Chapitre 10C: octobre 1760
J'avais tellement sollicité Marguerite, remise quelque peu de son état, qu'elle accepta que l'on rende visite à ma grand–mère Marie–Anne, sa mère.
La voiture mit du temps à trouver l'endroit, la maison étant isolée de Paris.
C'était une vieille bicoque, dans laquelle ses filles avaient grandi, sa vie entière s'était déroulée.
Nous restâmes longtemps à la porte avant qu'elle ne finisse par s'ouvrir. Marie–Anne apparu, courbée, appuyée sur sa canne usée, resta un instant figé, devant sa fille qu'elle n'avait sûrement pas vu depuis des années, et nous invita de sa faible voix à rentrer.
Dans ce long couloir, l'air sentait la poussière, les murs recouverts d'une tapisserie moisie par endroits, et d'anciens livres trônaient par ici et par là sur une étagère branlante.
Le temps s'était figé ici, comme si ma grand–mère avait refusé d'accepter le présent, qu'elle tenait trop au passé. Dans le salon, accrochée au mur, une immense toile, sur laquelle étaient représentés un homme, une femme tenant dans ses bras un bébé. Se tenaient à leurs côtés deux filles, dont la ressemblance me frappa.
Marguerite brisa le silence installé en pointant du doigt une jeune enfant d'une dizaine d'années.
— '' C'est moi sur la peinture.
—''Qui est le bébé ?
—''C'est votre mère Victoire. Elle avait quelques mois.
Imaginer que ma mère eu un jour été si petite m'étonna.
Nous nous assîmes autour d'une petite table ronde recouverte d'une nappe aux motifs enfleurés et Marie – Anne nous raconta avec intérêt son enfance.
Elle se souvenait de sa plus tendre jeunesse dans les moindres détails, mais ne parvenait pas à retenir plus de quelques minutes mon prénom pourtant simple, elle m'appelait Victoire.
Elle se souvenait de la date de naissance de chacun de ses parents, de la date de leur mariage, et décrivit avec une précision étonnante leurs visages.
Sa mère, une femme sévère avec un visage froid et une expression tout aussi glaciale, n'avait jamais vraiment exprimé d'affection envers ses enfants. Son père était un boulanger harassé par le travail.
Ma grand–mère nous conta le jour si particulier où son plus jeune frère qu'elle adorait était venu au monde, par une soirée d'hiver de 1697, mais aussi les fois où elle avait vu mourir ses autres frères et sœurs. Elle reparlait de ses filles avec nostalgie, je crois qu'elle n'aurait jamais voulu qu'elles grandissent.
Son mari mort il y a longtemps, elle était restée veuve et seule avec Alice avant que celle-ci ne se marie et parte au Portugal. Marie–Anne souhaitait partir dans la maison où elle avait tout vécu, et rien ne pourrait l'en empêcher.
Marguerite affichait une expression mélancolique, car la maison ravivait des souvenirs plus ou moins douloureux. Les jours où naquirent Alice et enfin Victoire, elle était si fière d'être grande sœur...
Les jeux virevoltés dans la petite cour de la maison, et Victoire qui marchait à peine qui tentait de suivre ses grandes sœurs, en trébuchant à chaque pas...
Lorsque leur frère aîné mourut d'une pneumonie, Marguerite avait seulement cinq ans, mais elle l'aimait tant, Philippe...
Quand Victoire quitta la maison pour son mariage, ce fut déchirant, elle mit de longues minutes à se séparer de ses sœurs, ses nièces, Élisabeth, Marie, et France, embrassa ses parents, les serra longuement dans ses bras.
Aussi lorsque Anne naquit, non pas dans cette maison, mais tout comme, le bonheur dans l'expression de ses trois sœurs n'était pas dissimulé.
Tous ces souvenirs de moments révolus restaient profondément ancrés dans la mémoire de ma tante et déclenchaient de l'émotion à chaque fois qu'ils étaient ravivés.
Lorsqu'elle quitta sa mère, elle savait qu'elle ne la reverrait jamais, mais elle lui disait à bientôt. J'avais particulièrement apprécié cette visite et j'en étais revenue presque bouleversée.
Au mois de mars, j'accompagnais France au jardin des Tuileries. Il était fort agréable de prendre l'air.
Assise sur un banc, l'immobilité me faisait grelotter de froid, tant et si bien que je me mettais à courir pour me réchauffer, aussi vite que possible, sans pouvoir anticiper la jeune fille qui coupa ma route.
Nous tombâmes l'une sur l'autre, je me relevais vite, mais elle se mettait à pleurer.
Ne sachant pas comment réagir, je m'excusais faiblement, avant de repartir le pas pressé vers ma cousine.
France m'installa sa fille sur les genoux, avant de s'éclipser. Thérèse était lourde, bougeait beaucoup, et ne supportait pas d'être loin de sa mère. Je soupirais, que faisait-elle donc ?
Ce fus long, mais elle revint heureusement, récupéra son enfant, et l'embrassa.
C'était si beau l'amour d'une mère a sa fille. Nous restâmes un moment à regarder les enfants jouer dans le parc, Thérèse babillait, pointant du doigt les chevaux dans la rue, ayant l'air d'interroger sa mère parfois.
— '' Baba ?
—''Cet animal, ma petite, est un cheval.
Elle était vraiment mignonne avec ses deux petites dents qui décoraient sa bouche, ses joues rouges et ses cheveux ébouriffés. Thérèse fêterait sa première année le mois prochain, et de surcroît je comptais bien lui faire un cadeau digne de ce nom.
Au premier avril, alors que je cherchais toujours un moyen de trouver de l'argent pour le cadeau de Thérèse, le destin m'accorda un coup de pouce.
Je trouvais une bourse pleine de pièces dans le tiroir du bureau de Jean, tout en sachant que Célestin ne s'y rendait jamais, et que donc cela ne pouvait pas lui appartenir.
J'hésitais longtemps, ne voulant surtout pas que l'on me traite ensuite de voleuse, mais je la récupérais, persuadée qu'il ne fallait pas que je gâche ma chance.
Je la cachais impunément sous ma robe. Il y avait dans la bourse vingt louis, une petite fortune.
Bien décidée à offrir un présent à ma petite-cousine, je me rendais donc dans une petite échoppe, où j'achetais un bibelot de bois avec un grelot, idéal pour un bébé.
Malheur à moi qui alla ensuite me vanter auprès de France d'avoir acheté un cadeau à sa fille. A l'époque, j'avais beaucoup regretté ces paroles non réfléchies.
Le jour de l'anniversaire, une fois le repas avalé, ce fut l'heure d'offrir les cadeaux à l'enfant.
Thérèse reçut une belle poupée, une peluche au pelage doux, puis tout le monde attendit que je donne mon cadeau.
Seulement, je venais de penser que ce serait suspect : Célestin me traiterait sûrement de voleuse, car il ne m'avait plus donné de pièces depuis longtemps et perdu sa bourse en cuir.
L'avant-veille, j'avais menti en lui disant que j'ignorais où elle était passée.
Je me trouvais dans une situation difficile. En effet, si je disais que je n'avais pas de cadeau, je serais traitée de menteuse et punie, si je donnais le présent, je serais traitée de voleuse et sanctionnée également.
Trop lâche, je quittais la table en prétextant un mal de ventre, et m'enfermais dans ma chambre, en espérant que ma promesse soit oubliée.
Malheureusement, Marguerite alla bientôt taper à ma porte, en disant qu'ils m'attendaient tous pour que je donne mon cadeau. Très angoissée, je sortais de ma chambre pour me diriger vers le salon où attablés, ils réclamaient le présent que je leur avais promis pour Thérèse.
Timidement, j'avouais que je n'avais pas de cadeau.
France n'esquissa alors une légère expression de déception, et Célestin me rabroua.
—''Dans ces cas-là, ne promettez rien Louise.
Ainsi, tout fus oublié. Je m’étais fait une scène inutilement.
Je replaçais finalement ce qui me restait de l'argent de Célestin dans le bureau de Jean et rangeais le bibelot au fond d'un de mes tiroirs, pour que personne ne le découvre.
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