Chapitre 26B : mai 1776
Mon trésor rentra un soir pour l'en–cas les cheveux trempés et les vêtements dégoulinants, il n'avait plus ses chaussures et il grelottait de froid. A la question de pourquoi s'était-il baigné tout habillé, il me répondit la voix cassée que son copain Charles avait manqué de se noyer et qu'avec ses autres amis ils étaient venus l'aider, avant qu'un homme n'intervienne. J'étais fière que mon fils ait voulu porter secours à son ami, mais agacée qu'il n'ait encore plus ses chaussures.
—''Dites donc, où sont passées vos chaussures ?
—''Oups… Je les ai oubliées à l'étang, je vais les chercher.
—''C'est cela oui, dépêchez-vous, j'ai d'autres choses à faire que d'aller chez le cordonnier.
—''Quoi maman ?
—''Rien, allez, allez.
Léon – Paul revenait sans ses chaussures, enfin avec une de ses deux chaussures, bien sûr inutilisables. Je m'énervais.
—''Léon – Paul vous exagérez ! Je ne vais pas vous racheter des chaussures tous les mois !
Je me rendais donc le lendemain avec Léon – Paul chez le cordonnier, pour racheter des chaussures, qu'il me promettait de ne plus perdre. Comme il boitait, je lui avais interdit sa draisienne, j'avais peur qu'il ne tombe et se blesse encore plus. Les premiers jours lorsqu’il me l’avait réclamé et que j’avais été contrainte de lui refuser, il avait boudé, mais cela avait vite été oublié. Un autre crise d'asthme ce mois de mai me rappela que mon fils de trois ans et demi était fragile, et que je devais mieux le surveiller. Gustavine me pleurait dans les bras, alors que nous nous rendîmes au cimetière sur la tombe de sa sœur cadette, je la consolais comme si elle avait été ma fille, Caroline reposait en paix.
Léon – Paul n'aimait pas la bagarre. Quand ses copains se tapaient dessus, revendiquant chacun la possession de tel ou tel jeu, et qu'ils se tiraient les cheveux et se menaçaient avec bâtons et coups de pieds, mon fils restait en arrière ou leur lançait de sa petite voix enfantine :
—''Je ne suis pas ton copain moi, j'aime pas la bagarre, alors je vais pas t'inviter chez maman, et ce sera tant pis pour toi !
En effet il avait dans la tête d'inviter ses copains à la maison, mais je ne voulais pas de casses – cou qui détruisent tout sur leur passage, nous attendrons un peu qu'ils grandissent et se calment. J'avais l'impression que Léon – Paul était quelque peu sensible et peureux, bien qu'il aime jouer dehors, je le sentais timide et manquant de confiance en lui. Quant à Michel, alors qu'il avait eu cinq ans ce huit février, il ne s'ouvrait pas plus aux autres et je sentais que je le délaissais de plus en plus. Que voulez-vous, quand on ne connaît même pas la couleur du ciel, peut -on grandir avec les autres enfants et attirer l'attention des adultes ? Je voulais lui apprendre à lire et à écrire, sachant pertinemment que l'école ne l'accepterait pas en son sein mais Gabrielle m'avait conseillé d'attendre encore un peu, surtout que pour moi ce serait beaucoup de travail, je devrais réécrire des paragraphes entiers et des centaines de mots en relief avec des poinçons, et lui apprendre à écrire sans les yeux. Je suis prête à me battre pour lui, mais encore fallait -il qu'il fasses des efforts et qu'il montre de l’intérêt à ces apprentissages laborieux. Madeleine m'envoya la réponse à ma lettre à la fin du mois de mai, j'étais ravie.
Chère Louise,
J'ai fait ce que vous m'aviez demandé avec plaisir, France ne me connaissait pas mais elle fut on ne peut plus heureuse de ma visite, surtout que j'étais venue avec mes deux aînées, elle ne vit pas seule contrairement à ce que vous m'aviez dit mais avec un jeune homme, son neveu. France avait le sourire aux lèvres, nous avons fait connaissance, durant quelques heures. Elle n'allait pas si mal, occupée tranquillement à ses tâches ménagères, même si je sais que les apparences sont parfois trompeuses. Son appartement est coquet, propre, mais je l'ai sentie profondément mélancolique et nostalgique surtout, tout à fait légitime vu sa situation familiale critique. Je suis heureuse de vous avoir rendu service, sans doute je repasserais un peu plus tard, histoire de savoir si elle continue de bien se porter. Bonne continuation,
Madeleine.
Madeleine,
Vous me soulagez infiniment encore merci pour votre service, je pourrais dormir sur mes deux oreilles ce soir. Le jeune homme qui vit avec elle est le fils de sa sœur aînée elle aussi décédée il y a quelques mois, il s'appelle Charles, il a dix – neuf ans et est orphelin. Sur ce je vous souhaite une excellente santé et une bonne continuation,
Louise.
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