Chapitre 24B: juillet - août 1774
Mon amie Charlotte me rendit visite le lendemain, son époux se remettait doucement de sa longue maladie, et leur situation s'améliorait un peu grâce aux travaux qu'effectuait sa fille Béatrice, âgée de cinq ans. En effet la petite ramonait des cheminées, cirait des chaussures, pour quelques pièces, et cela permettait à la famille de vivre un peu mieux, au jour le jour. Voir une enfant de cinq ans travailler au lieu de suivre des études me désespérait et j’accordais à mon amie une partie de ce que me versait Léon pour mes dépenses personnelles, quelques sous par jours qui me permettait de m'offrir de temps en temps une glace, un fruit, ou un goûter plus élaboré aux enfants.
Charlotte refusa au début mon argent, puis elle accepta un brin gêné lorsque je lui disais qu'il était inadmissible de faire travailler un enfant. Je lui avais donné une livre, déjà une somme importante, et lui proposais d'apprendre à elle et a sa fille la lecture et l'écriture. Charlotte me paraissait comblée, jamais on n'avait dû lui accorder autant d'attention.
Elle me parlait avec mélancolie de son enfance malheureuse. Elle naquit et elle passa son enfance dans un petit appartement de deux pièces sombre et poussiéreux avec ses neuf frères et sœurs, entre une mère au foyer terriblement jeune, tout aussi fragile, qui passait ses journées à pleurer, et un père accablé de travail dans son atelier de ferronnerie, mais pieux, honnête et prévenant. Elle me parla de sa fratrie, deux sœurs et sept frères, elle était la cinquième, seuls trois de ses frères étaient encore en vie au moment où elle me parlait. Elle ne reçut jamais d'affection de sa mère, une pauvre fille de boulangers mariée à dix - sept ans, enceinte a dix – huit ans, morte à trente deux ans en couches de son onzième enfant, l'enfant de trop comme elle l'appelait, alors que Charlotte n'avait que six ans. Jetée à la rue et à la misère, Charlotte apprendra après la mort de son père à chaparder pour vivre, a seulement sept ans. Enfin un jour de juin, alors qu'elle avait seize ans et qu'elle était trop proche de la mort, son futur époux, un bon ami qu'elle connaissait depuis déjà quelques années vint l'arracher à la rue, son sauveur. Ils se marièrent après que François eus réuni assez d'argent, soit deux ans plus tard. Leur fille Béatrice naissait l'année suivante.
Lorsqu'elle quitta l'appartement, j'étais bouleversée par son histoire mais fière de pouvoir participer à l'amélioration de sa qualité de vie et celle de sa famille. J'avais eus une enfance douce et heureuse, et je regrettais que tout le monde n'ait pas connu mon bonheur.
Ce mois d'août fut enjolivé par la naissance du deuxième enfant de mon frère Louis. Je n'avais pas été mise au courant de la grossesse et je fus très étonnée de recevoir cette lettre, une sorte de faire-part, sur le même principe que les faire – part de décès, très gai en effet.
''Monsieur Châteauroux à la joie de vous annoncer la naissance de sa fille, le quatorze août 1774, la mère et l'enfant se portent bien.''
Difficile de faire plus court.
C'était un peu froid comme annonce, il aurait pu m'envoyer une lettre plus chaleureuse, au lieu d'un courrier type envoyé a je ne sais combien de personnes, j'étais sa sœur tout de même, pas sa lointaine cousine. Nous nous rendîmes tout de même chez lui le dimanche suivant après la messe de dix heures, en vêtements du dimanche, il me reçut convenablement avec toute ma petite famille. Françoise, son aînée de deux ans et demi, était bavarde, curieuse, et folle de sa petite sœur : elle ne parla que d'elle pendant tout le temps où nous restâmes chez eux. Françoise fut la première à s'interroger sur mon ventre rond, et dès que je validais son hypothèse, toute la famille me questionnait.
—''Quand est prévue la naissance ? Espérez-vous un fils ? Est - ce votre premier enfant ?
Bien sûr les enfants, fous de joie a l'idée d'avoir un petit frère ou une petite sœur, m'assaillirent eux aussi de questions.
Nous nous approchâmes à pas de loup de la chambre où dormait Madeleine, près du berceau de son bébé. Chacun pu apercevoir le nourrisson âgé d'une semaine, pouponne endormie dans son confortable berceau, et une fois qu'elle fut réveillée, féliciter la maman. Seul Michel ne la vit pas, il restait hors de la chambre, assis par terre contre le mur du couloir, ce n'était pourtant pas contrairement à ce qu'il crut une punition. Madeleine, en pleine forme même si elle était toujours un peu fatiguée, allait quitter son lit ce jour même.
Après un passage chez le fleuriste, nous nous rendîmes tous ensemble pour la première fois, au cimetière déposer des fleurs sur les tombes de la famille, les enfants respectaient le deuil et restaient pour une fois silencieux, sans se taper dessus, marchant entre les tombes, s'étonnant de voir un décès à un an, ce qui était courant malheureusement. Michel et Marie – Louise, agenouillés devant le tombeau familial, pleuraient leur mère et priaient ensemble, ils connaissaient l'emplacement de la tombe par cœur. Nous n'osâmes pas les déranger au moment de rentrer et nous les observâmes longuement, avant de les voir se relever et rentrer avec nous.
Léon – Paul effectua ses touts-premiers pas ce mois d'août, deux mois après son premier anniversaire, j'étais soulagée car Camille avait eu des difficultés à s'occuper de ses enfants notamment pour la raison que son aîné ne marchait pas à la naissance de sa cadette. Je repensais subitement à Mathurin un soir où je jubilais du progrès de mon enfant, et sans pouvoir attendre le lendemain, lui écrivait une lettre.
Mathurin,
Cela fait si longtemps que je ne vous ai pas écrit, je ne vous oublie pas, c'est juste que je suis occupée. Léon-Paul a fait ses premiers pas il y a peu de temps, il a aussi de nombreuses dents à présent, et dit même '' maman'', ce qui me fait vraiment très plaisir. Nous déménageons à Montrouge dans deux mois, c'est pourquoi j'aimerais vous revoir avant ce départ dont je ne sais combien de temps il durera, pour entendre une dernière fois le son de votre voix, sentir votre peau sur la mienne, dans l'intimité, non assis sur un banc du parc. Je trouverais bien un moment et une excuse pour m'éclipser quelques heures de cet environnement étouffant, avec si vous le souhaitez, notre fils. Comment se passent les préparatifs de vos noces ? Sophie accepte t–elle bien cette idée de mariage ? Si nous ne pouvons pas nous revoir avant ce départ, sachez que je vous aime très fort et que je pense toujours à vous.
P.S : si vous recevez ma lettre, rejoignons-nous a quinze heures dix le vingt – neuf août.
Louise.
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