Chapitre 34C: juin - juillet 1785
Il me sembla assez difficile de passer ses nuits serrée dans un lit poussiéreux, entre mon petit garçon de quatre ans et demi qui n'arrêtait pas de bouger, et mon mari, qui ne pouvait évidemment plus s'aviser de me toucher. Un excellent anti-grossesse en soit.
Gustavine envoya une première enveloppe d'argent dès le début du mois de juillet, jointe a une petite lettre où je repérais en premier lieu les fautes d'orthographe. Son salaire était conséquent, elle avait vraiment eu la chance de trouver cette famille qui en plus la nourrissait, la blanchissait et la logeait. Nous quittâmes de ce fait rapidement la petite pièce miteuse, a mon immense soulagement autant qu'a mon mari. Ainsi, je remboursais mon frère qui cessa enfin de me harceler avec ses histoires d'entretien et Camille pouvait continuer de reposer en paix.
Chère Louise,
Je vais bien, l'appartement est immense, j'ai pour la première fois de ma vie une chambre pour moi seule. Je suis aux anges.
Les enfants dont je m'occupe sont les petits-enfants de mes patrons. Ce sont trois garçons et une fille, dont j'ai grand plaisir a prendre soin, et ce que vous m'avez appris en cuisine et en ménage m'aide beaucoup. Mes patrons, Monsieur et Madame Marcel, sont très gentil avec moi, ils vivent avec leurs deux fils benjamin, Étienne et Jacques, qui sont tout autant aux petits soins. Ce sont les frères du père de ces enfants, décédé il y a deux mois dans un incendie avec son épouse.
Je ne sais pas si je resterais, même si je ferais ma formation, mais l'argent je pense vous aidera beaucoup. Mes patrons ne voulaient pas me payer au début et je suis désolée de vous avoir menti, mais ils ont finalement accepté de me verser un salaire ne vous inquiétez pas.
Gustavine
Nous louâmes un nouvel appartement de trois pièces quasiment identique à notre ancien, non loin de là. Grâce à l'argent, nous retrouvâmes une intimité de couple, André retrouva une vraie chambre qu'il partageait avec son frère aîné et le confort relatif qui lui avait manqué. Nous n'avions passé qu'un mois là bas mais c'était suffisant pour comprendre le désespoir des ménages les plus modestes, qui parfois s'entassaient dans une unique pièce de la sorte à dix ou douze, sans que je ne comprenne trop comment ils faisaient.
C'est devant un beau gâteau aux pommes et tout en sécurité que Léon-Paul souffla ses douze bougies le seize juillet. André, presque assis sur la table, était tout excité et voulait lui aussi les éteindre, bien que son anniversaire soit déjà passé.
—'' Laissez votre frère souffler ses bougies. En février, c'était votre tour, aujourd'hui, c'est a lui. Asseyez - vous Jeanjean... Allez!
Il se rassit docilement, en bavant de jalousie devant l'attention que l'on lui portait, a ce grand frère qui ne faisait plus de lui un fils unique, qui lui volait l'attention de sa maman. Une fois, il me demanda quand Léon serait de retour, alors je lui expliquais calmement que son père ne reviendrait pas, mais qu'il le surveillait tout de même depuis le ciel.
J'avais une sérieuse discussion avec Léon - Paul sur ses perspectives d'études. Il envisageait toujours de devenir chirurgien, mais je savais cela impossible, de part le coût des études, et puis je ne connaissais personne dans le métier. Je pensais l'envoyer en apprentissage chez Auguste, qui enseignait bien le métier a son fils aîné, qui sans aucun doute deviendrait lui aussi banquier. Bien sûr, mon fils s'y opposa fermement.
—'' Je croyais que votre cousine avait épousé un chirurgien ? Pourquoi ne m'enverriez vous pas là - bas? Tentait t-il
—'' C'est vrai, je n'y avait pas pensé. D'ailleurs je devrais lui écrire. Mais il est très occupé, tellement que je crains qu'il ne puisse s'occuper d'un élève.
—'' S'il vous plaît maman. Essayez je vous en prie... Si jamais il refuse, j'accepterais de faire ce que vous exigerez.
—'' Le chantage n'est pas la solution Léon-Paul. Vous ferez ce que je vous dicterais, c'est pour votre bien. J'écrirais a Berthe, mais je suis sûre qu'il n'y a rien a changer de côté-là.
J'envoyais une lettre a ma petite cousine pour prendre de ses nouvelles. Je ne tentais même pas de lui parler des éventuelles études de médecine de mon fils, persuadée que ce ne serait pas possible. Je recevais une réponse deux semaines plus tard.
Louise,
J'espère que vous allez bien. De mon côté, tout va pour le mieux. Gabriel est très souvent absent mais je trouve a m'occuper. Nous tentons de convaincre Charles de se fiancer avec son amie Charlotte, mais si il en a très envie, il a promis d'attendre encore quatre ans, pour Emma. Cela énerve particulièrement le père de Charlotte qui le menace de la marier a un autre homme, en effet, elle arrive sur ses vingt - cinq ans et si il arrivait quelque chose a mon frère dans deux ou trois ans, il aurait bien du mal a lui trouver un autre mari, les hommes préférant généralement les femmes de moins de vingt - cinq ans. Mon frère est têtu, je sais bien qu'il ne changera pas d'avis, même si il aime profondément Charlotte. Elle se dit prête a attendre mais si son père venait à la marier sans son consentement, elle ne pourrait rien dire.
Passez donc nous voir avant la fin du mois, j'aurais des amis a vous présenter.
Affectueusement, Berthe.
Léon - Paul venait me voir peu de temps après, impatient.
—'' Alors? Vous a t-on répondu pour la médecine?
—'' Non. Mais nous irons les voir cette semaine. Apparemment, elle a quelqu'un a nous présenter.
—'' Si vous le savez, c'est que vous vous êtes écrit. Pourquoi ne pas lui avoir parlé de mes études?
—'' Je lui en ai parlé Léon-Paul.
—'' Si vous lui en avez parlé, pourquoi ne vous a t-elle pas répondu?
—'' Cessez a présent. Cessez de poser vos questions sur ce ton insolent! Ne suis-je pas votre mère?! Ne devez vous pas me respecter?!
—'' Je vous prie de m'excuser, mais ces études sont très...
—'' Assez! Vous terminerez la journée dans la chambre privé de souper! Cela vous calmera.
Il m'obéit au bord des larmes, mais il avait été trop loin. Je comptais en parler a Berthe lors de notre prochaine visite, mais l'impatience n'était pas la clef. Et puis, j'en avais assez qu'il cultive ces faux espoirs. A douze ans, ne pouvait t-il pas comprendre que les études de médecine étaient réservées aux plus riches?
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