Chapitre 25C: juillet 1775
Pour moi, ce fut un drame, pour Léon, une véritable tragédie. Il s’en prit à moi, m’accusant de n’avoir pas réagi. Que voulait-il que je fasse ? Je n’étais ni médecin, ni guérisseur, je pense que son rêve d’avoir un fils qui reprenne son cabinet s’éloignait de plus en plus, avec mes terribles douleurs de grossesse qui ne présageaient rien de bon, surtout qu’il m’avait promis de me laisser tranquille après cet enfant.
Nous fîmes enterrer notre fils de sept mois au cimetière du bourg.
Léon, en colère contre moi, trouvait n’importe quel moyen pour m’en vouloir, un peu de fatigue de ma part, une faiblesse, et tous les maux de sa journée me retombaient sur la tête. Il me disait plusieurs fois que si l’enfant à naître était une fille, il partirait pour épouser une autre femme. Alors je priais pour qu'un fils naisse, persuadée du contraire, persuadée que la poisse me suivrait jusqu'à ma porte.
Il refusait de me le dire mais je savais que Léon gagnait beaucoup d'argent depuis qu'il avait accepté de défendre ce client richissime. Notre situation s'améliorait, nous mangions mieux, en plus grande quantité et nous pouvions allumer toutes les cheminées de la maison alors qu'auparavant seule sa chambre et le salon avaient le droit d’être alimentés en bois.
Pensant à la naissance dans quelques mois de mon bébé, à la tâche particulièrement ingrate et fastidieuse qu'était de laver les langes, je me disais qu'il serait temps d'apprendre la propreté à Léon – Paul et Michel, qui avaient, selon moi, atteints un âge raisonnable pour cet apprentissage. Je passais donc à l'action, persuadée et naïve que cela se ferait vite.
Dès lors que je tentais de ne plus mettre de langes à Léon – Paul, il hurlait, criant souvent les mêmes mots.
—''Moi bébé à maman moi pas propre ! Il pointait du doigt les linges blancs pliés sous le meuble et pleurait, se roulait par terre, jusqu'à ce que je cède, et lui remette les langes.
En revanche pour Michel, qui parlait bien maintenant, il me disait avec sa voix d'enfant qu'il voulait devenir un ''grand'' et ne plus porter de langes. Ce fus assez compliqué de le mettre sur le pot, il ne voyait rien et avait tendance à tout toucher, à renverser aussi. J'eus une idée un soir que je mettais en application le lendemain même : l'idée d'un pot fixé au sol, assez bas pour qu'il puisse s'asseoir dessus, et que je pouvais facilement vider. Je pensais à visser une bassine sur le sol de la chambre, pour ensuite pouvoir y mettre le pot : je me débrouillais seule, et cela fonctionna plutôt bien, une fois que mon neveu eu mémorisé l'endroit où je trouvais le pot dans la chambre qu'il occupait avec sa sœur. Le plus dur fus la nuit, alors pour limiter les accidents nocturnes, je l'emmenais comme un rituel au pot avant d'aller dormir, tout se passa très vite et très bien, après tout, il allait avoir trois ans.
Mon petit Léon–Paul quant à lui resterait dans ses langes le temps qu'il voudrait. Je n'avais pas forcément la patience et le temps de m'attarder sur ses caprices, et puis même si cela était urgent pour moi, je ne pouvais pas le forcer.
Mon bébé se manifestait de façon impressionnante dans mon ventre, parfois je me sentais si proche de lui que je l’aurais déjà sorti, malheureusement ce n'était qu'une impression. Je craignais toujours l'accouchement, un supplice, une torture que j'aurais évité contre tout au monde.
Le premier été que nous passâmes à Montrouge fus beau et ensoleillé. Caroline, Gustavine et Malou portaient de belles et élégantes robes violettes, des chapeaux de paille tressée surmontées d'un ruban bordeaux, tandis que Léon - Paul sa longue robe blanche, Michel à qui j'avais acheté, pour le plus grand bonheur, une culotte courte et un maillot de '' grand'', pour dire adieu aux robes de bébé, sautillait et courait partout, un instant comme un enfant sans différence. Je portais une robe légère sous laquelle j'avais comme à mon habitude mis un corset, Gustavine avait tressé mes cheveux, je me sentais belle pour une fois. Nous prîmes un repas sur l'herbe, je lisais mon livre en surveillant les enfants qui jouaient à se courir après, tandis que Léon me parlait de l'avenir de Michel, bien sombre, sauf si le projet d'une école pour jeunes aveugles à Paris voyait le jour, dans ces cas - là, tout serait différent pour lui. Je n'y croyais pas, un aveugle, pour moi, était condamné à vivre auprès de ses parents toute sa vie, l'autonomie, ce n'était pas possible lorsqu'on vivait dans le noir toute la journée. Pauvre petit garçon…
Nous fîmes des balades avec Ténèbres et Tentation, toutes deux pleines. Gustavine avait cessé les leçons durant un mois, une pause bien méritée. Elle invitait souvent ses amies, Claire et Anne, dont je n'aimais pas les mères, que je croisais au lavoir chaque dimanche, et auxquelles l'expression '' telle mère telle fille'' n'allait pas si bien, car les jeunes filles étaient charmantes.
A Montrouge, il y avait un marché, tous les samedis matins, où je me rendais pour faire le plein de vivres pour la semaine. Là – bas, je croisais des mères, qui me dévisageaient, sans doute parce que j'étais rousse, et que les rousses qui avaient la réputation d'être des filles faciles à l'époque. J'avais remarqué des hommes plutôt attirants dans le village, mais je n'avais ni le temps de me consacrer à une relation extra – conjugale, ni le courage de trahir Mathurin. C'est ce que je me disais me sachant enceinte et débordée avec les lessives, le ménage, les enfants, mais en vrai, j’espérais qu'un homme vienne m'aimer. J'avais besoin qu'un homme me donne de l'affection, et si Mathurin ne pouvait plus m'en procurer, alors j'irais en chercher ailleurs.
En attendant je trimais, depuis sept heures du matin où il fallait préparer le déjeuner pour les enfants, jusqu'au soir vers vingt et une heure où je me couchais avec le soleil.
Juillet fut riche, d'abord, je recevais une lettre de Mathurin.
Chère Louise,
J'espère que vous allez bien, et dites à Léon- Paul que je lui souhaite un bon anniversaire de ses deux ans, marche-t-il désormais ? Sophie est de plus en plus insupportable, alors que je la connais depuis sa plus tendre enfance, et qu'elle était pour moi une jeune fille sage et pieuse, je pensais que ces noces seraient bien récompensées, elle me désespère, et me refuse même l'accès à sa chambre. Si elle continue de cette manière, j'épouserais sa sœur aînée qui vient de devenir veuve, et qui cherche un nouveau père pour sa fille d'un an, beaucoup plus mature pour le mariage. Pour l'instant je réfléchis, car répudier une femme est pour elle, même si elle est une mauvaise épouse, une honte et un déshonneur terrible vis à vis de la famille. Mon frère vient de voir naître le neuf juillet son deuxième enfant, Marie – Josèphe, un minuscule bébé qui pesait le poids d'un dictionnaire à sa naissance ! Figurez-vous que je suis le parrain de l'enfant, qui comble de joie son frère, encore très jeune, et ses parents, dont Clémence souffre un peu mais sans être en danger. Envoyez-moi de vos nouvelles mon amour,
Mathurin.
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