Chapitre 24D: octobre 1774

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Nous engageâmes la nourrice de mon futur enfant ce mois d'octobre, j'avais le fantasme qu'il naisse le premier janvier 1775, j'aurais trouvé cela génial d'avoir un enfant né le premier jour de l'année, chanceux dès ses premières secondes de vie. Je me demandais ce que Charlotte avait pensé du jour de naissance de sa fille, le premier janvier 1769. Malheureusement, mon bébé à moi était plutôt prévu pour le mois de décembre.

La nourrice de mon futur enfant, Margot, s'occupait des cinq diablotins qui improvisaient des parties géantes de loup perché ou de cache - cache dans la maison au moment des repas, couraient dans les escaliers, provoquant à Léon – Paul qui voulu les imiter, une belle chute heureusement sans gravité ou encore ils jouaient ensemble à un jeu où il fallait crier le plus fort possible pour faire résonner sa voix ''comme un fantôme" d’après Malou et Caroline. Cela plaisait particulièrement à Michel car lui d'habitude discret et effacé pouvait faire savoir sa présence, il riait lorsque l'écho de sa voix rebondissait entre les murs et lui arrivait aux oreilles.

Voir cet enfant aveugle rire était pour moi un synonyme de fierté, car j'avais réussi à m'en occuper et à favoriser son épanouissement depuis la mort de sa mère. Je préférais ne pas penser à sa vie d'adulte, car si c'est sa vie qui serait forcément compliquée, la mienne aussi, il ne me quitterait jamais, ne ferait pas d'études, n'aurait pas d'enfant, d'épouse, de travail, de vie autonome. Tout cela à cause d'une naissance difficile...

Le deux novembre, ce fus le premier anniversaire de Camille depuis son décès, elle aurait eu vingt – huit ans. Je lui soufflais entre mes larmes ces mots :

—''Camille, vous auriez eu vingt – huit ans, aujourd'hui est le premier anniversaire depuis votre départ,

Ma sœur, vos enfants se battent pour continuer à vivre, mais moi je n'en peux plus, vous me manquez trop,

Camille, j'espère que vous m'entendez depuis là – haut, sachez que j'attends un enfant, mon deuxième,

Ma sœur, vous ne souffrez plus mais maintenant c'est moi qui ai mal, mon enfant portera votre prénom,

Camille, cet enfant sera comme un dernier hommage, oh ma sœur, je n'arrive pas à faire mon deuil,

Dieu veille sur vous, Dieu veille sur vos enfants, qui prient sur votre tombe à chaque fois que nous nous rendons au cimetière,

Ma sœur chérie j'ai mal et mes larmes ne sont que l'impuissance face à la souffrance, la brûlure encore vive et douloureuse, la plaie qu'à fait le couteau dans mon cœur lorsque vous êtes partie. Que Dieu soit toujours avec vous.

Je restais désormais alitée car j'avais des contractions de plus en plus rapprochées et fortes et mon ventre exploserait bientôt, je ne tiendrais pas jusqu'au mois de janvier c'était sûr. Alors je récitais vite des chiffres dans ma tête et m'arrêtait subitement pour prédire la date de naissance, et s’il naissait le jour de l'anniversaire de la mort de ma sœur ? Ce serait terrible. Je criais soudainement, je ne voulais pas qu'il naisse ce vingt-huit décembre maudit. Jamais ! Il mourrait ! Gustavine apparaissait interloquée à la porte, et alla chercher le médecin en ville. J'avais de la fièvre, je délirais, le chiffre vingt – huit tournait dans ma tête lourde. L'homme en blouse blanche arriva, tira la couverture et palpa mon ventre tellement proche du terme que plus très rond, pour affirmer la naissance proche.

Mes contractions étaient terribles, mais la naissance devait avoir lieu en décembre, une naissance en novembre ne laisserait aucune chance de survie au bébé. Mon dos me tirait, mon ventre se tordait, mes mains se crispaient, mon enfant allait naître, mais je ne savais pas quand.

Un peu plus tard, alors que ma fièvre avait sensiblement baissée et que j'avais moins mal, la nourrice arriva dans la chambre avec un verre d'eau et posa une enveloppe blanche et cachetée sur ma table de chevet. Je trouvais la force de l'attraper mais j'eus besoin d'un couteau pour la décacheter, alors j'appelais mon garçon, très docile :

—'' Léon – Paul !

L'enfant arriva en trottinant, son pouce dans la bouche.

—'' Lâchez ce pouce et attrapez-moi le couteau posé sur le meuble, vous voyez ?

Il me regarda, lâcha son pouce et se mis sur la pointe des pieds pour attraper l'objet tranchant.

—'' Ne vous coupez pas, je ne pourrais rien faire, voilà, allez, donnez.

Il me tendit le couteau et je pu enfin ouvrir ma lettre. Alors que j'espérais recevoir des nouvelles de Mathurin, ce fus un faire part (quelle est cette mode si impersonnelle ? me dis – je) de naissance qui disait :

''Adrien Faure a l'honneur de vous annoncer que Adélaïde Faure est accouchée bien heureusement d'un garçon baptisé Augustin - Louis, le treize octobre 1774. La mère et l'enfant se portent bien.''

J'étais ravie pour cette si douce Adélaïde, la sœur du veuf de Camille, mais étonnée que la lettre ait mis tant de temps à arriver, trois semaines. Cela devait être dû à notre déménagement, la lettre était sûrement partie à notre ancienne adresse, puis la concierge de l'immeuble avait dû la renvoyer à notre nouvelle adresse.

J'appréciais tellement de recevoir des lettres que je guettais depuis mon lit la porte, si elle s'ouvrait, mon cœur battait, mais le plus souvent il s'agissait de Léon – Paul, Malou ou Caroline qui avait une question, une remarque à faire. Malou me posa une question dont je ne trouvais pas de réponse pertinente :

—''Comment nous serons dans cent ans ?

J'imaginais les années 1875 comme modernes, avec des voitures sans chevaux, des femmes libres, un monde sans maladies, sans mortalité des enfants, sans mari qui tape sur son épouse, un monde où tous les gens feraient des études, auraient un travail gratifiant, une maison, des enfants heureux. Cependant, pensant qu'elle vivrait avec chance jusque - là, je lui répondais simplement :

—'' Je ne sais pas Malou, je ne sais pas.

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