Chapitre 33C: octobre 1784
Au chat.
Gustavine, fatiguée, partait rapidement se coucher. Léon - Paul devait attendre qu'elle enfile sa robe de nuit avant de pouvoir lui aussi aller dormir, car il n'y avait pas de paravent dans la chambre. Assise avec mon futur mari sur le canapé, je caressais les cheveux de mon fils, qui était en train de s'endormir la tête sur mes genoux. J'allais chercher sa robe de nuit discrètement dans la chambre et je le déshabillais dans le salon, pour ne pas réveiller son frère et sa demie - sœur. Lorsqu'il fus nu comme un ver, je lui enfilais sa robe, une grande blanche qui couvrait ses pieds, comme tout le monde en portait la nuit, sans rien en dessous. Les bonnets, ce n'était la peine que lorsque l'appartement n'était pas chauffé, ce qui n'était pas le cas en ce moment.
Doucement, je le portais jusqu'à son lit, tout en veillant a ne pas trébucher sur un meuble ou un objet laissé là par hasard. Je me retrouvais seule avec André, dans le salon, il faisait sombre puisque la pièce n'était éclairée qu'avec quelques bougies. Il me pris la main.
—'' J'ai du mal a imaginer que d'ici quelques mois, vous serez ma femme.
André me baisa la main. Pris sans doute dans un élan d'amour, nous nous embrassâmes langoureusement, avant que je ne l'arrête.
—'' Nous ne sommes pas encore mariés. J'ai peur que nous allions trop loin. Patientez encore quelques temps. Il se fait tard, vous devriez rentrer chez vous.
Il se leva d'un bond du canapé, puis il attrapa ses affaires qu'il avait accroché à la patère, et quitta l'appartement en claquant la porte. Je soupirais, sans même chercher à le retenir. Les hommes étaient tous comme ça. Gustavine s'était levée. La jeune femme me regardait de ses yeux fatigués, en demandant ce qu'il se passait.
—'' Tout va bien. Ne vous inquiétez pas. Retournez dormir.
—'' André est-il parti?
—'' Oui. Il y a peu. Mais tout va bien je vous le répète. Allez dormir.
Elle s'en retourna vers la chambre, tandis que je fixait la petite bête qui tentait d'escalader la table basse du salon, une sorte de scarabée répugnant. Je la dégagea d'un coup de chaussure, avant d'aller me coucher. Cette nuit, je serais encore une fois seule dans le grand lit froid. Certaines nuits, je sursautais, imaginant Léon près de moi. Sa respiration forte, le froissement des draps lorsqu'il se retournait, le grincement du lit lorsqu'il m'étreignait, avant notre déménagement, hantaient ma mémoire.
Dès le lendemain matin, je me rendais chez André pour qu'il me pardonne. Sachant qu'il partait tôt, je me levais vers huit heures. Il apparut habillé, son tablier de cuir à la main.
—'' Que me voulez vous?
—'' Sachez que je suis désolée pour hier soir. Je suis désolée de vous avoir repoussé, de vous avoir fait de la peine. Mais vous savez, j'ai été éduquée comme ça.
—'' L'éducation, l'éducation. Je n'y vois qu'une chose. Vous ne m'aimez pas et vous voulez repousser ce moment.
—'' Écoutez André, vous pourrez penser ce que vous voudrez...
—'' Maman! Cria mon petit garçon depuis l'étage du dessous
—'' Vous pourrez penser ce que vous voudrez mais ce n'est pas à trente - cinq ans que je réapprendrais à reconnaître un homme impatient. Et les hommes impatients doivent apprendre a attendre. Sur ce, le devoir m'appelle. Bonne journée.
André, réveillé par mon départ, m'appelait pour que je prépare son déjeuner. Nous n'avions plus de lait, Léon - Paul ayant vidé la veille pour le chat ce qu'il restait de la bouteille.
—'' Il n'y a plus de lait. Ce sera de l'eau. Voulez - vous votre tartine?
—'' Oui! S'enjoliva t-il sur la chaise
—'' Alors filez vous laver les mains. L'eau et la bassine doivent être sous le meuble, là-bas. Ne gaspillez pas.
Après s'être exécuté, il retourna à sa place, mais je n'était toujours pas satisfaite.
—'' Que fait - on avant de manger?
—'' On remercie le père! Dieu merci pour ce bon repas, je remercie celle qui fait la cuisine et je pense à ceux qui ont faim.
—'' Voilà. Votre tartine. Mangez doucement, il n'y en aura pas d'autre. Il faut garder du pain pour Gustavine et Léon - Paul.
—'' Oh le chat! Il veut manger la confiture! S'écria t-il la tartine à la main, devant le matou qui léchait la marmelade étalée sur le sol.
—'' Vous en avez fait tomber par terre? Ce n'est pas possible de faire attention, monsieur Aubejoux?
Je nettoyais, comme d'habitude, les bêtises de mon fils de trois ans et demi.
La fin de l'année se déroula sans encombres, je préparais mon mariage, ayant passé l'éponge avec André.
Un dimanche matin, lorsque nous rentrâmes de la messe, un vase était renversé, le journal que André nous avait ramené était tout déchiré, et il y avait des crottes partout, alors que le chat avait l'habitude de faire sur le papier journal que je disposais près de l'entrée de l'appartement. Après avoir longuement cherché le fautif, je le trouvais carapaté sous le meuble du salon. Je l'attrapais par la peau du cou, en m'exclamant, très mécontente.
—'' Mon intérieur sale bête ! Vous irez faire un tour dehors, ça vous calmera!
J'ouvrais la fenêtre, et je lâchais l'animal en contrebas. Un chat retombe toujours sur ses pattes, non? Il s'écrasa comme un déchet sans pouvoir se rattraper. Il agonisait maintenant en bas de l'immeuble, se traînant sur ses pattes avant, en miaulant de détresse, laissant une vilaine trace rouge vif sur le trottoir. Le dicton était donc faux. Mon fils se trouva particulièrement triste de savoir son chat mort. Je lui expliquais que c'était la vie, mais pas que j'avais tué le petit félin.
Le premier meurtre de ma vie.
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