Chapitre 4A: mai - octobre 1755
Lorsqu'elle eut cinq ans, sa tante annonça à Louise que désormais, elle apprendrait à lire et à écrire, et qu'elle suivrait ses premières leçons de clavecin. Marguerite avait pour objectif que sa nièce sache lire avant la fin de l'été. Bien ambitieux, car dès la fois où elle lui donna un livre contenant l'alphabet, la petite fille le repoussa violemment, encore par manque d'attention.
Puis elle l'installa devant le clavecin et Louise se sauva. Marguerite, considérant que cinq ans était l'âge idéal pour commencer ce genre d'apprentissages, n’abandonnerait assurément pas. Cependant, par facilité, elle posa délicatement sur les épaules de sa gouvernante le poids de son apprentissage de la lecture et de l'écriture.
Lorsque ce fut madame Grosein qui lui présenta un livre, Louise changea de comportement. Toujours sans grande patience, elle acceptait cependant d'écouter les leçons et de prendre part a ses apprentissages, en réalité folle d'envie d'apprendre à déchiffrer. Grâce aux méthodes efficaces et ludiques de Madame Grosein, Louise savait lire des mots simples dès le mois de septembre.
Marguerite se trouvait plutôt surprise mais très fière d'elle, et Louise se sentit pour la première fois estimée et considérée de cette femme a laquelle elle devait tout.
Au mois de septembre, avec Camille qu'elle ne quittait plus, Louise fabriqua un cerf-volant, qui se promena des heures durant dans le ciel encore bleu de Paris. Tel un oiseau, fendant parfois les nuages, il la faisait rêver. Il représentait un dragon rouge vif, et Louise le trouvait magnifique.
La petite fille aimait s'allonger aux côtés de sa soeur Camille dans l'herbe encore verte du parc et lui raconter ses tout - petits tracas. Celle - ci l'écoutait d'une oreille attentive, même si Louise n'était pas toujours très intéresssante. Mais voilà ce que Louise appréciait chez elle, sa patience et sa volonté d'aider en toutes circonstances.
Camille, qui ne se faisait presque jamais appeler par son nom complet, était une enfant de sept ans, aux cheveux bruns longs et raides, qui tombaient en cascade sur ses épaules frêles. Elle portait sa chevelure en tresses ou en chignon, mais jamais la journée elle ne les laissaient détachés, comme sa petite soeur d'ailleurs.
Louise l'adorait, c'était son exemple.
Les rues de Paris étaient sales, enfin, certains quartiers. Celui où se trouvait l'hôtel particulier de Jean, assez favorisé, était plutôt propre, les rues pavées et les déchets ramassés la nuit. Dans certains endroits à éviter, que l'on l'emmenait quelques fois voir, pour développer sa culture générale, il y avait des mendiants dans tous les coins. Tenant le pain blanc de son en-cas dans ses petites mains, et croisant un enfant affamé, Louise lui lança. Aussitôt, tel un pigeon guettant la vieille dame lui lançant des morceaux de pain, il l'attrapa furtivement avant de s'enfuir. Sa gouvernante lui fit alors une réflexion qui lui parut être de bon conseil.
— '' Louise, les pauvres, c'est comme les chiens, plus vous leur en donnez, plus ils demandent, et puis le pain blanc, ça coûte cher. Alors, faites-moi le plaisir de le garder pour vous, la prochaine fois, si vous voulez, vous leur distribuerez du pain rassis.
Après une petite balade, elles rentrèrent. A leur retour, l'heure du souper avait sonné. Après qu'elles se soient installés à table, leur Bénédicité récité, la cuisinière apporta, non pas une soupe, mais un plat encore moins appétissant. Un ragoût, fait d'un mélange de restes de viandes, baignant dans une sauce nauséabonde, avec quelques légumes qui flottaient à la surface. D'ordinaire pas difficile, Louise pensa qu'il ne fallait tout de même pas exagérer. Elle goûta une minuscule cuillère, puis refusa d'en toucher un peu plus.
Profitant du fait que Marguerite ait le regard plongé dans son plat, Louise posa son assiette à terre, espérant que le chat voudrait bien en manger le contenu. Il renifla, puis s'enfuit en courant aussi vite que ses petites pattes le lui permettaient. Marguerite s'interrogea bientôt.
— '' Où est passé votre plat Louise?
Elle se pencha sous la table où elle avait posé son assiette, puis releva la tête en la dévisageant. Calme, elle pointa du doigt son assiette encore remplie de cette immonde pitance.
—''Finissez votre ragoût, sinon vous irez le manger dans la cave de votre oncle.
Avec répulsion, elle avala, lentement, mâchant continuellement les morceaux de viande trop secs qui lui restaient dans la bouche. Louise détestait cette cuisinière, car elle pensait qu'elle faisait exprès de préparer des plats mauvais pour la dégoûter. En plus de ne pas savoir préparer a manger, pensait - elle, Louise la trouvait vieille et affreusement ridée. Elle n'avait pas forcément tort, puisque des lambeaux de peau pendaient ici et là de sa bouche et ses dents étaient noires et entartrées.
Un matin d'octobre, Louise fut réveillée par une horrible démangeaison sur tout son corps. Étonnée, elle se leva d'un bond de son lit jusqu'au miroir. Ce qu'elle y vit l''étonna, car il y avait debout face à elle une petite fille au visage couvert de boutons rouges. Et lorsque celle - ci retirait sa chemise de nuit, elle en avait en réalité sur tout le corps. Apeurée, elle s'empressa d'aller chercher sa tante, qui constata le problème et fit vite prévenir un médecin. Après avoir jeté un coup d’œil à ses boutons, il s'exclama.
— '' Le verdict est sans appel, vous êtes contaminée par la varicelle. Si je vous prescris un bain d'avoine chaud tous les jours il faut proscrire toute exposition au soleil, au risque d'avoir des cicatrices. Il faut appliquer sur les boutons tous les soirs un mélange de plantes qui soulage et favorise la cicatrisation. Et enfin, n'ayez surtout pas de contact avec les personnes qui n'ont jamais eu la maladie.
Marguerite s'en inquiéta.
—''Combien de temps lui faudra t - elle pour guérir ?
—''Dans trois semaines, elle pourra retourner au contact de ses proches.
Elle fut donc condamnée à rester vingt jours dans son lit, que les boutons aient disparus ou pas. Le médecin étant un homme à qui l'on devait un profond respect, Marguerite buvait ses paroles si sages et ne l'aurait pour rien au monde contredit.
Seule Anne n'avait pas encore attrapé la maladie et de ce fait, Louise était interdite de s'en approcher. Camille, Marguerite et Jean lui rendaient visite, on apportait du café au lait, des biscuits, des livres, des puzzles, sa sœur lui récitait parfois des poèmes, chantait des chansons.
Ce fut ainsi la première semaine. Après, tout devint vide, mise à part sa sœur, qui venait régulièrement lui lire un chapitre de '' La barbe bleue'', un ouvrage dont le suspense et l'horreur faisait frémir Louise.
Une employée soignait la petite fille tous les soirs, la baignant rapidement, dosant au hasard la poudre d'avoine et appliquant sans attention la pommade sur ses petits boutons. Elle en oubliait souvent, omettant au passage de lui mettre mes moufles le soir avant qu'elle s'endorme, pour éviter ses gratouillements.
La conséquence fut qu'elle garderait toute sa vie ces vilaines traces d'un soin mal fait. Terrible ennui en journée. Louise dessinait un peu, lisait aussi, mais la plupart du temps, elle dormait enfouie sous ses couvertures, seule occupation utile et sécurisante.
Le chat de sa cousine Anne venait parfois blottir son pelage chaud et ivoirin contre sa peau aussi blanche, la dégageant brusquement de son rêve, ramenant Louise à la réalité. De nouveau, elle était dans sa chambre, allongée sur son lit, avec l'apparence d'une coccinelle. La petite fille appréciait les chats, animaux gracieux, qui symbolisaient à la fois la liberté, l'indépendance et le courage.
Au bout de trois semaines alitée, elle pu enfin quitter son lit, et retourner jouer avec ses amies et sa sœur au parc, bien que les premiers froids se fassent ressentir.
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