Chapitre 5C: juin 1756
Malheureusement, la portée de mes actes alla bien plus loin qu'une simple privation de souper.
En effet, ma tante, sachant à présent qu'Élisabeth tenait un journal, ne pu s'empêcher de le lire. Elle su ainsi que sa fille s'était éprise d'un garçon, et cela ne lui plaisait pas du tout. Elle convoqua plusieurs fois Elisabeth, tentant par toutes les manières de lui faire renoncer à cet idylle qui finirait mal. Mais Élisabeth ne voulait rien entendre, ''je l'aime'' répétait - elle pour couper court aux réflexions de sa mère. Craignant pour la réputation de la famille et souhaitant la donner en mariage avant qu'il ne soit trop tard, Jean décida de la marier au plus vite à un jeune avocat, dont le père était une de ses proches connaissances. Cela ne posait pas de problèmes car mon oncle Jean, avant même qu'il ne décide de marier sa fille, avait déjà reçu des visites de prétendants intérressés. L'an prochain, entendais - je. Une décision malheureuse, qui fut prise faute d'autre solution.
Du haut de mes six ans, je me demandais bien pourquoi Élisabeth était aussi ébranlée à l'idée de se marier. Je pensais sincèrement qu'un mariage était forcément comme dans les contes de fées, heureux et amoureux. Si il s'agissait d'un événement aussi triste, alors jamais je ne voudrais me marier.
Les questions débordaient de mon esprit, je me demandais si comme disaient mes amies, ma cousine embrasserait son amoureux sur la bouche, ferait un bébé avec lui, ou même, et que voulait dire ‘'faire l'amour''. Lorsque je posa une fois ces questions à ma tante, je sentis un grand malaise et elle m'ignora avant de changer comme si de rien n'était de conversation. Alors mes interrogations restèrent sans réponse, rangées dans un coin de ma tête.
Avec Camille, nous nous disputions souvent, toujours pour des broutilles, mais cela me blessait. Une fois parmi tant d'autres, elle me cherchait, venant de me surprendre suçant mon pouce, chose dont j'avais honte malgré mon jeune âge. Ainsi, elle courait autour de la table du salon en clamant sur un ton de petite fille moqueuse :
— Louise–est-un-bébé ! Louise-est-un-bébé !
Très énervée, je la poursuivais alors, tentant de la frapper, bouillonnant de l'intérieur. Quand je la rattrapais, ce fut pour m'acharner sur elle de toutes mes forces, les dents et les poings serrées à en souffrir. Camille se roula alors par terre en riant sous les tapes que je lui donnais, cela ne faisait qu'amplifier ma colère. Mon oncle ou ma tante finissaient toujours par nous séparer et c'est moi qui me faisait à chaque fois punir. Voilà pourquoi j'aurais voulu être une grande sœur.
J'étais une enfant casse – cou, aimant grimper aux arbres, courir, sauter par-dessus les bancs. Le jeu que je préférais, c'était m'élancer du haut de la balançoire. Prendre assez de hauteur, puis sauter, voler une seconde et retomber sur mes pieds ou plus souvent, m'écraser contre la terre battue. J'avais le droit à des remontrances car le soir, quand je rentrais, j'avais les genoux en sang, le visage plein de terre et la robe terreuse. Ma tante et ma gouvernante me grondaient souvent pour ces raisons.
— Ce n'est pas normal Louise, vous devriez pouvoir vous amuser sans détruire vos habits, telle une petite fille modèle qui joue sagement à la poupée. Je vous défends désormais de vous adonner à ce genre de jeux, vous n'êtes pas un garçon, mais une petite fille qui devrait savoir se tenir en public et ne pas faire honte à sa famille. Et si c'est la faute à vos fréquentations, je ferais ce qu'il faudra. Ais - je été assez claire ?
— Oui ma tante. Mais mes amies n'y sont pour rien, je vous le promets !
— Je l'espère pour vous.
Madame Grosein m'accompagnait désormais au parc, mon seul moment de liberté n'en était plus un. Elle surveillait même mes amies, qui n'avaient rien à se reprocher, qu'est - ce qu'elle m'agaçait ! Elle me disait de faire attention à ces amies, mais je les connaissais depuis trois ans ! Je la trouvais très mal placée pour faire ce genre de réflexion, comment pouvait–on juger sans connaître ?
Avec les jumelles, nous venions de commencer une collection de boutons. Notre cachette se trouvait dans le creux d'un arbre, c'est là que nous entreposions nos trésors. Personne n'avait le droit de savoir.
Chaque matin, lorsque nous nous retrouvions, chacune présentait ses trouvailles. J'avais dû pour cela trouer beaucoup de chemises et de chapeaux, mais cela valait la peine. Je revenais les mains pleines de magnifiques boutons de nacre, dont certains en ivoire. Les sœurs n'en ramenaient pas beaucoup, et c'est moi qui approvisionnait le plus la réserve. Nous enterrions tous ces trésors, et peut être qu'un arbre pousserait, comme me l'avait assuré ma sœur. Chacune notre tour, nous l'arrosions avec de l'eau de la fontaine publique. Mais même au bout de plusieurs jours, rien ne poussait, alors nous abandonnâmes. En plus de ça, je me fis punir par ma tante lorsqu'elle découvrit le pot aux roses. Ce n'était finalement pas drôle comme jeu.
Camille ne m'en voulait plus d'avoir lu le cahier d’Élisabeth, mais elle s'occupait moins de moi, des distances se créaient entre nous.
Au vingt - neuf août, le journal annonçait en page principale que la guerre était déclarée.
Cette nouvelle tracassait mon oncle Jean. Si le royaume de France se battait, c'était la faute à Marie – Thérèse de Habsbourg qui tenait à récupérer le royaume de Silésie, province riche et peuplée qu'elle avait autrefois cédé à Frédéric II.
J'avais une vision floue de ce qu'était la guerre, mais les explications de mon oncle, soldat dans sa jeunesse, non dénuées d'opinion politique, m'éclairèrent un tantinet.
Au premier septembre, une lettre arriva à l'attention de ma sœur et moi. De qui pouvait t-il s'agir?
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