Chapitre 35B: mars - août 1785

5 minutes de lecture

J'avais déjà questionné mon mari sur sa vie passée. Il n'avait jamais eu d'enfants a lui, sa première épouse étant décédée deux ans après son mariage en 1770, et jamais ne lui avait été donnée l'occasion de se remarier par la suite. Je comprenais alors mieux son désir d'enfant, même si pour moi la question était déjà close. Si il voulait se trouver une autre femme qui consente bien a jouer les vaches a lait, alors la porte lui était grande ouverte, mais moi, j'avais déjà accompli mon devoir, par cinq fois. Un soir, je lui parlais longuement des drames qui avaient émaillé ma vie, il écoutait, sans dire un mot, mes douloureuses paroles, je restais courageuse tout au long du récit, sans jamais verser une larme, même si cela m'empoignait vraiment le cœur.

Il n'y avait rien de pire que d'être réveillé le matin par son fils très pâle, qui s’adressait à vous de sa petite voix chevrotante :

—'' Maman, André il a vomi et je ne me sens pas très bien.

—'' Ne restez pas près du lit si vous n'êtes pas bien ! Courez vers le seau avant de vomir. Je m'occupe d'André.

Je me levais, pour aller m'occuper de mon benjamin. Assis par terre devant son lit, son pyjama tâché, il pleurait. J'enfilais une robe de chambre car j'étais quand même nue sous ma chemise et je lui faisait sa toilette, des pieds à la tête, avant de lui enfiler sa deuxième chemise de nuit, pour qu'il puisse se recoucher. J'évitais une nouvelle catastrophe, en plaçant un petit seau près de son lit, pour qu'il puisse au besoin vomir dedans. Léon-Paul, lui, s'était couché sur le canapé, il se tenait le ventre, le visage blanc, près du seau. Il n'avait pas vomi, mais la nausée l'empêchait d'avaler quoi que chose ce matin. J'allais passer une excellente journée, ponctuée de larmes et de vomissements, dans l'appartement régnait une odeur écœurante, j'avais beau ouvrir les fenêtres, elle stagnait.

On me rendit visite dans la matinée, et à mon immense surprise, c'était mon meilleur ami et oncle secret de Léon - Paul, Jules, accompagné de son épouse et de ses quatre enfants : l'aîné, Jean - Robert, 12 ans, les cadets Marie - Josèphe, 11 ans, et Jules - Clément, 9 ans, et leur petit dernier, Mathurin, âgé de 6 ans. Ils avaient déménagés il y a peu dans le quartier et Jules avait su que j'habitais ici par une voisine. Ils ne restèrent pas longtemps à la vue de mes deux malades au fond de leurs lits que je devais tout de même veiller, mais cette visite imprévue me fit fort plaisir, surtout que je ne l'avais pas vu depuis plus d’une décennie. Lorsque mon mari rentra pour dîner, peu de temps après le départ de Jules, il s'étonna de ne pas voir son homonyme lui sauter dans les bras, comme il en avait l'habitude.

—'' Où est André? Demanda t-il en posant ses affaires

—'' Il est au fond de son lit, comme son frère. Ils sont malades depuis ce matin. C'est sans doute le mauvais air de la ville, ou bien l'eau du puits qui doit être souillée. Elle avait pourtant l'air propre quand je l'ai puisée, hier après - midi.

—'' Ont t-ils pris leur repas?

—'' Non, ils ne peuvent rien avaler. Ni Léon - Paul, ni André.

—'' Je vais aller les voir.

Mon mari rendit donc visite aux deux garçons, dont l'un était plus mal en point que l'autre. Je l'observais depuis le seuil de la porte. André s'agenouilla d'abord près d'André, plus malade que son frère, et il plaça sa main contre son front, trempé. Il se tourna ensuite vers moi.

—'' Il a beaucoup de fièvre. Apportez - moi donc un gant de toilette humide, pour le rafraîchir.

Je descendis jusqu'au puits pour aller remplir le seau, et je le remontais péniblement, me cassant le dos. Mon mari appliqua le gant mouillé d'eau fraîche contre la peau de l'enfant, qui, contrairement a son frère aîné qui râlait de mal - être, ne disait strictement rien, stoïque. Il ne s'occupa ce midi là que de lui, épongeant son front, ses bras, versant de l'eau dans sa bouche sèche, lui tenant les cheveux quand il voulait vomir, et me le laissant avec peine quand il lui fallut retourner a son atelier, car il ne pouvait se permettre une trop longue pause le midi, n'étant pas payé.

Le soir, alors que son frère allait déjà beaucoup mieux, André ne cessait de vomir. Il m'inquiétait beaucoup, surtout que je savais que c'était un enfant fragile, qui passait sa vie malade. La nuit suivante fus chaotique, mais il se rétablissait doucement, dès le lendemain, a partir du moment où il accepta de manger ne serait ce qu'une cuillerée de potage, mort de faim.

Mon dos craqua au moment où je tentais, un soir, de porter André jusqu'à son lit, endormi sur le canapé après le souper. Mon mari l'y conduisit finalement, et je m'allongeais pour laisser passer la douleur qui me bloquait le bas du dos, et qui m'empêchait d'effectuer n'importe quel mouvement. Fatiguée, je m'endormais sur le canapé, lorsque, vers trois heures du matin, la soif me réveilla. A mon grand bonheur quand je cherchais la douleur, elle avait déjà disparue. Après avoir bu, je me changeais près de la fenêtre, à la faible lueur du réverbère de la rue, et me glissais dans le lit près de mon époux endormi, qui ne tarda pourtant pas a me faire savoir ses envies pour cette nuit–là.

La place de la Grève était plutôt éloignée de chez nous, mais un dimanche après-midi d'août, pour leur montrer la méchanceté des hommes, mon mari nous emmena assister a une pendaison. Je n'étais pas opposée a cette idée, après tout, cela faisait parti de la vie. Nous arrivâmes plutôt en avance, une demie-heure avant l'heure prévue de l'exécution, pour être aux premières loges. André, plus que Léon-Paul, se demandait bien ce que j'allais lui montrer, impatient de savoir à quoi ressemblait véritablement une pendaison. Alors que la foule s'était amassée près de l'échafaud, une voiture amena les deux hommes condamnés vers l'escalier qui les mènerait à la corde.

Les condamnés avaient l'air courageux et ne montraient pas leur peur, devant la mort pourtant si proche. André mordillait ses doigts, impressionné.

—'' Pourquoi l'homme il a les mains attachées maman?

—'' Je vous l'avais déjà expliqué, ils ont commis des crimes impardonnables et ils doivent être punis. Pour ne pas qu'ils s'échappent, on leur attache les mains.

Si mes fils étaient très attentifs, André ne comprenait pas ce qu'il se passait lorsque les pendus restèrent accrochés, morts, au bout de la corde.

—'' Pourquoi ils sont suspendus les hommes? Se tourna-il vers moi, étonné

—'' C'est qu'ils ont reçu leur punition. Nous rentrons?

Sur le chemin du retour, nous fûmes arrêtés par un accident qui bloquait la route sur toute sa largeur. Au bout d'une demie-heure, nous pûmes enfin rentrer chez nous.

Les dimanches après- midi étaient pour moi consacrés a mes enfants.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Lanam ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0