Chapitre 32D: juin - juillet 1783

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Après que Léon, suite au dîner, était reparti vers sa librairie, je m'étais poudrée exceptionnellement les joues pour me donner un teint plus blanc, coiffé mes cheveux et je les avais rabattus sous un grand chapeau mauve pas porté depuis des années. Mes pieds étaient serrés dans des escarpins étroits, ma taille étranglée par ce corset acheté dans ma vingtaine et qui ne convenait plus vraiment à la femme qui avait subie cinq grossesses que j'étais, je cherchais des gants mais je n'en avais pas, ni même un collier ou des boucles d'oreilles, que je n'aurais pas pu mettre, mes trous s'étaient rebouchés depuis des années et les repercer aurait été trop douloureux.

Malou voulait m'accompagner, alors Gustavine garderait André. Si cette visite était pour moi aussi importante, c'était parce-que les femmes que je rencontrerais autour de ce thé l'étaient assurément, Berthe étant devenue l'épouse d'un des médecins les plus brillants de son milieu. Pour la première fois, je faisais essayer un corset à Malou.

—''Voilà, je vais serrer, attention. Si je vais trop fort, dites-le-moi.

—''Ah… Mais c'est horrible… Riait-elle en se tenant la taille. J'ai l'impression de ne plus pouvoir respirer, vous pouvez desserrer un peu ?

—''Non, attendez, vous allez le retirer.

—''Pourquoi ? Demanda-t-elle déçue

—''Parce-que si vous êtes gênée pour respirer, il faut l'enlever. Beaucoup de femmes ont fait des malaises à cause de ça. De plus, vous êtes trop jeune. Allez, retirez-moi ça, vous n'avez pas de poitrine, une chemise fera tout aussi bien l'affaire.

—''Pouvez – vous en revanche m'aider à défaire le corsage ?

—''Bien sûr. Dépêchez - vous de vous habiller, nous partons dans une demie–heure. La priais–je en défaisant les lacets du corsage qui comprimait sa taille fine.

J'embrassais André qui s'accrochait à ma longue robe en râlant à l'idée de me voir quitter l'appartement sans lui, puis nous sortîmes, l’air chaud de ce mois de juillet nous assaillit. J’avais prévenue Gustavine de prendre en charge le souper et de rassurer Léon si nous nous attardions jusqu’au soir là–bas.

Nous marchâmes longuement avant de trouver l’adresse, un immeuble encore plus luxueux que celui de mon frère, situé non loin de l’hôpital de l'Hôtel-Dieu, qui s’élevait sur trois étages.

Arrivées à la porte, Malou frappa deux grands coups, et une bonne, comme si elle attendait derrière la porte, nous ouvrit aussitôt pour nous inviter à pénétrer dans le logement, après nous avoir demandé nos identités.

Elle nous débarrassa de nos chapeaux, qu’elle alla accrocher à la patère près de l’entrée, puis nous annonça auprès des propriétaires.

—''Madame ! Madame Aubejoux et Mademoiselle Meursault sont arrivées.

Une femme blonde et élégante nous accueillit, elle était jeune, fraîche, dans sa belle robe bleue qui ne laissait pas entrevoir ses pieds, elle sentait le parfum. Elle souriait, sans doute heureuse de nous voir.

—''Bonjour Louise. Bonjour mademoiselle Meursault. Je suis bien contente de vous voir.

En nous faisant visiter l’appartement, elle expliquait.

—''Voyez, tout n’est pas encore bien ordonné. Nous nous sommes installés ici il y a trois mois, après notre mariage en février. Gabriel travaille et… C’était à ma grand – mère. Coupa-t-elle ses explications en voyant Malou regarder avec insistance ce vase de porcelaine décoré de petites fleurs délicates, posé sur le meuble bas dans le couloir.

—''J’ai appris que votre époux était médecin ? Demandais – je curieuse

—''Oui, il est médecin en chef et directeur de l'Hôtel-Dieu qui est près d’ici. Il est très occupé et je ne crains que vous ne le voyez ce soir.

—''Madame ! Mademoiselle Robespierre ! Clama la bonne depuis l’entrée

—''Suivez-moi, c’est l’amie de mon frère qui arrive. Berthe croisa son frère en se dirigeant vers l’entrée, lui qui devait être un habitué des lieux, elle nous présenta :

—''Charles, je vous présente Louise, notre grande tante et Marie–Louise, sa nièce. Allons accueillir Charlotte.

Charlotte était entrée. Une proche amie de Charles que certaines rumeurs disaient bientôt mariée avec lui, lorsque les dix ans de deuil pour Emma qu’il avait promis seraient passés.

Jeune femme sans beauté mais sans laideur non plus, Charlotte s’exprimait de manière légèrement décalée, avec une voix originale qui collait avec son apparence simple. Arrivèrent par la suite les deux sœurs de Charlotte, Louise et Anne–Laure, toutes deux déjà mariées.

Charles, discret avocat qui exerçait à son compte dans un petit cabinet parisien, restait avec nous autour d’un café, tandis que la bonne nous servait un thé sucré, brûlant, tout droit venu de Chine. Sur la table, la richesse de ce ménage s’affichait. Il y avait des biscuits au chocolat, du sucre en poudre, et du cacao sous la même forme. J’étais assez mal à l’aise, n’ayant pas de bijoux autour du cou et me sentant vieille et pauvre par rapport à elles, je craignais qu’elles ne me demandent le métier de mon mari, j’avais honte de notre désormais petite situation. Malou discutait avec nous, mais lorsque l’on parlait de ses parents, elle se mettait à boire son thé, gênée, triste peut – être, de cette situation difficile, qu’elle vivait avec son frère aîné.

L’après–dîner passa vite, je m’apercevais en discutant avec ces femmes qui n’appartenaient pas à ma classe sociale, qui ne partageaient pas les mêmes valeurs que moi, ni les mêmes préoccupations, que rarement elles parlaient de leurs enfants et, lorsque c’était le cas, de manière détachée et peu affective.

Anne–Laure et Louise en avaient pourtant, cinq pour Anne–Laure et trois pour Louise. Alors que de mon côté, je pensais sans cesse à mon fils qui contrairement à elles, représentait une grande partie de ma vie et de mon temps, elles ne se souvenaient même plus des dates de naissances de leurs enfants et a peine de leurs prénoms, je trouvais cela absolument aberrant.

Lorsqu’elles en parlaient, tout était approximatif, tous très jeunes, aucun ne vivait sous le toit de ses parents, ils étaient tous placés ici et là. Louise se souvenait bien que son petit dernier était une fille née deux ans avant, mais elle était incapable de me citer son prénom, car elle n’avait pas assisté à son baptême, ni a aucun de chacun de ses enfants d’ailleurs.

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