Chapitre 26G: août - septembre 1776

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Parfois je repensais à mon enfance, et en voyant Léon–Paul rire à gorge déployée, elle avait été particulièrement heureuse, je me souvenais de ces jours où, avec Camille, nous jouions à la poupée, au chat avec une écharpe en guise de queue, ou encore et là restent les plus beaux souvenirs, nous chantions en courant autour de la table du salon des refrains entêtants appris par notre tante ou nos amis. Souvent aussi nous tentions d'imaginer notre prince charmant, beau, intelligent, avec un cheval blanc en guise de monture, avec qui nous aurions beaucoup d'enfants, très beaux et très sages. Si nous savions à cette époque-là ce qui nous attendait…

Émile bavait partout, de ce fait je lui laissais en permanence une serviette autour du cou. Ma réflexion pouvait paraître idiote mais je me trouvais rassurée qu’elle cache sa médaille de baptême, car il passait son temps à tirer dessus et je ne me serais pas pardonnée s'il l'avait arraché. Nous portions tous une médaille d'or autour du cou, gravée de notre nom et de notre date de baptême, c'est pour cela que Malou se demanda un jour pourquoi on indiquait la date du deux janvier 1776 sur la médaille d’Émile, alors qu'il avait vu le jour le un. Né dans la nuit du premier au deux, il avait été baptisé le lendemain de sa naissance.

Michel me demanda un jour si il irait à l'école dans deux ans. Gênée, je préférais ne pas lui répondre de peur de le blesser, car la réponse me paraissait déjà évidente. Bien sûr qu'il n'irait pas, mais je m’étais mise dans la tête l’idée de lui apprendre moi-même la lecture et l'écriture, sans me rendre compte du travail monstrueux que cela me demanderait. Je lui avais promis de débuter ses apprentissages le jour de ses sept ans. Parfois le soir, je m’entraînais à faire des poinçons sur des morceaux de papier, il suffisait d'écrire en lettres bâtons un mot, de retourner la feuille et de faire des trous au compas par transparence de ce côté sur les lettres. Tout devait être assez gros pour que Michel puisse reconnaître les lettres avec ses doigts. J'avais encore le temps, il venait juste d'avoir cinq ans.

Gabrielle avait l'air déprimée depuis quelques temps, elle ne riait plus avec moi et préférait rester chez elle plutôt que de passer prendre un thé ou un repas à la maison. Son petit François parlait plutôt bien et les enfants adoraient lui poser des questions, comme par exemple comment s'appelait ses parents, chez lui, tout était simple, sa mère s'appelait Maman et son père, Papa. Il cherchait à jouer le grand frère avec Émile mais celui-ci, encore très attaché à moi, lâchait rarement mes jupons et très difficilement il acceptait que je le laisse chez Gabrielle quelques heures seulement. Quant à Léon – Paul, bien qu'au début il soit protecteur de son petit frère, il ne s'en occupait plus.

Ce mois de septembre, j'allais inscrire Malou à l'école auprès de la sœur à l'église St–Joseph. Elle me demanda pourquoi Marie–Louise ne portait pas mon nom de famille, je lui exposais rapidement la situation familiale. En revanche, le jour de la rentrée, il me fallut l'attraper par les bretelles pour l'y conduire, car elle refusait catégoriquement en suppliant de me la laisser en paix. Dans une crise de larmes, elle rejoignit sa classe, composée de jeunes filles de sept à quatorze ans, toutes très sages. Le soir, exceptionnellement je me rendais à la sortie des leçons pour aller y chercher Malou et Gustavine, tout s'était finalement bien passé. Elle y avait retrouvé ses amies, et j'étais rassurée.

François avait eu deux ans deux jours avant, aussi Gabrielle était venue à la maison et pour la première fois, nos deux fils avaient joué ensemble, ils s'étaient embrassés, avaient chacun fait un gribouillage, s'étaient arraché les crayons mais ils n'avaient plus voulu se quitter. Quand nous nous retrouvâmes le soir autour du repas, et que je tenais Émile qui avait déjà le ventre plein sur mes genoux, il babillait en suçotant son hochet, des mots incompréhensibles, que je traduisit cependant par la réclamation de son ami.

—'' François reviendra demain, le rassurais–je tout en mangeant d'une main.

Le lendemain en effet, les deux enfants se retrouvèrent. Tout heureuse, je leur avais fait faire de la peinture. Ce fus une catastrophe puisque Émile préféra baptiser une deuxième fois son ami plutôt que de dessiner sur la feuille, tandis que François avait goûté à la peinture. Barbouillés, les enfants avaient fini dans l'étang, ce qui était pour eux encore la promesse d'un jeu. C'est trempé et frigorifié que je l'avais ramené à la maison.

L'imagination des filles ne s'arrêtait pas : le soir après que je leur ai lu l'histoire d'Icare, tombé dans la mer parce qu’il avait volé trop près du soleil avec ses ailes de cire, Malou et Gustavine, qui s'étaient rapprochées depuis la mort de Caroline, tentaient d'imaginer si elles aussi pourraient ainsi fendre les nuages.

—'' Mes chères, si cela était possible, voilà longtemps que ça serait fait, leur répondis–je étonnée. Si un jour vous pouviez voler, leur demandais-je, que feriez-vous ?

Malou m'étonna, elle me répondit qu'elle rejoindrait sa mère auprès de Dieu, tandis que Gustavine, elle, irait explorer le royaume de France, et plus ambitieux, le monde, pour savoir si la Terre était vraiment ronde. Souvent Malou me demandait comme était sa mère, elle ne s'en souvenait plus malheureusement, alors j'en profitais pour sublimer ma sœur. Je lui racontais que sa mère était une belle jeune femme, douée pour les études, qui adorait la vie, ses enfants, qu'elle était parfois colérique et impatiente mais c'était relativement rare. Camille avait de beaux cheveux bruns, une jolie silhouette, vingt – sept ans à son décès, que la maladie l'aura fait souffrir plus d'un an, mais que je lui aurais au moins présenté Léon–Paul avant qu'elle ne parte. Je promettais à Malou de l'emmener sur sa tombe un jour.

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