Chapitre 7D: novembre 1758 - janvier 1759

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Depuis qu'elle avait été battue par mon oncle, je ne reconnaissais plus Camille.

Du haut de ses douze ans, elle ne me regardait même plus, je la trouvais trop mature.

Elle ne riait plus avec moi comme avant, ne jouait plus aux poupées. Mon seul réconfort était encore ma cousine France, mais j'avais peur du jour où elle se marierait, elle avait vingt ans.

Je continuais à grandir. Désormais, je n'aimais plus trop sortir dehors, devenant sans doute un peu casanière. Moi qui adorait auparavant jouer dans la blanche, je ne mis pas mon nez dehors lorsqu’il neigea au début du mois de décembre.

Peut – être m’avait-on attendue, mais cela ne faisait pas partie de mes préoccupations.

Pensive, j'aimais rester de longues heures dans ma chambre, à rêver. J'avais une vision du monde assez particulière, je pensais qu'il n'était constitué que d'une ville, Paris, et qu'il n'y avait rien d'autre autour. J'imaginais même que le ciel bleu que je voyais depuis ma chambre était un plafond.

Heureusement, les livres que je lisais m'aidaient à éclaircir ma vision des choses. Une Bible trônait sur ma tablette de chevet, et il m'arrivait de la lire, l'histoire de Jésus étant passionnante.

J'aimais et je devais aimer Dieu. Avant et après chaque repas, nous nous devions de le remercier de nous remplir le ventre. Avant de nous endormir comme une fois réveillés, nous devions réciter notre prière, et nous allions à la messe chaque dimanche matin, sans exception possible.

J'avais hâte d'avoir dix ans, car je pourrais faire ma première communion et comme d'après ma sœur, ça avait été le plus beau jour de sa vie, alors j'étais vraiment impatiente.

Au mois de décembre, nous allâmes visiter les pauvres à l'hospice. Il y avait beaucoup de malades et de personnes âgées qui venaient chercher la pitance devant la soupe que tendaient les soeurs de bon coeur. L'hospice était un endroit très froid, l'ambiance ressemblait un peu à celle de l'église.

Dans l'aile principale, les malades, dans l'aile droite, les orphelins, et à gauche les vieux, moins nombreux. Nous visitâmes les orphelins. Dans cette aile du bâtiment, des dizaines de berceaux alignés, où des nourrissons emmaillotés déposés quelques temps avant dans la tour d'abandon dormaient ou pleuraient dans l'indifférence générale, faute de temps pour faire de l'individualisme et les nourrir en dehors des horaires prévus.

Les enfants plus âgés, séparés des plus jeunes par un immense rideau blanc, couchaient dans deux dortoirs, avec des dizaines de lits alignés. D'un côté les garçons, et de l'autre, les filles.

Nous arrivâmes pendant leur dîner. Les enfants prenaient leur repas dans un silence de mort, on aurait dit qu'ils synchronisaient chaque cuillerée de soupe. Je les regardais avec curiosité.

— '' Ma tante, est - ce que ce sont tous des orphelins ?

Elle hocha positivement sa tête toujours chapeautée lorsque nous sortions.

Marguerite plaça une petite bourse de pièces dans la main d'une des bonnes sœurs, qui la remercia de ses mains jointes et nous quittâmes le bâtiment.

Je fus étonnée qu'il fasse aussi froid dehors que dans l'hospice. Les rues étaient recouvertes de neige, et chaque pas laissait une trace. Cela m'amusait.

Puis les flocons se remirent à tomber, fondant sur mon visage quand je penchais ma tête en arrière. Mes cheveux et mon visage étaient trempés, car je n'avais pas remis mon châle après la sortie de l'hospice, ce qui fâcha ma tante.

Nous marchâmes jusqu'à l'hôtel, et quand nous entrâmes, Marguerite donna les consignes aux employées qui n'arrêtaient toujours pas de se plaindre des aboiements de mon cador. Nous montâmes ensuite jusqu'au premier étage où ma professeure m'attendait pour la leçon de latin.

Rien ne se passa d'important jusqu'en janvier, du moins d'après ma mémoire.

Au nouvel an, ma cousine nous annonça qu'elle partait avec son époux et leur fils, vivre à Lyon.

Son mari, avocat, venait d'ouvrir son cabinet là – bas, où se trouvait pour lui une belle opportunité. Ma tante, bouleversée de voir partir sa fille aînée, savait cependant qu'elle serait heureuse avec son mari et qu'il prendrait soin d'elle et de leur fils.

Élisabeth nous promit qu'elle reviendrait au moins nous voir pour les fêtes de fin d'année.

Au premier jour de l'année 1759, elle embrassa père et mère, et monta dans la voiture avec son petit Charles dans les bras. Son époux fit de même, puis le cocher fouetta les chevaux pour démarrer sans attendre. Nous savions que nous ne les reverrions pas avant au moins douze mois. Je cru voir le petit garçon appuyer son visage contre la vitre, et nous faire un vague signe d'au revoir, mais guère plus.

J'étais une jolie petite fille, gourmande, sans aucune patience et parfois capricieuse, comme le disait si bien Camille. Mes relations avec elle se trouvaient compliquées, car un jour nous nous embrassions comme des amies et l'autre, elle claquait les portes contre moi.

Quelques fois, je ne comprenais pas bien les raisons de sa haine, je crois qu'elle était jalouse de ma situation de benjamine, une position pour moi le plus souvent favorable.

Nous étions à la mi–janvier, l'après-midi grêleux et peu propice aux activités extérieures.

Ma sœur lisait assise dans le fauteuil du salon tandis que je jouais tranquillement à donner le thé à mes poupées. A un moment, Camille vint me voir en trombes, en tenant le livre dans les mains, criant que cette poupée, à qui j'avais coupé les cheveux, lui appartenait.

Elle me cria encore quelque chose d'incompréhensible, je lui lançais méchamment qu'elle n'était qu’une sale fille, puis je détala vers le salon, me recroquevillant derrière le fauteuil, parant les coups qui allaient arriver en plaçant mes mains au-dessus de ma tête.

Camille se dirigea vers moi, leva son poing en l'air au-dessus de ma tête, je fermais les yeux.

Je restais un certain moment dans cette position, mais le coup ne tombait pas. Je rouvrais les yeux, mais je ne voyais plus ma sœur. Elle pleurait dans sa chambre, mon oncle l'avait intercepté alors qu'elle allait me frapper, et l'avait punie, alors la faute tenait de moi. J'avais abîmé sa poupée et insultée. Cependant, dès le lendemain, nous étions à nouveau comme des amies.

Quand avec Camille, nous sortions dehors, nos lèvres se retrouvaient gercées à un tel point que le contour de notre bouche était rouge vif. Cela ne nous empêchait pas de nous amuser comme des petites folles avec la neige.

J'étais dans mon corps, unique, le personnage principal de mon histoire, et les autres, les secondaires. Chaque pas que je faisais, chaque objet que je voyais, chaque larme que je versais, il n'y avait que moi qui pouvait le ressentir de cette façon. Chacun de mes gestes, moi seule pouvait en connaître la raison exacte. Dans ma tête, mes pensées allaient où je voulais avec n'importe qui, personne n’irait savoir et critiquer, c'était là que je cultivais mon jardin secret.

J'avais des pensées parfois sordides, parfois sales, mais c'était agréable de savoir que tout resterait soigneusement rangé dans mon esprit.

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