Chapitre 27A: mai - juin 1777
Le trois mai, à vingt – huit ans désormais, je m’approchais dangereusement de la trentaine, cap redouté car symbolique de la vieillesse qui me rongeait depuis au moins dix ans. Mes cheveux étaient devenus bicolores, mes boucles étaient plutôt blanches désormais que rousses, j'avais parfois mal au dos, mais sinon, cela n'allait pas si mal pour moi. En revanche pour mon petit Léon – Paul, il boitait toujours, faisait encore des crises d'asthme et il venait d'attraper des poux.
Je l'avais vu se gratter le cuir chevelu énergiquement, et je m’étais dit qu'avec les cheveux de son père, épais et bouclés, il était tout à fait possible que les poux se soit installés. Ma déduction avait été bonne, et il n'avait pas fallu attendre plus que quelques jours pour que la maison soit infestée. Lion pleurait ses chiots, sans cesse, jour et nuit, depuis que mon mari les ait noyés un par un, le soir même de sa mise - bas. Les enfants n'avaient pas posé plus de questions, seulement parfois ils demandaient pourquoi elle avait mangé ses chiots, car c'était ce que je leur avais menti, ils m'avaient cru, a vrai dire, c'était un mensonge très vraisemblable. Pour les poux, comme je ne savais pas quoi faire, je choisissais la méthode dite radicale : je réunissais les enfants et je leur coupait les cheveux un par un.
Léon – Paul, Émile et Michel eurent la tête rasée à blanc, Léon – Paul se débattit et pleura : il aimait ses cheveux et moi aussi, mais les poux pouvaient apporter des maladies et je ne voulais pas prendre de risques. Malou et Gustavine eurent simplement le droit à une coupe un peu plus courte, qui fis du bien à leurs chevelures longues et emmêlées, depuis quelque temps je voulais leur couper, mais elles refusaient, maintenant que j'avais mon excuse valable, je ne comptais pas les rater. Je raccourcissais aussi mes cheveux et mon mari faisait lui aussi un effort pour stopper l'invasion de poux.
Des nouvelles de ma belle – sœur :
Louise,
Cela fait bien longtemps que je ne vous écrivait pas, pour cause de notre déménagement, assez compliqué avec la santé fragile de Claude, qui avait fait un début de pneumonie peu après sa naissance, et Françoise qui avait eu beaucoup de mal à supporter ce changement d'environnement soudain. Elle faisait jusqu'à peu des insomnies et des crises d'angoisse, c'est une enfant sensible et délicate, rêveuse et timide, qui passe énormément de temps dans sa chambre à lire, et a câliner fièrement sa petite sœur de six mois, qu'elle adore. Pour moi, une excellente nouvelle : Louis vient d'acquérir une maison dans le sud de la France, d'abord il voulait nous y installer, mais voyant la santé faible de Claude, nous attendront un peu. Louis compte la louer et nous permettre de vivre des rentes, car suite à une erreur, ils lui ont retiré son poste de capitaine dans l'armée. Plutôt énervé, il est revenu auprès du Roy et a récupéré après maintes négociations son poste de garde. Depuis, je le vois un peu plus, j'aimerais énormément partir avec les enfants vivre dans le sud de la France, mais pour l'instant, Claude est notre priorité, lorsqu'elle aura deux ou trois ans, sans doute quitterons nous Paris pour le soleil ? Ils disent que l'été va être très sec et aride, je vous conseille de faire vos réserves de provisions, nous risquons de manquer de nourriture et d'avoir chaud. Au moment où je vous écris, Claude est encore malade, elle tousse jour et nuit, aussi nous pensons que l'air de la montagne l'aiderait à mieux respirer. Les filles sont très compréhensives, très calmes aussi, Anne, même si elle n'a que deux ans, ne pleure presque jamais et se contente d'obéir à sa nourrice, Victoire, qui est aussi très petite, est un peu plus capricieuse, mais je sais que la situation n'est facile pour personne, même pour ceux qui ne disent rien. Louis m'a appris le mariage de son cousin Charles, et puisque nous sommes invités, le dimanche vingt – huit février de l'année prochaine, nous nous y rendrons avec joie. Votre petit Émile doit avoir bien grandi depuis la dernière fois où vous étiez venue à la maison, nous attendons votre visite, un soir ou même un dimanche midi, après la messe, venez donc avec les enfants prendre un repas avec nous, les cousins pourront ainsi se saluer pour la première fois.
Bien affectueusement, Maddie Madeleine
Cela me fis sourire, Maddie devait être le surnom que Louis lui donnait. J'aurais adoré aller prendre un repas chez Louis et Madeleine, mais j'étais sûre que mon mari refuserait, et puis nous ne pouvions pas y aller, la nouvelle voiture était trop petite pour nous tous.
Le trente mai, nous déplorions la mort d'un des plus grands écrivain et philosophe de notre temps, François - Marie Arouet dit Voltaire, décédé d'une effusion de sang dans la poitrine, suite à une lente agonie.
Gabrielle mit au monde sa fille Jacqueline le huit juin, vraiment très heureuse de ce deuxième enfant tant attendu. François se fichait bien de cette petite sœur, il avait d'autres choses à penser, préférant jouer au village avec ses amis filles et garçons, aussi mais surtout avec Lucienne, dont Émile et François se disputaient le droit d'être l’amoureux. Elle était si mignonne malgré son jeune âge, elle avait deux ans et demi et d'adorables boucles blondes toujours attachées d'un ruban rouge ou violet, par sa maman si courageuse que je ne voyais presque jamais, avec six autres enfants à gérer, ses sorties se limitaient aux lessives et au marché le dimanche après la messe. Il était dit qu'elle était veuve, et même si je n'avais jamais vu le père de famille, il était possible que tout ne soit que rumeurs. Je prenais une fois Jacqueline dans mes bras, elle était si légère que je me demandais si ce n'était pas une poupée, mais Gabrielle riait en m'affirmant que non, elle n'avait pas accouchée d'un jouet. Émile, qui avait d'ailleurs fait d'énormes progrès en matière de langage, aurait bien voulu voir la petite sœur de François.
—''Je peux voir ta petite sœur François ?
Il ignora Émile et courut vers ses jeux, tandis que Émile le suivait en insistant
—''Alors ? Je peux voir ta petite sœur ? Dit ?
François regarda Émile et lui répondit l'air un peu hautain
—''C'est ma petite sœur à moi d'abord, toi t’a pas le droit de la voir
—''Mais pourquoi ? Moi aussi je veux la voir. J'ai le droit, c'est même maman qui l'a dit.
Il leva la tête pour réfléchir et se retourna vers Émile
—''Bon d'accord, tu peux la voir. Et les deux enfants s'en allèrent vers l'unique chambre de la maison pour voir Jacqueline dans son berceau, qui n'y était pas.
—''Tu vois, elle n’est même pas là ! Mamaaaan… Jacqueline elle est où ?
Ils coururent dans la maison, passèrent dans chacune des trois pièces, puis comme ce fus vain, ils sortirent, et trouvèrent Gabrielle qui étendait son linge avec à son pied, la fameuse petite sœur. Émile s'accroupit pour mieux observer le bébé immobile, mais François ne regardait que les fourmis qui escaladaient le couffin, aussi quand François fut déjà lassé de ses observations, il prit son ami par la manche et l'emmena jouer plus loin, sans même lui demander son avis.
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