Chapitre 19I: novembre 1770
C'était une berline de voyage tirée par quatre chevaux, fermée, à l'intérieur confortable, appartenant à mon frère, j'avais insisté pour qu'il me la prête. La berline pouvait accueillir six personnes dans l'habitacle, et était assez confortable à conduire. Tandis que Camille prenait place à l'intérieur, je montais sur le siège du cocher : j'avais l'habitude de mener. Nous roulâmes deux heures avant de nous arrêter dans une auberge pour prendre notre déjeuner. Une fois reparties, Camille vint s'asseoir près de moi sur le siège du cocher : elle me parlait tandis que je me concentrais sur les chemins cahoteux et sur le galop des chevaux.
Je n'en croyais pas mes yeux lorsque je sentis une goutte de pluie tomber sur mon nez.
—''Non, ce n'est pas vrai !
—''Qu'y a t - il ? S'étonna Camille.
—'' Il pleut.
—''Pourtant, je n'ai rien senti, en êtes vous sûre ?
—''Regardez donc le ciel Camille ! Pointais-je du doigt l'horizon sombre.
Puis le ciel noir déversa quelques gouttes bien perceptibles, avant qu'une averse ne s'abatte sur nous. Nous nous arrêtâmes et rentrâmes vite au sec. Tandis que ma sœur s'asseyait en face de moi, la tête pensive contre la vitre, je me recroquevillait sur la banquette de cuir et somnolait, bercée par le son de la pluie sur les carreaux. Je ne sais combien de temps nous restâmes ainsi, toutes deux, bien protégées de la mouille, mais lorsque je rouvrais les yeux, je m'inquiétais : il fallait repartir au risque d'arriver trop tard demain. Alors je menais les chevaux toute la journée, m'arrêtant une fois je crois pour prendre un ou deux biscuits dans la malle ou vider ma vessie. Le soir, nous nous arrêtâmes dans une auberge pour prendre notre souper, reposer les chevaux, et surtout dormir. Ma soupe, je l'avalais comme si c'était la première depuis des lustres, mon ventre me faisait souffrir tant j'avais faim. Après le repas, nous partageâmes avec Camille une chambre à l'étage, et le lendemain, dès six heures, nous repartîmes, bien décidées à arriver le soir avant minuit. Je montrais à ma sœur comment l'on menait les chevaux, pour qu'elle puisse se débrouiller en cas de besoin, c'était une bonne cochère !
Enfin la nuit venue lorsqu'un panneau de bois rongé par le temps apparaissait sous la lumière de la lune, indiquant '' La Rivière Saint–Sauveur'‘ , la ville où nous allions être hébergées, je criais de joie, enfin nous étions arrivées ! Nous mîmes beaucoup de temps à trouver la maison, sans adresse c'était très difficile (Joseph nous avait juste indiqué une maison à deux étages, à la façade bleue, et nommée '' Océane''), mais lorsqu'elle apparut devant nos yeux, je crus rêver. Terriblement excitée a l'idée de voir la mer demain, je réveillais ma sœur, encore lourde de fatigue, et me présentais devant la porte. Sans que nous n'ayons besoin ni le temps de frapper, un homme apparut à la porte.
— '' Bonjour ? Vous êtes … ?
—'' Louise et Camille de Châteauroux, les cousines de France.
—'' Joseph m'a parlé de vous, entrez vite. Ne faites pas trop de bruit, les enfants dorment.
Rapidement, l'homme m'aida à descendre les malles, nous montra la chambre que nous occuperions, une petite pièce qui ne comptait qu'un lit, une armoire, un baquet. Je me penchais pour vérifier que sous le lit, il y avait bien un pot de chambre. Cela me rassura, il y en avait un. Tandis que Camille s'écroula de fatigue sur le lit sans même avoir enlevé sa robe, je retirais mon vêtement avant de souffler la bougie pour sombrer avec elle dans un sommeil bien mérité.
Comme le lendemain en regardant mon gousset je voyais qu'il était déjà neuf heures, je m'empressais de remettre ma robe, refaire mon chignon, et enfiler mes chaussures.
Je réveillais doucement Camille : aujourd'hui nous allions à la mer. Celle–ci se prépara et nous allâmes prendre notre déjeuner. A table, notre première vue fus trois petites brunettes qui mangeaient sagement leurs tartines de confiture, et qui relevèrent le nez presque en même temps lorsqu'elles nous virent. Avant que nous ayons pu dire un mot, le père arriva.
— '' Ce sont mes filles. Installez-vous, faites comme chez vous. Dites bonjour les enfants.
—'' Bonjour ! Clamèrent-elles en chœur.
Nous étions quelque peu mal à l'aise, surtout que la plus jeune, celle qui avait le plus de bagou, tenait à nous montrer son dessin. Comme nous ne paraissions pas intéressées, mais qu'elle insistait, son père la sermonna.
—'' Fanchon, laissez les jeunes dames tranquilles !
—'' Elle ne nous dérange pas...
—'' Calmez-vous quand même ma fille. Elles verront votre dessin si elles le veulent.
Après le déjeuner, nous vîmes la mère de famille, une femme laide, qui nous salua avec un de ces sourires faux et forcés en laissant apparaître ses dents gâtées. Il était neuf heures et demie lorsque nous prîmes la direction de la mer. Après avoir roulé cinquante minutes environ en suivant le cri des mouettes, le Graal.
Elle apparut là devant nous, majestueuse, nous accueillant dans un délicieux bruit de remous. Ses vagues irrégulières qui s'échouaient sur le sable inlassablement constituaient pour nous un spectacle inoubliable. Qu'y avait-il de l'autre côté de cet horizon ? Un territoire inconnu ? Et si cette étendue d'eau était infinie ?
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