Chapitre 28A: mai 1779
Chère Louise,
Allez-vous bien ma cousine ? Je prends de vos nouvelles, car cela fait assez longtemps que je suis sans nouvelles de vous. Mon fils Georges est rentré le vingt – neuf mai, c'est un jeune homme désormais, il s'entend assez bien avec Charles, mais avec son père, c'est plutôt compliqué. Il ne sait pas ce qu'il veut faire de sa vie, Joseph voudrait le voir avec lui au négoce mais il s'y oppose, clamant comme excuses que son frère Philippe saura mieux lui succéder. En attendant, il étudie les chiffres à la maison, chez maman on n'est mieux que nulle part ! J'ai d'autres choses à vous dire, notamment par rapport aux lettres que j'ai retrouvé de maman, Marguerite si vous voulez, décédée il y a dix ans déjà. Ma mère entretenait des relations extraconjugales, comme nous le savions dans notre enfance, et j'ai appris avec étonnement qu'elle avait donné naissance à deux enfants, tous deux placés aux Enfants Trouvés en 1730 et 1735, année qui correspond à son mariage avec papa. D'abord dégoûtée par maman, que nous savions si proche de papa, j'ai entrepris de retrouver l'aînée de ces enfants, Jeanne, née d'après les lettres à son amant, le dix août 1730, ma mère avait juste dix – neuf ans, l'autre il n'est dit ni son prénom ni sa date de naissance puisque leurs correspondances cessèrent avant l'année 1735. Si vous avez d'autres éventuelles informations, faites - les moi parvenir.
France
Particulièrement étonnée par ces révélations, mais incapables de donner a ma cousine la moindre information sur ces liaisons illégitimes mais pas extraconjugales contrairement a ce que me disait France, puisque Marguerite n'était pas encore mariée, je me contentais de lui répondre par politesse.
France,
Je vais bien en effet, bien que je sois secouée par les révélations que vous me dites là, vous auriez donc deux frères ou sœurs illégitimes ? Ce que je peux vous dire, c'est qu'ils sont sans doute morts, on ne survit pas longtemps aux Enfants Trouvés. Je ne peux pas vous donner d'information supplémentaire, d'abord parce que je n'ai pas les lettres sous les yeux, et puis je ne connais pas bien votre famille, que ce soit du côté de votre mère ou de celui de votre père. Marguerite avait toujours été pour moi une femme des plus belles qu'il soit, au visage angélique, sa voix si douce me berce encore depuis ma petite enfance, j'ai du mal à imaginer qu'une femme aussi merveilleuse ait pu être mère en dehors de son mariage. Bien heureusement, pour elle le secret aura été gardé toute sa vie, désormais, elle n'aura plus à se mordre les doigts je pense pour ses enfants abandonnés de façon totalement légitime je pense, une fille – mère (je n'insulte en aucun cas la mémoire de Thérèse), n'étant pas bien perçue dans nos sociétés très conservatrices. Sur ces mots, je vous souhaite une excellente continuation et je vous promets que si jamais il y a, de vous donner les informations sur les relations de Marguerite.
Louise.
Lorsque un soir, ne sachant pas quoi faire et n'étant pas fatiguée, je dressais la liste de ce que j'aimais et ce que je détestais, je me trouvais tout de suite plus inspirée par les choses qui m'étaient agréables. J'aimais bien, les soirs d'été, ouvrir ma fenêtre et passer ma tête au dehors pour observer les rares lumières du village encore allumées, humer l'odeur du soir, une odeur indéfinissable, car elle n'avait pas vraiment d'origine, mais tellement agréable, écouter les chiens qui aboyaient, les grillons qui crissaient, et me rendre compte qu'une fois le soir venu, tous les habitants retrouvaient leur calme et leur sérénité, dans leurs maisons, avec leur famille.
Léon – Paul faisait cela lui aussi, sauf qu'il hurlait comme un loup pour faire aboyer Lion, une sorte de rituel avant d'aller dormir, cela ne plaisait pas a mon mari qui lançait parfois depuis la fenêtre de sa chambre sa pantoufle sur le chien, pour le faire taire.
J'aimais aussi quand mon mari était d'accord avec moi, quand il approuvait totalement ce que je lui avais dit, j'aimais ressentir cette fierté d'avoir su dire le bon mot au bon moment. Il y avait aussi dans les livres que je trouvais du plaisir, les histoires d'amour en particulier, seulement j'aurais aimé qu'il ne leur arrive rien de mal, juste qu'ils puissent vivre leur passion, une histoire sans soucis, juste pour lire un livre qui fasse du bien.
Sinon, je détestais le pain trempé dans la soupe, immonde mixture pâteuse et granuleuse qui donnait envie de vomir, rien qu'à la vue. J'étais adulte alors je sauçais désormais si je voulais, mais plus jeune, je m'étais pris des gifles pour cela, la règle était que l'assiette devait pouvoir resservir sans être lavée, bien sûr la vaisselle était nettoyée mais c'était une sorte de repère pour savoir que l'on devait absolument tout manger. Mes fils adoraient tremper dans leur soupe et ils en étaient venu une fois à saucer avec le fromage ! Je les avais sermonnés car bien entendu, le fromage était un met cher, que je n'achetais au marché que rarement, bien trop précieux pour être gaspillé dans la soupe.
Enfin, je détestais me laver, d'abord on ne s'habituait jamais vraiment à se baigner dans l'eau glacée, surtout en hiver où il faisait déjà suffisamment froid dans la maison, et puis à chaque fois que je voulais passer un peu de temps dans ma chambre à me faire belle, les enfants ou mon mari venaient frapper à la porte, en me demandant de me dépêcher ou me réclamer à coups de cris, comme si j'étais sourde.
Avec Léon–Paul et Malou, on parlait souvent de ma famille. Ils étaient assez curieux de connaître leurs origines, surtout quand elles remontaient loin, et qu'ils pouvaient identifier l'époque avec leurs connaissances.
—''Du plus loin que je connaisse mes origines, je sais que votre arrière – grand – mère était née en 1686, elle vivait au temps du roi Soleil. C'était la mère de ma mère.
—''C'est vrai ? Me demanda Léon – Paul, elle a connu Louis XIV ?
—''Non, elle ne l'a pas vraiment connu, mais elle a vécu longtemps à son époque, au moment où il régnait sur le royaume de France.
—''Elle est morte ? D'après la question favorite de Malou, obsédée par la mort des gens.
—''Malou… Calculez l'âge qu'elle aurait aujourd'hui, vous pensez vraiment que c'est possible qu'elle soit encore en vie ?
Malou se concentra, compta un peu sur ses doigts, et cria presque :
— 94 ans !
—''Presque, 93 ans, nous ne sommes pas encore en 1780. Alors, qu'en pensez-vous ?
—''Elle avait presque cent ans ! Moi je suis sûre qu'un jour les médecins feront vivre les gens jusqu'à cent ans, d'ailleurs Mathusalem a vécu 969 ans, mais c'est une légende, n'est-ce pas ?
—''Oui bien sûr, sinon cela se saurait. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut douter de la religion, elle qui est bien vrai et importante. Aimez Dieu mes enfants, soyez de bons Chrétiens et il vous fera vivre longtemps.
—''Maman, pourquoi Simon il est mort ?
J'entendis Malou reprocher sa question à Léon – Paul, doucement, comme si elle craignait ma réaction face à ce sujet sensible.
—''Je peux parler de cela Malou, j'ai fait mon deuil depuis. Simon avait de la fièvre, il n'a pas supporté d'avoir trop chaud. Je me souviens, quand il est décédé, Léon – Paul vous veniez de fêter vos deux ans, vous étiez encore petit.
— Ça veut dire quoi dé – cé – dé maman ? Demanda mon curieux de fils
—''Mort, envolé vers Dieu.
—''Mais quand on est mort, on voit quoi ? Du noir ?
—''On ne voit rien trésor, on est mort. En revanche, on peut aller au paradis, si on a été sage.
—''Mais on voit forcément quelque chose maman…
—''Regardez, votre père est arrivé, vous pourrez lui poser la question. Moi il faut que j'aille préparer la soupe.
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