Léon – Paul devait avoir froid, puisqu'il se laissa faire lorsque je retentais de le mettre dans l'eau, en revanche quand il voulut se savonner seul, je refusais fermement : il était encore mon bébé, mon trésor, j'avais besoin de me convaincre qu'il ne grandirait pas si vite. Devant ce refus, il se mettait en colère, mais je parvenais à finir de le laver. Une fois habillé, peigné et parfumé, je le laissais descendre et Gustavine m'emmenait Michel. Laver un enfant aveugle n'était pas chose simple, car il paniquait dès que je mouillais sa tête, mais j'y arrivais avec tact et patience, décrivant a haute et intelligible voix chaque geste que je faisais sur son corps. L'enfant commençait à avoir de la pudeur, il tenait par exemple à porter une chemise de bain pour se laver ou encore se sécher seul avec la serviette, j'essayais au maximum de lui laisser de l'autonomie et de respecter son corps, même si ce n'était pas simple. Une fois qu'il fut sorti, je me lavais rapidement, me préparais, aussi mon gousset indiquait dix heures quarante - deux, il était temps de partir pour la messe.

Terrifiée a l'idée de partir si loin d'ici, je faisais des cauchemars, je stressais, j'avais peur de l'inconnu. Depuis quelques temps, mon mari me parlait aussi d'avoir un autre enfant, cela m'effrayait parce que je n'avais pas du tout, mais alors vraiment pas du tout envie d'un troisième enfant. Dans le contexte financier actuel, cela me paraissait ridicule et inenvisageable, mais surtout, je n'avais pas envie de me replonger dans les biberons et les couches, de supporter une autre grossesse, et je n'avais pas le courage de donner de l'affection a un nouvel enfant, en plus des cinq dont j'avais déjà en charge l'éducation.

Une après – midi, Léon – Paul vint me voir avec son visage d'ange alors que j'étais assise en pleine lecture et m'interpella :

—''Maman ?

Je relevais la tête de l'ouvrage, et le regardais :

—''Oui mon fils ?

—''Je vous aiiiiiiiiime…

—''Moi aussi mon enfant. Plus fort que tout au monde avec Émile.

—''Alors je ne suis pas votre préféré ?

— ‘’ Émile porte la même place que vous dans mon cœur, il est aussi mon trésor inestimable.

Une nuit un peu plus tard de mars, bien au chaud sous ma couverture, j'entendais la pluie battre les volets dehors, et l'orage qui grondait. Je savais cependant que Léon n'était pas encore couché : j'entendais ses pas dans la maison et par deux fois la porte d'entrée s’ouvrit et se claqua assez violemment. Un coup de fusil me fis sursauter. Une minute plus tard, Léon – Paul, Michel et Émile, mort de sanglots vinrent fatigués et très inquiet me rejoindre dans mon lit.

—''Maman, pourquoi le coup de fusil ? Questionna posément Léon – Paul

—''Maman… Maman … Ai peur… Sanglotait Émile en suçotant pour la première fois son pouce.

—''Louise, que se passe-t-il ? Me demanda Michel, tout aussi inquiet.

J'avais moi aussi peur, et comme je savais que je ne parviendrais pas à trouver le sommeil avant de savoir la provenance du coup de fusil, je prenais mon courage à deux mains, enfilait une veste et quittait la chambre, en laissant les trois petits garçons serrés au chaud dans mon lit. Je tombais nez à nez avec Léon, qui me dit plutôt froidement, en s'essuyant les mains sur sa culotte de toile :

—''Une des bêtes a fait une colique. J'ai dû la tirer.

—''Ténèbres ?

—''Je ne sais pas, peut – être.

—''Hier soir, nous l'entendions hennir et taper contre les murs de l'écurie, elle avait mal je pense. Gustavine m'a dit que vous aviez pensé à une colique.

—''Demain je découperais la viande et vous vous en servirez pour la cuisine. Allez dormir maintenant.

Je remontais dans ma chambre, je réveillais les enfants, qui s'étaient endormis dans mon lit, et ils retournèrent amorphes dans leurs chambres.

Le lendemain, mon mari découpa la carcasse, devant les yeux dégoûtés des enfants, et je stockais les gros morceaux de viande dans le sel pour pouvoir m'en servir pour les repas. Le premier repas où je servais le cheval, Gustavine refusait catégoriquement de manger, et Malou l'imitait. Elles se prirent chacune une gifle et furent obligées de finir leur assiette dans leur chambre. Léon était parfois trop autoritaire, mais nous n'avions plus beaucoup d'argent et elles devaient prendre des forces. Je voyais mon mari boire de plus en plus souvent le soir, et cela m'inquiétait : n’était-il pas dans une sorte de frustration masculine ? Il ne m'avait pas touché depuis le début de ma grossesse pour Émile, cela remontait déjà à trois ans.