Chapitre 24F: décembre 1774 - janvier 1775
Un peu avant le nouvel an, alors que je m'attendais à perdre seulement un peu de sang comme pour mon premier accouchement, ce fus une véritable scène de crime : je perdais du sang par litres (j’exagère sans doute un peu mais je perdais beaucoup) et je dû bientôt me remettre au lit tant cela était incontrôlable, avec deux grands draps sur ma couche et une bassine, et les visites étaient bien sûres interdites. Margot s'occupait des enfants et m'apportait les repas tandis que je souffrais.
Cela dura quatre jours durant et enfin les saignements diminuèrent avant de cesser complètement. Je sortais du lit peu de temps avant le troisième anniversaire de Michel. Je ne lui offrais pas de cadeau mais il sut se contenter d'un baiser et d'un bon gâteau aux fraises.
Un soir, Léon me parla d'envoyer Gustavine à l'école communale, ce qui me fis fort plaisir, il était temps qu'elle commence ses études. L'école communale était une petite institution, mais très mignonne, située dans des bâtiments de pierre et entourée d'arbres. Du lundi au samedi et vers seize heures, je voyais des mères discuter devant les grilles en attendant la fin des leçons. Il y avait deux classes pour les filles et deux classes pour les garçons. Elles avaient l'air de toutes se connaître, et moi j'avais l'air d'une étrangère. Chaque dimanche quand nous allions à la messe, je les voyais avec leurs maris, leurs enfants en vêtements du dimanche, puis en début d'après - midi je les recroisais au lavoir en lavant mon linge. J'étais trop timide pour aller à leur rencontre, j'attendais que l'une d'elle fasse le premier pas.
Un jour enfin, alors que je me baladais tranquillement avec Simon dans les bras, Michel à la main et les enfants qui couraient loin devant, une d'elle alla me parler. Elle s'appelait Louise, elle me demanda depuis combien de temps je vivais à Montrouge, combien j'avais d'enfants, je fus ravie de faire connaissance avec elle. Je lui faisait part de notre choix d'envoyer Gustavine a l'école, elle approuvait ma décision et me disait qu'elle même avait deux de ses cinq enfants là – bas. Gustavine allait fêter ses sept ans cette année, il était temps qu'elle entre à l'école. Pour inscrire son enfant, il fallait se rendre à l'église puisque c'était les sœurs qui enseignaient aux élèves. Une très belle église du onzième siècle, avec un style particulier que j'aimais beaucoup.
Je me rendais donc à l'église et une sœur, une de ces femmes adorables, inscrivit Gustavine sur son registre, caressa les cheveux de Michel et s'attendrit sur Simon, trop craquant avec ses grands yeux bleus. Sur le registre, je comptais soixante enfants, si chaque femme avait trois ou quatre enfants scolarisés, cela faisait vite beaucoup. Je rappelais ensuite les enfants qui s'étaient depuis longtemps fait des amis, et nous rentrâmes pour le dîner. La plupart du temps, je préparais de la soupe, facile à cuisiner, c'était le plat le moins cher, Léon – Paul pouvait en manger, et les enfants engloutissaient des légumes en finissant leur bol. Il n'y avait que des avantages, et seulement le dimanche où en guise de repas amélioré je préparais un poulet pour toute la famille, je peux vous dire qu'ils savouraient. Le matin, le déjeuner était composé d'un morceau de pain avec de la confiture, un verre de lait de vache, parfois mais rarement d'un peu de cacao, le midi je préparais de la soupe aux carottes, poireaux et navets, pour leur en - cas je cuisais des biscuits, et le soir était servi un potage de légumes avec pour dessert si le bol était terminé un peu de fromage ou de la compote de pommes. Nos repas étaient simples, les enfants ne faisaient jamais de caprices, enfin presque.
Un soir, alors que nous prenions notre souper ensemble, avec Léon, et que je venais de servir les enfants qui après avoir fait la prière mangeaient silencieusement, Michel m'étonna : il poussa son bol fumant loin de lui, en croisant les bras et il fronçait les sourcils. Étonnée, je le questionnais avec patience :
—''Pourquoi ne mangez-vous pas Michel ?
—''J'veut pas d'la soupe !
—''N'a-t-elle pas bon goût ?
—''Oui elle est pas bonne.
—''Dans ces cas-là, goûtez au moins une cuillerée.
Léon intervint plus violemment.
—''Il va finir son bol c'est tout, ce sont les enfants qui décident maintenant ?
Je regardais désolée mon neveu dont les yeux fixaient inertes le plafond, je ne pouvais rien faire contre la volonté de mon mari.
Michel refusa, et replia ses genoux contre lui, une attitude inadmissible. Léon tenta de le faire manger mais mon neveu tourna la tête, alors il lâcha dans un bruit aigu la cuillère dans le bol, se leva de table, attrapa Michel par le bras, enfin il monta avec l'enfant surpris à l’étage, dans sa chambre. Il lui apporta ensuite son bol de soupe et avant de refermer la porte, il lui lança :
—''Vous ressortirez quand il ne restera plus une goutte dans le bol. Je m'en fiche si vous y restez la nuit et toute la journée de demain. Quand Marie – Louise voudra aller dormir, vous irez dehors pour manger.
J'entendis mon neveu pleurer, taper à la porte, supplier, mais mon mari ignorait ses lamentations. J'avais pour horreur d'entendre ainsi souffrir mon neveu, et voulu quitter la table à mon tour. Il me retint en m'attrapant le bras, j'avais l'impression d'être son enfant, cela m'agaçait.
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