'algèbre m'attend.
— Laissez-moi venir avec vous !
— Si cela vous enchante, mais vous risquez de vous ennuyer.
Louise la suivit donc avec beaucoup excitation, puis elles montèrent les escaliers qui conduisaient au premier étage, où attendait le professeur de Camille. Quand Marguerite aperçue sa nièce, elle leva la tête de son activité, et s'exclama :
— Louise où allez-vous ? Pourquoi ne jouez-vous donc pas avec vos amies ?
— Je veux apprendre à compter !
Puis elle se replongea dans ses occupations sans en rajouter.
Louise suivit donc sa sœur jusqu'à sa chambre où un petit homme gras l'attendait. Camille le salua dans une langue que Louise ignorait, puis elle s'assied sagement sur le lit pour écouter et observer. Camille s'installa devant son écritoire, d'où elle en sortit plusieurs livres, qui devaient contenir des exercices, puisqu'elle se mit à écrire.
Lorsqu'elle sembla avoir terminé, elle présenta son cahier à l'homme qui vérifia les réponses brièvement avant de lui expliquer d'autres choses.
Louise progressait dans ses apprentissages. Par exemple, elle savait depuis peu se laver seule, enfiler sa robe ou encore réciter l'alphabet en entier. De plus en plus patiente lors des messes ou autres événements parfois longs, elle grandissait, mais faisait parfois encore des caprices et des colères.
Un jour, ils se promenaient au bord de la rivière de la Seine, accompagnés d'une connaissance de Jean, lorsque Louise vit un groupe d'enfants qui pataugeaient dans son eau sale et trouble. La petite fille eut soudainement très envie d'aller jouer dans l'eau, mais sa tante le lui proscrivit formellement. Bien décidée, à avoir le dernier mot, elle quémanda sans cesse jusqu'à comprendre que ce n'était pas la bonne solution. Traînant ses souliers de cuir sur les pavés, elle s'arrêta au milieu du quai, les bras croisés, sourcils froncés, refusant d'avancer. Marguerite tenta de la raisonner, en vain, elle ne voulait rien entendre. Ce fut pire, elle s'allongea sur le sol, se roulant par terre, criant, hurlant, pleurant. Sa tante, sans doute terriblement honteuse de ce comportement, pria son mari de s'occuper d'elle. Il lui parla, calmement, de façon à ce qu'elle se relève. Puis avant qu'elle n'ait pu réagir, sur son visage trempé et rendu rouge par les larmes, il s'acharna. Il frappa, de sa main dure, encore et encore, tant et si fort qu'elle pensa mourir sous les coups. Puis Marguerite le pria d'arrêter. La petite Louise avait reçu sa sanction, tout était fini.
Le retour s'effectua dans un silence absolu. Louise sanglotait en tenant la main de sa tante Marguerite, qui avait à présent une expression de visage froide et impassible.
Elle souffrait grandement, ayant les joues rouge vif et les marques des coups. Camille-Marie la réconforta, en lui disant notamment qu'il ne fallait pas recommencer, que ce que ses actes étaient mal, et qu'il fallait que j’aille présenter mes excuses à ma tante et à mon oncle. Elle la prit tendrement dans ses bras, baisa ses joues bien qu'elles lui étaient douloureuses.
Ce fut si réconfortant qu'elle cessa de pleurer. Sans elle, ces moments-là auraient été pour Louise difficilement surmontables.
En juin, ils apprirent par un message épistolaire qu’une nièce de l'oncle Jean allait se marier. La cérémonie, prévue pour le début du mois de septembre, devait se dérouler à Paris. Même si elle n’avait jamais vu cette cousine, ni son futur époux, Louise mourait d’impatience d'assister pour la première fois de sa vie à un mariage. On avait déjà choisi sa robe, blanche, avec un petit nœud dans ses cheveux. Elle était belle, cette robe. Quand Louise l'essaya, elle se prit pour une princesse, une jolie princesse de contes de fées, qui devait rejoindre son prince charmant au bal dans un carrosse tiré par six chevaux blancs. Mais Louise n'était pas une princesse, n’avait pas encore de prince charmant, le carrosse qu'utilisait Marguerite était vieux, la peinture s'écaillait et non pas tiré par six chevaux blancs, mais plutôt par deux chevaux gris. Une fois les essayages terminés, la robe fut rangée soigneusement au placard, pour n'être ressortie que le jour des noces.
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