Chapitre 20F: février 1772

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Pour Charlotte, chaque hiver était difficile. Le salaire qu'elle gagnait en vendant les tapis, pourtant pas si ridicule que cela, ne lui permettait pas à la fois de se nourrir correctement, d'habiller chaudement les enfants et de se chauffer suffisamment. Alors elle achetait en quantité des navets, des carottes et du pain, qui constitueront les soupes, la base de l'alimentation du peuple a l'époque et cousait grossièrement des manteaux, couvertures et chemises, pour éviter aux enfants d'avoir froid, et réservait ainsi l'utilisation de la cheminée aux durs hivers. Son époux malade depuis deux ans n'aidait pas la famille à vivre, mais d'après elle, c'était le grand amour de sa jeunesse, qu'elle n'abandonnerait pour rien au monde. Elle parlait d'Henri comme un grand sentimental, un homme intelligent qui avait fait de grandes études, qui aimait sa fille comme un trésor à ses yeux, beau, jeune, il avait pour elle tout d'un homme parfait. Je ne l'avais pourtant jamais vu, mon amie refusant de me faire voir son appartement, sa petite misère comme elle l'appelait.

Quelques jours après la naissance de Michel, Auguste mit en vente l'appartement et à peine trois semaines plus tard, la famille emménagea dans une petite bâtisse à la façade à colombages, non loin de chez moi. La famille occuperait le premier étage, qui comptait seulement quatre pièces : deux chambres, un salon et une cuisine. Auguste dormirait dans la grande chambre avec le bureau, tandis que Camille se serrerait dans l'autre, plus petite, avec ses trois enfants. Il aurait bien sûr été plus intelligent de faire en sorte qu'Auguste dorme dans la petite chambre, mais les décisions de monsieur ne devaient pas être remises en cause.

N'ayant plus besoin d'emprunter la voiture de mon frère pour me rendre chez Camille, je me rendais chez elle plus souvent. Celle - ci se plaignait encore.

—''Vous croyez que je peux rompre le contrat de mariage avec Auguste ?

—''Quoi ?! Mais vous êtes folle, l'église ne le permet pas !Et puis d'abord que cela vous apporterait ? Vous vous retrouverez à la rue avec les enfants et vous mourrez de froid seule et affamée. Vous en voulez encore ?

—''C'était juste pour savoir... je ne l'aime pas du tout et je suis malheureuse avec lui. Peut-être l'église aura-t-elle pitié ?

—''Vous riez des genoux ! D'abord l'église ne fait pas d’exception, et puis jamais Auguste n'accepterais, il faudrait son consentement.

Je doutais de la réelle détresse de Camille, sans doute n'était t - elle pas aussi heureuse qu'une femme amoureuse, mais elle n'était pas maltraitée et ne manquait de rien. J'en avais marre qu'elle se plaigne à longueur de journée, c'est vrai quoi, elle n'était ni pauvre ni battue !

En avril, Thérèse fêta son onzième anniversaire. La jeune fille à l'air angélique et quelque peu naïve avait quelques semaines auparavant menti à ses parents mais c'était surtout sa mère qui lui en voulait. France me le raconta avec une pointe de déception dans la voix, comme si elle croyait son unique fille incapable d'un tel péché : Thérèse avait peu d'amies, et malheureusement pour elle, les seules filles avec qui elle aimait passer son temps, ses parents ne les aimaient pas. Ils auraient plutôt aimé qu'elle s'amuse avec les petites filles modèles qui vivaient juste à côté de chez eux, trois sœurs dans une fratrie de cinq enfants dont l'éducation irréprochable convenait davantage à l'éducation de Thérèse, mais que celle - ci trouvait trop prétentieuses et orgueilleuses.

Joseph passait donc son temps à rappeler à l'ordre son épouse lorsqu'il apprenait que leur fille avait passé une heure avec elles, mais France avait bien du mal à l'empêcher quelques sorties. Un jour, alors que France, qui en avait assez de désobéir à son époux, avait interdit a Thérèse de sortir, celle - ci, pour se débarrasser de sa mère, lui fis une promesse comme quoi elle se rendrait chez les sœurs des voisins. Bien sûr sa mère la crût naïvement et la laissa sortir.

Ce n'est qu'en fin d'après-midi, quand France voulu rejoindre sa fille chez les voisins pour apprécier ses progrès en matière de fréquentations qu'elle se rendit compte qu'elle n'y était pas. Alors inutile de vous dire qu'à son retour elle fut grassement sanctionnée de par son père qui l'obligea à se rendre au confessionnal pour ses inacceptables péchés, lui donna d'après ma cousine la plus grande gifle que l'on pouvait infliger à un enfant et de par sa mère qui fus terriblement déçue de la confiance désormais réduite à néant envers sa fille, mère qui s'en voulait aussi d'avoir été si naïve. Thérèse cessa enfin de voir ces filles mal nées mais s'enferma dans sa bulle, n'ayant plus d'amies. Malgré tous les efforts des parents pour lui faire accepter et apprécier les petites voisines, Thérèse refusait d'entendre quoi que ce soit et en voulait énormément à ses parents, claquant les portes contre eux, s'attirant gifles à profusion. France me confia ne plus reconnaître sa fille au caractère auparavant innocent et calme.

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