Chapitre 30C: juin - août 1781
A mon fils chéri Emile, décédé le 22 juillet 1781, dans sa cinquième année.
Assis dans l'eau tiède du bain, André grelottait, tout en éclaboussant de gestes maladroits.
Je frottais son petit corps dodu et son crâne du savon qui moussait à peine, avant de le rincer rapidement avec l'aide de Gustavine, qui m'aidait de plus en plus à la maison.
Je lui tendais alors l'enfant dégoulinant et remuant, pour qu'elle l'enroule dans la serviette chaude et le frictionne. Tout ça pendant que je réfléchissais un instant au fait que si moi, Gustavine et mon mari ne nous étions pas encore lavés, je n'avais pas d'intérêt à vider l'eau du baquet.
—''Occupez-le un instant. Je vais chercher les langes sur le fil à linge.
Je marchais d'un pas pressé jusqu'au jardin pour aller récupérer les langes nécessaires à mon fils, avant de revenir dans la chambre. Gustavine, assise tout près de lui sur le lit, distrayait André. J'en profitais pour lui montrer comment mettre les langes à un bébé, selon la technique que Gabrielle utilisait pour son fils.
Une fois les langes solidement attachés, il restait à l'enrouler amplement dans un linge, pour qu'il n'ait pas froid et puisse être libre de ses mouvements. Cela servirait forcément a Gustavine dans ses études de sage–femme, car leur rôle était aussi d'apprendre aux jeunes mères à s'occuper de leur bébé dans ses premières heures.
Lorsque Léon rentrait énervé de son travail, il suffisait de ne pas lui poser de questions et de se contenter de lui servir son repas. Il lui arrivait souvent de se plaindre des parisiens qui conduisaient n'importe comment, de ses deux associés qui ne travaillaient pas comme il le voudrait, ou encore des lettres sans suites où il réclamait son argent à Cléophas, qui bien sûr, ne donnait plus de nouvelles.
Le courrier échangé entre moi et Madeleine durant cet été portait uniquement sur les enfants. Il ne volait jamais bien haut, mais j'étais heureuse et soulagée d'avoir de leurs nouvelles.
Émile et Victoire étaient inséparables, faisant mille et une bêtises ensemble.
Comme par exemple, couper les cheveux de la poupée d'Anne, remplacer le thé que buvaient Malou et Françoise par de la terre et de l'eau, ou parmi les plus marquants, monter sur un tiroir ouvert pour attraper un jouet confisqué et placé tout en haut du gigantesque meuble, et se faire écraser par sa chute.
Je hurlais, m'arrachant les cheveux, sanglotant comme je n'aurais jamais pu le faire, effondrée, folle de douleur. Gustavine, alertée par les cris et ceux d'André effrayé par mon attitude, accouru. Elle s'agenouilla près de moi, et tenta de déchiffrer la lettre, trempée de mes larmes et partiellement déchirée.
Elle relu plusieurs fois le passage où il était écrit les mots de jamais.
Il était monté sur le tiroir de l'armoire… Il était monté sur le tiroir de l'armoire… Il l'avait fait basculer en avant… On l'a retrouvé, après que Anne soit allée chercher sa nourrice, écrasé sous le poids du meuble. Je suis désolée… Vraiment désolée (…)
Gustavine, ne pouvant me relever, me laissa là, couchée sur le tapis à sangloter, j'étais pathétique mais tellement bouleversée…
La jeune fille s'occupa d'André, tandis que Léon, mis au courant du drame, tentait de me consoler, avec ses mots maladroits. C'était trop dur. Mon petit garçon était parti en vacances et voilà qu'il ne reviendrait pas. L'on m'aida à me coucher dans mon lit le soir venu, après que Gustavine m'ait apportée la soupe, que je laissais, trop affligée.
Le pire dans cette histoire était de savoir que je ne pourrais sans doute jamais aller lui dire au revoir.
Le corps devait être enterré dans le village où Louis et Madeleine avaient leur maison, pour des raisons de décence, parce que quinze jours de voyage pour un corps, en plein été, c'était beaucoup trop. Grâce à mon petit André, je parvins à me ressaisir, mais aussi grâce à mon amie Gabrielle, qui me soutenait énormément. Léon–Paul rentra avec Malou vers le premier août, Émile étant décédé le vingt–deux juillet.
Ils pleurèrent tous deux, et prièrent pour leur frère et cousin, et je me promettais que je me rendrais sur sa tombe, bientôt.
Madeleine et Louis vinrent nous témoigner leurs condoléances, mais j'en voulais trop à Madeleine, si elle avait un tant soit peu surveillé mon Émile, rien de tout cela ne serait arrivé.
C'est comme ça que je coupais les ponts avec mon frère et ma belle–sœur. Plus jamais je ne voulais de nouvelles d'eux, plus jamais qu'ils viennent s’immiscer dans notre vie pour la détruire.
Une lettre pour leur dire ce que j’avais sur le cœur et tout était fini.
Après avoir organisé ce long voyage durant quelques jours, nous partîmes tous deux, avec Léon, nous rendre sur la tombe de notre petit garçon.
Quinze jours de route pour arriver dans le petit village d'Aubagne, bercé par le chant des cigales, les oliviers centenaires et le soleil accablant.
Au milieu de tant d'autres, dont beaucoup trop d'enfants, nous trouvâmes la petite stèle d’Émile.
Je priais très fort et très longtemps pour son âme, il y avait bien trop peu d'écart entre ces deux dates gravées à tout jamais dans le marbre gris et luisant.
01/01/1776 - 22/07/1781
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