Chapitre 6B: juin - novembre 1757

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En tant que jeune fille curieuse et connaissant toutes les cachettes potentielles, je récupérais une nouvelle fois le journal d'Elisabeth pour le lire. Elle y renseignait :

'' (…) Une fois que nous eûmes pris notre souper, mère me conduisit discrètement dans une des chambres, et me pria de me dépêcher à me dévêtir, car mon époux m'attendait. Maman m'aida à enfiler une mince robe et me conduisit par une porte qui donnait directement sur la chambre de Charles. L'inquiétude m'envahissait, car j'ignorais parfaitement ce qu'il se passerait avec lui.

Arrivées dans la chambre, ma mère m'embrassa une longue fois le front, me bénit et me laissa seule avec mon époux. Celui - ci, assis sur le lit, me regardait de ses yeux de braises.

Quand il se fut assuré du départ de ma mère et fermé la porte à clef, Charles me pria, de sa voix calme et posée, de m'allonger sur le lit et de fermer les yeux. C'était un homme de taille moyenne, rasé de près, qui à ce moment-là, portait tout juste une culotte a mi - jambes et une simple chemise.

Son odeur embaumée de savon, je sentais dans sa voix et voyais dans son regard que je pouvais lui faire confiance. Après de longues secondes d'hésitation, je m'exécutais, m'allongeais sur le lit lentement, comme pour lui montrer ma réticence et mon incompréhension. Quelques secondes après m'être installée sur le lit, les yeux fermés, je le sentis au-dessus de moi retirer mon mince vêtement et parcourir mon corps alors nu de ses mains chaudes et rugueuses. J'eus alors un frisson de désir. J'oubliais seulement un temps, mais très vite, je me rappelais que je me trouvais nue, ce qui me fis trembler, de froid, car la pièce n'était pas chauffée, mais surtout de peur.

Puis tout s'accéléra. Charles caressa mes cheveux, me chuchota des mots doux, m'embrassa pour la première fois sur la bouche : son désir montait, et ma peur aussi. Je l'entendis me dire quelque chose, comme pour détourner mon attention, et d'un coup, et à plusieurs reprises ensuite, je sentis comme un glaive qui s'enfonçait dans mon corps. Une fois la douleur fut passée, un sentiment intense de plaisir m’envahit. Cependant, je ne l'ai jamais aimé et ne l'aimerais jamais, Onésime resterait dans mon cœur pour toujours. (…) ''

Ce paragraphe me laissa longtemps perplexe, mais dans mon incompréhension, il y avait beaucoup de pudeur. Je ne voulais pas comprendre ce qui me mettait mal à l'aise, même si je savais très bien de quoi il s'agissait. En effet, ma sœur m'avait tout expliquée, les vrais adultes ayant beaucoup trop de pudeur pour parler de ces choses - là.

L'été s'annonçait beau, mais je devais suivre mes leçons régulièrement, malgré le grand soleil qui brillait dehors. Autrement, dans mes temps libres, je sortais dehors avec mes amies, qui entraient dans leur neuvième année. Elles commençaient l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

Je vantais mon savoir, les chiffres, les lettres, les cartes, n'avaient plus aucuns secrets pour moi, mais je ne me rendais pas compte que j’étais favorisée par rapport à elles. J'avais des professeurs dont le métier était de m'instruire, alors qu'elles n'avaient que leur nourrice, qui, dans ses rares temps libres, leur apprenait les bases pour qu'elles se trouvent un avenir.

Mon petit chien, dans la force de l'âge, était incontrôlable. Il se sauvait des heures durant et nous le cherchions :

— '' Cador ! Cador ! Où - êtes-vous passé ?

Souvent, au bout de plusieurs heures, il réapparaissait, la queue frétillante de bonheur, appréciant les caresses dont nous le gavions, les grattouilles sous le ventre et les baisers sur la truffe humide.

Au mois de septembre, France rentra du couvent.

La jeune fille que j'avais connue avant son départ s'était métamorphosée, passée d'adolescente à jeune femme. Sa petite sœur Anne désormais sous terre aurait nagé dans le plus grand des bonheurs si elle avait été présente pour son retour.

Sans histoire, cette cousine-là ne se marierait pas avant cinq ou six ans. Nous assistâmes aussi à la confirmation de mon frère, qui fêterait ses quatorze ans cette année. Il était devenu un beau jeune homme.

Lorsqu' Élisabeth fit part a ses parents des douleurs d'une probable grossesse, ma tante et mon oncle ne dissimulèrent pas leur joie.

Elle habitait bien chez son époux, mais revenait régulièrement nous voir, de sorte que nous nous aperçurent bien vite de ses premières rondeurs. Quelle impatience avais-je de connaître le bébé ! Combien de cierges avaient brûlé le mari pour que ce soit un fils qui naquit ? Il aurait signifié la transmission du nom sur une autre génération, lui n'ayant pas de frère, un héritier, un petit être mâle à protéger et à éduquer.

La grossesse de ma cousine était un supplice, car, malade en permanence, elle souffrait en plus du dos, le bébé étant vraiment très gros. L'on fit venir un oracle qui prédisit la venue au monde de deux enfants, l'explication se trouvait donc là. La future mère, tellement épuisée par ses bébés, fut contrainte de rester alitée jusqu'à la fin de sa grossesse.

En novembre, le temps resta beau et ensoleillé. J'aimais ces moments dans l'année où l'on vivaient sans malheur, dans la prospérité, le sourire aux lèvres en permanence. La famille attendait avec impatience l'arrivée des jumeaux, une autre source de joie en perspective. J'étais alors la plus heureuse des enfants, bien dans ma peau, épanouie.

Un jour dans le mois, nous nous fîmes ma sœur et moi prendre en peinture, par un ami de ma tante dont c'était le métier, qui nous figea pour l'éternité. Ce fus très long, car nous dûmes poser des heures durant, mais j'avais atteint un âge où la patience était possible. Comme récompense de ma docilité, j'eus le droit d'accrocher la toile dans ma chambre. Elle surplombait mon clavecin, depuis le temps enfoui sous la poussière.

Quand il m'arrivait d'observer le tableau dans les moindres détails, je me disais que ma sœur avait vraiment fière allure.

Camille venait de fêter ses onze ans le deux du mois, je lui avais fait pour l'occasion un joli dessin suivi d'un poème avec l'écriture et l'expression d'une enfant de sept ans, à peine aidée par ma gouvernante, tenue dans la confidence.

Camille,

Vous êtes une étoile qui brille dans ce ciel si sombre,

Vous êtes la lumière dans la pénombre,

Mon affection pour vous dépasse les frontières

J’irai pour vous jusqu'au cimetière.

Ma sœur, vous êtes l'ange qui s'est penché sur mon berceau

De la vie vous êtes un cadeau.

Vous êtes mon vent de liberté, ma raison de penser, mon envolée.

Plein de bonheur pour vos onze ans. Je vous aime.

Camille m'embrassa de toutes ses forces, de toute l'affection qu'elle pouvait me porter.

De sa voix cassée par l'émotion, elle me chuchota au creux de l'oreille :

— '' Je vous aime, Louise, je vous aime très fort.

Ces mots me déclenchèrent un sourire plein de reconnaissance, d'affection, de bonheur et une étincelle au cœur.

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