Chapitre 3D: octobre 1754 - février 1755

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Cette période fut difficile pour Louise. Sa cousine Anne restait alitée, et bien qu'elle guérisse doucement, il lui était impossible de quitter son lit. Marguerite et Jean ne s'entendaient plus, ils se disputaient pour un rien, cela bouleversait Camille qui passait ses journées enfermée dans sa chambre. Tandis que Louise n'en faisait toujours qu'à sa tête.

L'atmosphère étouffante, les cris incessants, les larmes qui coulaient à flots et l'indifférence face à sa personne firent craquer la petite fille qui demanda donc à son esclave préférée, par sa douceur et sa délicatesse, de l'emmener prendre l'air.

Lorsqu'elles furent descendues dans la rue, Louise se sentit mieux et l'air frais sur son visage lui redonna envie de sourire. Elle discutait un peu avec la négresse, lui posant beaucoup de questions. Celle - ci, qui parlait français, lui répondait parfois, mais toujours maladroitement.

Lorsque Louise, dans son petit âge, lui demanda quand son enfant naîtrait, elle sembla confuse, et ce fut la même chose lorsqu'elle lui posa la question sur la façon dont étaient fabriqués les bébés.

Louise ne croyait déjà plus sa sœur, qui lui avait affirmé que les filles venaient au monde dans les roses et les garçons dans les choux.

La petite fille pensa que c'était étrange que l'esclave ne sache pas lui répondre, alors qu'elle en portait un dans son ventre. Elles s'assirent sur un banc dans un parc face à une rue passante de voitures bruyantes. Louise ramassa une plume à terre, c'était doux comme sensation, de se la passer sur la joue. En cette fin du mois de septembre, le vent soufflait fort, faisant s'envoler les feuilles des arbres, mortes, comme la nature en cette période. À Paris, les enfants jouaient encore de bon train dehors. Louise n'était pas pressée de rentrer chez elle, mais le froid lui attrapait les jambes et cela devenait insupportable. Elle demanda à rentrer.

De retour à la maison, l'ambiance n'avait guère changé, comme si Louise aurait espéré qu'une fois rentrée, tout serait redevenu comme avant. Éventuellement aurait-elle pensé retrouver sa tante occupée à son tricot, sa sœur jouant du clavecin et sa cousine qui faisait boire le thé à ses poupées sagement dans sa chambre, mais ce n'était que de l'espoir. Bien, heureusement, Anne quitta son lit quelques jours plus tard, et l'ambiance si tendue se calma. En apparence seulement.

Le soir, au chaud dans son lit, Louise les entendait se disputer. Son oncle criait sur sa femme, car elle n'assumait pas suffisamment l'éducation de ses deux nièces, soit Camille et Louise. Cela la rendait triste, et la laissait imaginer les pires situations. Les abandonner ? Les rendre à leurs parents ? Les tuer ? Son imagination débordante lui faisait faire des cauchemars.

Quand fut fêtée la Saint-Nicolas, le six décembre, le père fouettard lui apporta une verge et un fouet, car elle avait été pénible sur les derniers mois de cette année. Louise s'en retourna vers sa chambre, mécontente, vexée de ce cadeau si honteux. Camille, qui venait de recevoir un sachet de friandises, vint s'asseoir près d'elle et lui chuchota au creux de l'oreille :

— Ne vous en faites pas, ma sœur, je partagerais avec vous.

Puis elle lui tendit un bonbon, et petite Louise retrouva le sourire.

En janvier, pour l'Épiphanie, une belle galette de beurre cuisinée tout spécialement les attendait sur la table. La coutume faisait que la personne qui trouvait la fève dans sa part de gâteau était élue roi ou reine. Comme ce fut Camille qui la trouva, c’est elle qui devint reine jusqu'à la fin de la journée, pouvant par exemple demander une seconde part de gâteau ou un petit cadeau. Pour Louise, cela ne changea rien, elle l'était à ses yeux tout au long de l'année.

Plus tard dans le mois, une lettre arriva pour l'oncle de Louise. Ce n'était pas un message banal, car lorsqu'il eut terminé de le lire, il se dirigea d'un pas pressé vers son bureau et s'enferma. Une heure après, il enfila son manteau pour sortir. Tout ça sous les regards médusés des enfants. Marguerite expliqua plus tard qu'il s'était rendu au chevet de sa mère, mourante, pour l'accompagner jusqu'à son dernier souffle. Il rentra le lendemain matin, les yeux rougis par les larmes, passant cependant le reste de la journée dans son cabinet, dissimulant sa profonde tristesse par pudeur. Il se rendit seul à son enterrement, sans un mot.

Un jour de février, la neige se mit à tomber en petits flocons sur Paris. Jean avait fait fabriquer à chacune une luge de bois, qui leur permettait de dévaler avec rapidité les bosquets enneigés. Tous les enfants avaient la leur, et il fallait attendre son tour pour accéder à la piste. Seules Marie–Anne et Marie-Catherine n'en possédaient pas, petite Louise leur prêta donc la sienne. Marie – Anne eu l'idée saugrenue qu'elles se mettent à trois dessus. La luge, arrivée au milieu de la descente, se planta sous le poids cumulé dans la neige, et les trois filles effectuèrement un beau soleil pardessus. Trempée, sonnée et au bord des larmes, Louise rejoignit son esclave préférée assise sur le banc du parc. Fatiguée par sa grossesse, son ventre prenait beaucoup de place. La naissance du bébé, prévue pour le mois prochain d'après mon oncle, la rendait impatiente, quelle hâte avait - elle de voir son enfant !

Tout le monde l'entendait crier à travers l'hôtel, elle souffrait beaucoup, et Louise aurait aimé pouvoir la rassurer, mais sa tante leur interdisait formellement l'accès à la chambre.

La matrone et la mère bataillèrent des jours durant pour faire naître cet enfant. Malheureusement, après une bien trop longue lutte, la sage – femme abandonna, car les deux devenaient trop faibles. La sage - femme, dans un dernier geste, prononça cette phrase, que Louise entendit en appuyant son oreille contre la porte.

— Enfant, si vous êtes vivant, je vous baptise au nom du père, du fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Avec ce qui lui restait de forces, l'esclave demanda à la sage-femme de prénommer l'enfant, fille ou garçon, avec le prénom qu'elle lui chuchota à l'oreille. Elle s’éteignit quelques heures plus tard, sans donner d'explication. Après que le médecin ait confirmé le décès de la mère, le bébé fut retiré de son corps. D'après ma tante, le bébé, une fille, était incroyablement gros. Dans le cimetière non loin de la maison, fut enterrée aux côtés de sa mère une enfant prénommée, Nadège. Elle portait un prénom qui signifiait ''espoir''.

Déchiré par la mort si violente de son esclave, à laquelle toute la famille s'était attachée, Jean prit la décision radicale de vendre ses deux autres nègres. Il n'y aurait plus d'esclaves à la maison, seulement des employés payés. Leur vie changea, car ces employés, en plus de ne faire que strictement leur travail, coûtait de l'argent à l'oncle de Louise et n'étaient pas toujours très sympathiques avec eux. Marguerite engagea une gouvernante pour suivre de plus près l'éducation de Louise. Elle s'appelait Symphorienne.

Cette femme l'emmenait souvent se promener, et un jour, elles découvrirent une curieuse agitation dans une rue qu'elles empruntaient. Sans gêne, Louise se fraya un chemin parmi les gens attroupés tel des abeilles autour d'un pot de miel. L'origine de cet essaim était un homme, vêtu tel un troubadour, qui possédait un singe savant. L'animal ressemblait étrangement à celui des livres d'images de Camille.

Symphorienne veillait à ses fréquentations, surveillait son langage en la reprenant à chaque phrase mal prononcée. C'était au début agaçant, mais que l'on s'occupe d'elle la satisfaisait. Louise en avait besoin.

Un peu plus tard, Louise se promenait dans la ville avec sa gouvernante lorsqu'elle croisa un unijambiste qui marchait lourdement appuyé sur une canne, pour compenser son membre absent. Étonnée, elle demanda à madame Grosein ce dont il lui était arrivé. Elle lui répondit avec un sourire en coin.

— Comment voulez–vous que je le saches ? Je ne crois pas m’appeler Madame Irma Louise–Victoire. Allez lui demander si cela vous titille tant.

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