Chapitre 8C: novembre - décembre 1759

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Nous assistâmes à l'enterrement, le lendemain de son décès, mais malgré mes recherches, je ne vis ni mon frère Louis, ni sa fille Elisabeth, qui ne devait pas encore être au courant du décès de son père.

Mon oncle reposait auprès de son fils, de sa fille et de ses parents. Je jetais des chrysanthèmes dans la fosse, sur le cercueil brun, dans ma robe noire, portant une voilette pour cacher mes yeux rougis par les larmes. Ma sœur me serra fort dans ses bras, j'aimais particulièrement recevoir son affection dans ces moments éprouvants.

Ma cousine France, tellement affligée, s'isola pendant la cérémonie avec sa mère. C'était difficile pour elle d'imaginer ne plus revoir son père qu'elle aimait tant.

Nous retrouvâmes des membres de la famille, qui me connaissaient, mais pas moi, dont ma grand–mère maternelle, une très vieille femme, passée une fois dans le journal tant il était rare d'atteindre cet âge à l'époque. Elle avait vu le jour au temps du roy Soleil, en l'an 1684 !

Elle était la mère de ma tante, et donc de ma mère. Nous fîmes un peu connaissance, mais elle était si âgée qu'elle avait échangé mon nom avec celui de maman à la fin de la conversation, ce qui m'agaça particulièrement.

Ma tante ne vint même pas saluer sa mère, je crois qu'elle ne savait pas que celle-ci était venue aux funérailles. Nous rentrâmes chez nous, moroses, le fauteuil du salon paraissait vide, sans mon oncle pour s'asseoir dedans. Les bouteilles de vin furent jetées dans la rivière, comme pour le faire partir définitivement de la maison. Quelques heures plus tard, ma tante nous annonça qu'elle se remariait, non pas par amour, mais parcequ’il fallait vivre, et qu'un époux nous assurerait une vie décente et confortable.

Ce fus pour nous trois, mais surtout pour ma cousine, un véritable choc, je la croyais bonne, mais elle se remariait sitôt son époux parti ! Je ne comprenais pas qu'elle fasses cela pour nous.

Sa fille, qui avait toute sa vie mesurée à quel point ses parents s'aimaient, ne comprenait pas que sa mère vive avec un autre homme. Quoi que l'on en pense, la cérémonie, vite faite, se déroulerait la semaine suivante, à l'église. Son époux était un de ses amis d'enfance, qui avait accepté de l'aider. Je me promis que jamais je ne porterai son nom, et que jamais je ne lui obéirai, car jamais il ne remplacerait mon oncle.

En attendant, ma tante se préparait, encore un peu hésitante, car c'était une décision difficile à prendre, de se remarier aussi vite, sans avoir fait le deuil de son mari. Mais elle faisait cela pour nous, pour que nous vivions heureuses, sans souffrir de la faim ou du froid.

Ma tante se remaria au 29 novembre, dans l'église de son premier mariage. Son époux, Célestin, un petit bonhomme brun, aux yeux verts en amandes, n'allait pas être sévère avec nous, de toute façon, je ne comptais pas le laisser faire. Il vint s'installer avec nous, apportant ses trois esclaves, trois femmes d'une peau si noire qu'elles m'effrayait presque, qui s'occuperaient de l'hôtel.

Une fois que Célestin m’avait corrigée une fois, je compris que je devrais me résigner, car il faisait très mal lorsqu'il frappait, encore plus que mon oncle de son vivant. Il imposa ses propres règles, je ne sortirais plus seule, et je devrais suivre des leçons de façon assidue, non plus d'histoire ou de rhétorique, mais de couture, de cuisine, ou encore de bonne tenue.

Heureusement, Camille me défendait lorsqu'il m'accusait d'une bêtise, car même si elle grandissait et avait besoin de s'isoler, elle restait ma grande sœur chérie, et moi sa petite sœur.

Célestin décida de prendre en charge l'avenir de ma cousine France, et de son mariage pour l'été suivant avec une de ses connaissances qui viendrait prochainement lui demander sa main. Cette décision me brisa le cœur, je m’étais attachée à elle, et le fait qu'elle parte en même temps que Camille, qui irait au couvent, me faisait vraiment peur. En effet, je me retrouverais seule entre deux adultes, et il n'y aurait personne pour me défendre. Mais je préférais ne pas y penser, et me dire qu’une année ne passait pas si vite que cela et que d'ici l'été prochain, j'aurais grandie et dix ans.

Lors-qu’Élisabeth revint nous rendre visite, comme promis en décembre pour la Saint – Nicolas, avec son fils de presque trois ans et son époux, et qu'elle s'étonna de ne pas voir son père, ma tante Marguerite réalisa qu'elle avait oublié de lui envoyer une lettre pour la prévenir de la mort de Jean. J'eus à peine le temps de la voir que Marguerite la conduisit dans la chambre, en appréhendant je pense sa réaction. Elle dû lui expliquer la situation, mais pour Élisabeth, c'était la faute de trop. Elle sortit presque en cassant la porte de la chambre, s'énerva comme je ne l'avais jamais vu, vociférant.

— '' Comment est-ce possible d'oublier ainsi sa fille?! Mon père décédé, je n'étais pas même au courant ! Quelle honte, vous devriez avoir honte, plus jamais je ne mettrais les pieds dans cette maison et plus jamais vous n'aurez de nouvelles de nous !

Elle accorda une brève parole à son époux qui acquiesça. Celui - ci nous embrassa, ainsi que son fils, et je les regardais quitter l'appartement.

C'était bien sûr la faute à Marguerite, car peut-être ne se serait - elle pas remariée aussi vite, aurait-elle pensé à prévenir sa fille de la mort de son père. Une immense tristesse s'empara de nous, nous ne verrons sans doute pas grandir Charles et nous ne saurons pas ce qu’Élisabeth et son mari deviendraient.

Je fus assez malade jusqu'à la fin de l'année, ma gorge irritée, mon nez bouché, et j'avais froid. Pas bien malgré les tisanes, mon mal persista jusqu'à la fin décembre. Au nouvel an, j'allais mieux, et heureusement, car pour rien au monde je n'aurais raté le passage en l'an 1760.

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