Chapitre 2F: novembre - décembre 1753

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Au mois de novembre, on fêta les sept ans de Camille. Une grande réception fut organisée, avec un gros gâteau planté d'autant de bougies. C'était une étape très importante, car la jeune fille atteignait l'âge de raison. Elle suivrait désormais des cours régulièrement, de clavecin et de Latin bien sûr, mais aussi d'algèbre, de français, de danse, de rhétorique et de géographie. Un programme chargé l'attendait ! Malheureusement pour Louise, cela voulait dire encore moins de temps à passer avec elle.

Ses professeurs lui furent présentés, sept au total, tous bien connus de Marguerite, car ses trois filles avaient appris grâce à leurs leçons.

Au début du mois de décembre, après que Louise, Anne et Camille aient reçu leurs cadeaux de Saint-Nicolas, Marguerite les sollicita pour décorer l'appartement en vue de fêter la naissance du Christ le vingt-cinq de ce mois. Louise mit tout mon cœur à installer les guirlandes, accrocher le houx sur la porte d'entrée, disposer la crèche avec toutes les petites figurines. Lorsque, pleine de bonnes intention, elle installa l'enfant d'argile dans son couffin, Camille l'intercepta gentiment.

— Ma sœur, voyez, le petit Jésus n'est pas encore né, vous pourrez l'installer le vingt-cinq décembre, après la messe. Allez donc ranger cette figurine.

Louise s'exécuta docilement. Puis elles terminèrent la décoration par quelques guirlandes supplémentaires ici et là.

Après avoir accompli leur tâche, les filles décidèrent d'aller jouer au square, malgré le froid certain en cette période de l'année. Une fois que moufles, bottes, manteaux et bonnet furent enfilés, elles traversèrent toutes les trois la route qui les en séparait. La neige avait recouvert les toits, en bas, la chaussée rendue glissante par le verglas, et ici et là, quelques enfants transis de froid vendaient des allumettes pour tenter de survivre jusqu'au retour des beaux jours. Louise les regardait l'air triste, Camille attrapa doucement sa main.

— Ne vous apitoyez pas, Louise–Victoire... La vie est parfois injuste, nous ne pouvons pas aider tous les pauvres enfants qui vivent dans cette ville, c'est par centaines qu'ils se comptent.

Petite Louise fut étonnée de la réflexion de Camille, elle qui était si gentille et toujours prête à aider les autres. Elle ne comprenait pas du haut de ses trois ans et demi que nous ne pouvions pas aider ces personnes-là, et que même si on leur donnait quelques livres, cela ne suffirait pas forcément pour leur permettre de survivre à cet hiver rigoureux.

Au square presque désert, Louise et Anne retrouvèrent deux amies à Camille, qui se racontaient des potins blotties contre un arbre dénué de feuillage. Camille–Marie prit part à leur discussion tandis que Louise et Anne écoutaient avec beaucoup d’intérêt.

— Que vous racontez-vous donc ? Est-ce à-propos des garçons ?

— Entre autre, saviez-vous que Mathurin, Armand et Jules avaient, il y a quelques temps, escaladés le muret du square pour descendre chez la femme qui habite de l'autre côté pour y voler des oranges ?

— Je l'ignorais, ont-ils été punis ?

— Nous ne l'ignorons, c'est Madeleine et Marie–Marguerite qui nous l'ont raconté.

C'était le genre de discussion que pouvait mener la grande sœur des heures durant.

Quand le froid commença à lui faire mal aux doigts, Louise décida toute seule de rentrer à l'hôtel. Anne écoutait toujours attentivement la conversation de Camille et de ses amies, et ne s'aperçut donc pas qu'elle s'éclipsait.

Bien décidée à rentrer se réchauffer, et ne voulant pas déranger leur conversation, elle se mit en chemin pour l'hôtel. Il n'y avait qu'une route passante à traverser, mais lorsque son regard croisa un petit chien qui remontait la rue perpendiculaire et s'engouffra bientôt dans un immeuble, elle ne pouvait s'empêcher de le suivre.

Sans hésitation, complètement dépassée par sa curiosité, Louise s'engouffra à son tour par la porte entrouverte de cet immeuble parmi d'autres. Le lieu paraissait bien entretenu, l'odeur semblable à celle des vieux livres que conservait l'oncle Jean dans sa bibliothèque. Sa bouille juvénile afficha un large sourire en retrouvant le petit chien qui grattait à une porte. Elle se baissa pour caresser son poil doux, et c'est alors qu'une voix grave et fatiguée se fit entendre de l'autre côté de la porte.

— C'est encore vous, mon bon ami ?

Puis elle s'ouvrit lentement.

Un homme archaïque apparut, sans chaussures, il portait un monocle et sentait plutôt mauvais. Complètement apathique, on aurait dit qu'il venait de se réveiller. Lorsque l'animal lui passa entre les jambes pour pénétrer dans le logement, Louise le suivit. C'était vraiment minuscule, une petite pièce qui servait à la fois de cuisinette, de chambre et de remise.

Louise retrouva l'animal lové sur le petit matelas posé à terre qui devait servir de couchage. L'homme vint la rejoindre, il ne savait pas quoi faire d'elle. En tout cas, il ne chercha pas à ce qu'elle sorte de chez lui. Profitant de la situation, Louise s'installa à la vieille table, sur un des deux rondins de bois installés autour. L'homme arriva, et s'exclama sans conviction.

— Vous n'allez tout de même pas croire que je vais vous faire à manger. Débrouillez-vous si vous avez faim, j'ai du ragoût, faites-le réchauffer.

Immobile, elle fixait l'homme de ses yeux d'ange. Il craqua et finit par lui faire réchauffer le plat. Ce ragoût-là n'avait rien à voir avec celui que faisait la cuisinière de la maison, il avait un goût amer et écœurant.

Après qu'elle eut mangé son assiettée, Louise réclama un dessert. Mais le monsieur n'en avait pas.

Déçue, car elle tenait à sa tranche de fromage à la fin de son repas, boudant en tant que petite fille capricieuse et gâtée, elle s'en retourna vers le semblant de matelas au milieu de la pièce. Elle s'y allongea recroquevillée dessus et s'endormit.

À son réveil, l'homme se tenait devant elle, son fidèle compagnon à ses côtés.

C'est alors qu'il lui tendit la tranche de fromage qu'elle avait réclamé. Louise la dévora avec avidité sans même le remercier. La nuit suivante, la petite fille s'endormit sur son couchage, tandis que le vieil homme partageait avec son chien le tapis du salon. Au matin, Louise le secoua pour avoir son déjeuner.

Plein de bonnes intentions, il lui en prépara un composé d'un bout de pain, de graisse de canard et d'un verre de lait. Le lait, hormis son goût atroce, donna à Louise d'horribles maux de ventre. L'homme tenta d'apaiser le mal qui retournait ses intestins dans tous les sens, et à défaut de bouillotte, lui plaça sur le ventre un linge humide imbibé d'eau chaude. Cela la soulagea un tantinet, mais c'est à ce moment-là qu'elle réalisa que sa famille lui manquait.

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