Chapitre 31A: mai - juin 1782
Nous nous rendîmes ce mois de mai chez le père de Léon, à Paris. Monsieur Aubejoux vivait seul et triste depuis le décès de son épouse, cela me déchirait le cœur. Dans cette ambiance poussiéreuse et vieillotte, Léon – Paul jouait seul avec les quelques anciens jeux de mon mari et de ses sœurs, tandis que André explorait l'appartement, c'était la première fois de sa vie qu'il quittait Montrouge. Moi je pensais à cette vie passée, mélancoliquement assise sur cette chaise branlante, contemplant les portraits de lointains ancêtres de la famille accrochés aux murs derrière lesquels des lézards se glissaient, pendant que mon mari prenait des nouvelles de son vieux père, barbu jusqu'aux pieds et tellement courbé qu'on aurait pu craindre qu'il ne tombe en avant si sa canne ne le retenait pas. Malou et Gustavine quant à elles, étaient restées à Montrouge, assez âgées et autonomes désormais pour se débrouiller sans moi, de surcroît je ne voulais pas que Malou ne rate ne serait-ce une journée d'école.
André, après que nous ayons pris notre dîner dans une ambiance rarement souhaitable chez son grand – père, se mettait à pleurer parce que ses langes étaient sales, il avait le dos trempé et les linges étaient complètement imbibés, formant même sur le dos de sa robe une sorte d'auréole. C'était assez écœurant à voir et à sentir aussi, puisque l'odeur était pestilentielle et j'avais peur que ses fesses ne soient complètement irritées, et ne le fasses souffrir terriblement. Mr Aubejoux n'avait ni baquet, ni serviette, ni pièce d'eau en général, puisqu'il se lavait dans la Seine toute proche, alors pour changer l'enfant, et le soulager, nous avions seulement a notre disposition un broc d'eau de la Seine filtrée avec une chaussette, un ou deux vieux chiffons a carreaux qui servaient autrefois de serviettes de tables, et un gant de toilette usé.
J'installais mon fils pleurant sur un chiffon posé sur le parquet, lui retirait ses langes puants et sa robe plus très blanche, tentait de lui nettoyer les fesses avec l'autre linge que j'avais mouillé, et enfin lui appliquais ma crème miracle, une sorte de pommade a base de plantes, qui collait un peu mais qui soulageait énormément. C'est donc avec un vieux chiffon en guise de lange que mon fils se baladait désormais presque nu dans l'appartement, j'avais la chance que nous eûmes le temps de rentrer chez nous avant qu'il ne les resalissent.
Alors que je venais de le border, et m'apprêtais à le laisser lui et son frère pour aller me coucher, Léon – Paul m'interpella depuis son lit.
—''Moi je ne veux pas partir chez les frères à Paris. Je veux être chirurgien.
—''Léon – Paul, cela ne vous empêchera pas de faire un métier qui vous plaise… Seulement de terminer vos études primaires aussi brillamment que vous les aviez commencées.
Mon fils, au fur et à mesure de mes paroles, se mettait à pleurer.
—''S'il vous plaît… Je ferais des efforts…
—''Non. Je vous prie de vous conformer à la décision de votre père, Léon – Paul. A quatorze ans vous reviendrez et vous ferez les études que vous voudrez, c'est promis. Allez mon fils, ce ne sont que quelques années, et ensuite vous ferez ce qu’il vous plaira. Bonne nuit, bonne nuit André !
Il brailla en me tendant de loin un minuscule objet brillant du bout de ses doigts
— Non ! N'essayez pas de descendre du lit, j'arrive. Que se passe-t-il ? Donnez - moi ça.
—''Oh ça alors, c'est une des épingles de vos langes. Tournez - vous, je vais vous la remettre... J'espère que l'autre ne s'est pas perdue dans le lit… Voyons… Elle tient encore ça va. Allez, dormez bien mon fils. Je l'embrassais avant de m'assurer qu'il ne risquerait pas de tomber de son lit, pour cela, je le bordais bien.
Enfin je refermais la porte, la laissant un peu entrebâillée pour que André puisse avoir un peu de lumière du couloir où je laissais brûler une lampe à huile, pour le rassurer de mon absence.
Rêvant déjà de la petite princesse que j'aurais dans les bras d'ici la fin de l'année, même si mon mari me répétait qu'il ne fallait mieux pas s'attendre à une fille, j'imaginais son prénom, sa couleur de cheveux, et les robes adorables que je pourrais lui faire porter quand elle marcherait. J'avais quelques prénoms en tête, chacun ayant pour moi une signification forte et importante, que je prenais soin de noter sur un bout de papier, un jour où je m'ennuyais.
Émilie ; Camille ; Louise ; Renée. Les quatre prénoms de fille qui avaient la plus grande importance pour moi, et la plus forte aussi. Pour un garçon, ce serait forcément Émile, mais je préférais ne pas penser à cette possibilité.
Comme s’il avait prié si fort que Dieu avait accepté d'exaucer en parti son vœu, Léon – Paul se foula douloureusement la jambe en jouant à saute – moutons avec son ami Charles, vers la fin du mois de juin. De ce fait, son départ pour Paris qui devait avoir lieu à ce moment-là fut repoussé à plus tard, sans avoir de date précise. Je m'occupais de lui comme s’il avait été mon petit roi, lui apportant des tisanes au lit et ses repas sur un plateau. Cela dura jusqu'au moment où le médecin le déclara guéri, une semaine et demi plus tard. Il pleura, il supplia, mais peu de temps avant son neuvième anniversaire, après mille baisers de bonne chance de ma part et de Malou et Gustavine, son père le conduisit à l'institution Chrétienne de Paris, où il resterait jusqu'à sa majorité, ou du moins jusqu'à ses quatorze ans. Les premiers jours il me manquait trop, mais je relativisais en repensant à ses études aussi je me disais que c'était mieux ainsi pour lui, et qu'il m'écrirait.
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