Chapitre 32G: septembre - novembre 1783

4 minutes de lecture

Un jour de septembre, nous reçûmes peu avant le souper, la visite du propriétaire de notre logement. Je ne l’avais jamais vu, seulement sa femme le jour où nous avions visité, avant que Léon ne se décide à le louer. C’était un grand homme chapeauté, un de ceux qui possèdent des immeubles, qui fixent les prix des loyers en fonction de la demande, et qui n’hésitent pas, lorsque les redevances sont impayées depuis trop longtemps, ou qu’il doit libérer un logement rapidement, à mettre des familles entières sur le trottoir, sans même se préoccuper de la saison. Il avait un air sévère, un habit noir, mais nous n’avions pas à nous inquiéter puisque Léon payait chaque mois le loyer, même s’il fallait pour ça parfois se serrer la ceinture pour les repas.

Sa voix, grave, effraya André qui se tut. Léon, qui s’apprêtait à passer à table, se leva, fixant l’homme d’un regard inquiet.

—''Monsieur Léon Aubejoux ? Demanda t-il

Mon mari se leva en saluant l'homme.

—''Oui monsieur, c’est moi.

—''Je voudrais vous parler, ainsi qu’à la jeune… Il regarda sa feuille. Marie–Louise Meursault. Est-elle présente?

—''Bien sûr. Léon fit signe à Malou de se lever et de les rejoindre.

Monsieur Paquet de son nom, chercha dans son dossier une feuille, et la montra à ma nièce, qui parut étonnée.

—''Nous inspectons les logements à la recherche des étrangers, puisqu’il est dit qu’une famille non française s’était installée dans l'immeuble contre mon accord et sans payer de loyer. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous ne portez pas le même nom que le chef de famille ?

Sans lui laisser répondre, Léon expliqua.

—''C’est ma nièce. Elle est orpheline depuis dix ans et nous en avons la garde, puisque mon épouse est sa marraine.

—''Je ne peux vous croire sur parole. Je ne peux être sûr que ce n’est pas une étrangère hébergée ici. Il me faudrait pour elle un extrait de son registre de naissance, à donner lorsque vous payerez le loyer à la fin du mois de septembre. Bonne soirée mesdames et messieurs.

Sur ces mots, il quitta l’appartement. Dès le lendemain, Léon fermait une heure sa librairie, pour me conduire à l’église Sainte – Geneviève, où ma nièce avait reçu il y a treize ans son baptême. Le prêtre, une fois qu’il avait terminé au confessionnal, m’accordait un peu de temps.

—''Bonjour. Vous voulez ?

—''Je voudrais un extrait du registre de baptême.

—''Oui, pour quelle année ?

— '' 1770.

Il alla chercher derrière son autel un énorme livre rouge et poussiéreux, dans lequel tous les baptêmes de cette année étaient soigneusement répertoriés, du premier janvier au trente et un décembre.

—''Ce serait pour quel mois ?

—''Le mois de septembre. Je regardais derrière son épaule, en cherchant avec lui la date.

—''C’est elle. Oui, Marie–Louise Meursault. Puis–je le recopier ?

—''Bien sûr, je vous le laisse. Je n’aurais qu’à signer avec vous, pour prouver l’authenticité.

Je recopiais soigneusement l’acte de baptême, avant de signer avec le prêtre et de rejoindre Léon qui s’impatientait dans la voiture, le précieux papier dans les mains. Durant le trajet du retour, je relisais l’acte.

[Le treize septembre mil sept cent soixante dix, moi, père Jacques Bernard, en l’église Sainte–Geneviève, j’ai baptisée au nom du père, du fils et du Saint – Esprit, une enfant née ce jour prénommée Marie–Louise Camille Augustine. Les témoins présents ont signé la déclaration en main propre: le père, Auguste Meursault, la marraine, non présente, Louise – Victoire Châteauroux, tante de l’enfant, la marraine Jeanne Meursault, grand – mère de l’enfant, les parrains, Eugène Landier, et Jacques Landier, grands oncles de l’enfant.]

C’est comme cela que Malou apprenait que je n’étais pas présente à son baptême et qu’elle portait trois prénoms, que moi même j'ignorais jusque là. Je lui parlais peu de son passé, par exemple, je ne lui avais jamais raconté en détail le mariage de ses parents, la naissance de son frère aîné a laquelle j'avais pourtant assistée, ou l'enfance de sa mère. Je supposais que si elle ne me posait pas de questions, ça ne l’intéressait pas.

Le froid arrivait et l'appartement n'était que très peu chauffé, Léon voulant en priorité payer le loyer, préférant naturellement que nous gardions un toit, même sans chaleur. Le propriétaire était sévère, et au premier loyer impayé ou payé en retard, rien ne pouvait nous promettre qu'il ne débarquerait pas un matin avec un ultimatum pour que nous quittions les lieux, en fait, rien ne nous protégeais. La librairie fonctionnait, mais Léon ne pouvait se permettre un seul jour de maladie dans la semaine, au risque de bouleverser les comptes de la famille, au risque de nous priver de nos trois repas par jour. Qu'il soit enrhumé, fiévreux ou même s'il devenait tuberculeux, mon mari n'aurait d'autre choix que d'aller travailler.

Novembre arriva sans neige, puis décembre pointa le bout de son nez. Je revoit André, grelottant sous l'épaisse couverture de laine dans laquelle je l'avais pourtant enroulé, assis les genoux repliés sur le fauteuil de son père, claquant des dents, ses petites mains toutes froides qu'il tentait de réchauffer en les enfonçant dans les jointures du fauteuil. Je ne pouvais rien faire pour lui, seul le potage que je servais de nouveau le midi et le soir nous réchauffaient, il faudrait attendre le premier janvier pour pouvoir allumer pendant quelques jours la cheminée du salon, c'était Léon qui l'avait dit. D'ailleurs, mon mari m'annonçait en décachetant une lettre, un soir de début décembre.

—''J'ai reçu une lettre de mon père. Nous passerons la journée du six décembre avec lui, pour célébrer la Saint - Nicolas. Il nous invite chez lui pour le dîner et le souper.

—''Au moins, André n'aura pas froid pendant une journée. Hier, il en pleurait, épuisé de claquer des dents toute la journée.

—''Que voulez - vous... Il vaut toujours mieux d'avoir froid avec un toit sur la tête que d'avoir froid sur le trottoir, non?

—''Vous avez raison, mais il faudra trouver une solution.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Lanam ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0