Chapitre 25G: janvier - février 1776
La routine reprit, et par une après–midi de janvier, je décidais de couper les cheveux à mes garçons. Michel et Léon – Paul les avaient longs, ils n'avaient jamais été coupés. D'un coup de ciseau, et pour la première fois, je m’exerçais au métier de coiffeur. Leur coupe ne fut pas des plus réussies, et j'eus du mal à raccourcir les boucles rousses de Léon-Paul, tellement mignonnes, mais il fallut bien. Juste après Michel alla au pot, et Léon–Paul le suivit en trottinant, avant de revenir en me demandant si je pouvais lui défaire les épingles de sûreté de son lange. Prise d'un espoir, je lui retirais. C'est un peu plus tard que je les retrouvais tout deux assis sur un pot, contemplant chacun un livre. Nous étions en bonne voie me disais-je.
Nous rencontrâmes les propriétaires de la maison en construction autour d'un souper, c'était un jeune couple qui venait d'avoir un enfant, et qui cherchait une maison dans une ville tranquille non loin de Paris. Pour l'instant, ils vivaient à Paris dans leur famille, pour emménager ce printemps si tout se passait bien. Elle s'appelait Gabrielle, lui Jean, leur fils François, un enfant né quatre mois avant Émile.
Un matin de mi–janvier, les carreaux étaient rendus blancs de givre, la neige tombait en gros flocons dehors, les enfants étaient surexcités, couraient partout. A qui est ce gant ? Pourquoi Michel votre manteau est-il trop petit, n'auriez-vous pas enfilé celui de Léon-Paul ? Décidée à leur permettre d'aller jouer dehors, je tentais de rester calme devant cette tâche aussi difficultueuse. Enfin lorsque tout ce beau monde fut couvert chaudement, que j'eus enfilé gants, manteau de fourrure, bonnet, bottes et robe de circonstance et quand j'eus préparé Émile emmitouflé dans deux couvertures, nous sortîmes.
Le vent soufflait fort, Émile se réveilla au creux de mes bras. Caroline, Malou et Gustavine fabriquaient un bonhomme de neige en mouillant leurs gants, et bonnets, lorsque celui-ci servait de couvre–chef à Mr Neige. J'avais de la patience, mais lorsque Malou voulu prendre le hochet d'Émile pour faire un nez à Mr Neige, je criais presque : non ! Dans mon esprit, je bouillonnais, ce hochet offert par la mère de Léon avait un manche en ivoire et une clochette en or ! Je trouvais cela ridicule d'offrir des jouets de valeur à un nouveau–né, c'était un acte orgueilleux, uniquement pour montrer sa richesse.
Michel criait aux autres enfants :
—''Pourquoi moi je ne peux pas jouer avec vous ? Parce que je suis aveugle, c'est ça !?
Il venait, très triste, s'asseoir près de moi, les yeux toujours aussi immobiles, vides. Je demeurais étonnée qu'il parle de son handicap avec autant de simplicité, du haut de ses quatre ans (trois ans et demi pour être plus précise) comme si sa cécité n'était qu'une tâche au milieu de son front que les autres en voyant fuyaient, non ce n'était pas cela malheureusement, c'était, non pas une honte pour moi, je l'avais toujours laissé jouer dehors comme les autres petits garçons, mais plutôt un brouillard épais dans lequel j'avançais avec lui sans savoir où nous allions. Parfois je lui demandais comment il rêvait, puisqu'il n'avait jamais vu le ciel, la maison ou même un visage, il me répondait quelque chose comme:
—''Je rêve de bruits, de goûts, je tente d'imaginer vos visages, ce n'est pas facile, rien qu'avec les voix et le toucher.
Michel fêtait ses quatre ans le huit février. Mon petit Émile avait déjà deux dents qui perçaient, sa nourrice, la même que celle de Simon, craignait ne plus pouvoir le nourrir à cause de ces dents précoces, mais pour l'instant, on les sentait juste si l'on passait le doigt sur sa gencive.
J'écrivais peu à Mathurin, c'était toujours lui qui me donnait de ses nouvelles et moi qui lui répondait, pourquoi ? Je ne le savais pas. Bien décidée un soir où je m'ennuyais à faire le premier pas, je lui écrivais.
Mathurin,
Mon petit Émile est en bonne santé, ainsi que ma famille, nous venons de célébrer les quatre ans de Michel, mon neveu, et des voisins vont s'installer cet été près de chez nous. Comment se déroule la vie avec votre nouvelle épouse ? Et Madeleine ? J'aimerais tant venir vous voir à Paris avec Léon – Paul, qui a presque trois ans, mon amour, vous me manquez tant. Il fait froid, nous vivons dans un manoir et les murs sont glacés. Paris me manque, en novembre Léon a refusé de me prêter sa voiture pour aller souhaiter l'anniversaire à Camille, qui aurait eu vingt – neuf ans, je le déteste. En revanche, vous je vous aime, de tout mon cœur. Bon baisers,
Louise.
En attendant sa réponse, Léon travaillait, Léon – Paul faisait de la draisienne dans le village, Gustavine allait à l'école, Caroline et Malou jouaient à la poupée et Michel découvrait le monde de ses yeux vides, en touchant, goûtant, écoutant. Sa réponse, au premier abord pleine d'amour, sonnait comme la fin douloureuse de notre histoire.
Louise,
Augustine vient de mettre au monde une fille, Rose, ce six février, Madeleine est très fière de sa petite sœur, elle la câline, lui donne le biberon parfois. Augustine est heureuse, elle rit souvent. Je travaille beaucoup, mais je tente de jouer mon rôle de père auprès de Rose, mon rôle de mari auprès d'Augustine et celui de beau – père auprès de Madeleine. Le beau temps revient doucement ici à Paris, vous me manquez, mon petit homme aussi, Mathurin.
Annotations
Versions