Chapitre 14B: août 1765

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Le matin du vingt-neuf août, il y avait du désordre et de l'agitation dans le dortoir, de nouvelles élèves arriveraient d'ici quelques jours et il fallait ranger toutes nos affaires avant de rejoindre l'autre partie du bâtiment. Une fois mes affaires réunies, je suivais les autres, et disait au revoir à ma chambre. Une fois arrivée dans ma nouvelle chambre, je m'installais. Rien ne changeait dans nos habitudes en deuxième année, si ce n'est que nous n'étions plus les plus jeunes, et que la salle de bain était plus exiguë. J'écrivis à Camille, malgré ses mots, tant pis si elle n'était pas contente !

Chère Camille,

Je sais que vous ne vouliez pas que je vous écrive, mais je crois cela nécessaire. Comment France va-t–elle? Et la famille ? Vous me manquez terriblement, les débuts ont été difficiles, mais j'ai grandi, et j'arrive mieux à supporter l'éloignement. Thérèse est-elle toujours autant jalouse de son frère ? Comment vit-elle avec Georges-Henri ? Encore merci, et à bientôt.

Louise.

Je ne parlais pas beaucoup avec les autres filles : les seules camarades avec lesquelles j'avais réussi à tisser des liens avaient quitté l'établissement pour des raisons différentes. Cependant j'aimais rester avec Louise et Marguerite. Un soir, Louise nous raconta une histoire, nous étions toutes les trois assises sur son lit, et elle éclairait son visage à la lueur de sa bougie.

— '' Une vieille dame seule dans une grande maison sombre et en mauvais état isolée de la ville, attend son fils qui doit lui rendre visite et qui n'est toujours pas arrivé. Elle est assise dans son rocking-chair, et lit un livre tout en flattant son chien, sagement couché a ses pieds. Après quelques instant, elle entend un bruit étrange venant de la cuisine : c'est le toit qui fuit, l'eau coule, goutte par goutte. Elle se lève, puis va occulter le trou. Elle revient ensuite, s'installe à nouveau, reprend son livre, et recommence à caresser son chien. Soudain, le bruit recommence, mais cette fois— Ci il ne provient pas de la cuisine : il vient de sa chambre au premier étage. Elle se relève donc, monte jusqu'à la chambre, puis bouche le nouveau trou du toit, dont l'eau coule à un rythme plus rapide que la première fois. Encore une fois, elle retourne s'asseoir puis continue à lire son livre toute en caressant son bon chien. Mais quelques instants plus tard, elle entend de nouveau le bruit de l'eau qui coule à un rythme endiablé. Elle passe donc devant la cuisine : le toit ne fuit plus, ni la chambre du premier étage, elle monte donc au deuxième étage, puis se rend à la chambre de son fils : le toit fuit, elle le bouche donc, mais constate que le bruit persiste et qu'il est tout proche. Elle remarque alors que l'armoire d'habitude fermée est entrebâillée. Elle s'approche doucement, et ouvre en grand l'armoire. À sa grande surprise, elle aperçoit son chien égorgé qui saigne goutte par goutte. La question persiste toujours : Que pouvait -elle bien caresser au rez de chaussée ?

Ce genre d'histoire me faisait frémir, surtout raconté la nuit à la lueur de la bougie. Plus d'une fois je me suis cachée les yeux, ou bouchée les oreilles, mais j'avais tant envie de savoir la fin que jamais l'idée m'est venue d'aller me coucher. D'ailleurs, je ne crois pas avoir beaucoup dormi la nuit suivante.

Nous reprîmes les leçons au premier août, et rien n'avait changé.

Des fois je me posais la question : à quoi bon apprendre et travailler si c'est pour ne jamais exercer de métier plus tard ? La réponse me revenait vite : pour ne pas me faire renvoyer et briser par Célestin.

Chère Louise,

Aujourd'hui (5 septembre), j'ai assisté à une scène bien surprenante : nous avons reçu la visite d’Élisabeth et de ses enfants, alors bien que cela fasses quatre ans que nous demeurions sans nouvelles. C'était un matin comme tous les autres, qui devint particulier lorsqu'en tout début de matinée, Élisabeth arriva en trombes, un nourrisson hurlant dans les bras. Elle pleurait beaucoup et avait l'air paniquée, son mari venait de décéder d'une maladie infectieuse et elle se retrouvait avec quatre enfants à élever seule. Son benjamin n'avait que quelques jours et, malade, il avait besoin de soins, alors comme seule solution, elle n'avait pas eu d'autres choix que de reprendre les contacts avec sa mère pour le sauver. Marguerite accepta de l'aider sans hésiter, l'enfant était brûlant de fièvre, je le berçais pendant que Marguerite remplissait le baquet pour l'y baigner. Il était chétif, pleurait sans cesse, malheureux, il n'avait pas encore de prénom et n'était pas baptisé. Nous le baignâmes, et dans l'urgence, il fut conduit à l'église, il était temps. Célestin n'avait presque jamais vu Élisabeth, mais proposa après maintes réflexions, et puisqu'elle ne pouvait pas rester indéfiniment à la maison, qu'elle vivrait avec nous le temps de faire son deuil, et se remarierait l'été prochain avec le prétendant qui m'était auparavant destiné. Dans la maison règne à présent une ambiance assez joyeuse : Charles est très studieux, mais Berthe est dissipée. Nous prenons bien soin du dernier né qui est passé non loin de la mort, et Célestin a choisi son prénom: Aimé.

La dernière fois que France est venu, avec ses trois petits, le désordre était présent, il n'y avait jamais eu autant d'enfants à la maison. Les cousins se sont vus pour la première fois, Amédée et Charles ont joué ensemble au parc, ainsi que Berthe et Thérèse. Je crois qu'ils se sont plût. Je vous tiens au courant des prochaines nouvelles,

Bien à vous,

Camille.

Cela me secoua, Charles–Émilien était donc mort ? Je l'appréciais, j'étais triste d'apprendre cela, surtout juste après la naissance de son dernier - né. Je répondais vite à Camille, mais je crois qu'elle ne reçut jamais ma lettre, car elle ne me répondit pas.

Au mois de novembre, je m'en voulu car j'oubliais le dix – neuvième anniversaire de Camille, je m'en rappelais seulement quelques jours plus tard, au détour d'une conversation sur les anniversaires avec une fille bien sympathique du dortoir. Sur le moment, j'eus peur qu'elle m'en veuille, mais après tout, sans doute qu'elle ne s'en rappelait pas elle-même et qu'à chaque fois que je lui souhaitais, je lui remémorais douloureusement qu'elle vieillissait d'une année.

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