Chapitre 36A: mai - septembre 1786
J'ignore quel événement lui en avait donné l'idée, mais Malou me rendit une petite visite par un jour pluvieux de mai. Toute réservée, elle devait avoir peur de me déranger, que je sois encore énervée, mais je n'étais pas rancunière, au contraire même, ravie de la revoir.
La jeune femme de dix-sept ans m'apporta un petit panier avec des gâteaux et des fruits. Elle me parla un peu de sa vie avec son père et son frère, souvent absents, la bonne était devenue sa confidente. Elle s'inquiéta de ne pas voir André, qui, couché, me réclamait ses massages, devenu un véritable rituel qu'il était impensable pour lui de manquer ne serait-ce une fois. Nous parlâmes aussi de quelque chose qui nous tracassait : le peuple en révolte. Depuis quelques semaines, mourant de faim, il multipliait les manifestations contre le Roy, qui lui, multipliait avec son épouse les somptueuses réceptions et les fêtes, payées et c'était honteux, par les impôts qui étouffaient les pauvres et les bourgeois dont nous faisions parti. Elle prenait avec moi et mon mari le dîner, puis elle rentrait chez son père en début d'après - midi, André ayant proposé de la ramener dans sa voiture.
Cet après - midi là, pleine de courage, je tentais de faire marcher André. Je le tenais debout par une main en tentant de l'autre de replacer droit ses pieds qui se tordaient, mais cela le fatiguait vite. Il ne sentait plus rien dans ses jambes, j'aurais pu sans soucis verser dessus une théière brûlante qu'il n'aurait pas même gémi. Incapable de le déplacer sinon de la chambre au salon, je ne le sortais plus du tout. Il passait ses journées enfermé dans l'appartement, alors parfois, je l'asseyais sur une chaise devant la fenêtre ouverte pour qu'il puisse profiter des quelques rayons de soleil de ce mois de mai. Une fois, et cela me bouleversa, il craqua.
—'' Je suis fatigué de me battre maman...
Sur mes épaules, il pleura, lassé de ne plus pouvoir sortir d'ici, d'avoir l'impression d'étouffer. Je lui promettais de tout faire pour le soulager et qu'il guérirait. Mon petit blondinet ne méritait pas tous ces maux, ni aucun autre enfant sa maladie d'ailleurs.
L'été qui arrivait s'annonçait triste. Cette fois, en plus d'André, c'était mon mari qui était malade. C'était sans doute une infection des poumons qui le faisait tousser très fort. Comme il était devenu incapable de se lever de son lit, son salaire nous manquait très vite. C'était véritablement Gustavine qui nous faisait vivre. Malheureusement, le médecin déclara aussi vite qu'il était venu qu'André était atteint du ''mal de ma sœur'' comme je l'appelais, cette saleté de tuberculose, mortelle et très contagieuse. Ma vie était véritablement fichue. Je n'en pouvais plus. C'était trop dur. J'en venais à prier pour que mon mari meure, et que j'arrête un peu de souffrir.
Dans nos sociétés, la mort était une camarade que nous côtoyions chaque année. Les enfants partaient comme les feuilles en hiver, les êtres aimés tombaient en un rien dans la spirale de la maladie, les gens ne vivaient pas longtemps, et vers soixante ans, l'adulte était déjà une sorte de survivant. Cette vieille ennemie, personne, aucun adulte ne pouvait s'y habituer, elle restait là en permanence mais elle avait toujours l'air d'une intruse. Quelle douleur était plus atroce que de perdre un enfant, un mari ou un parent ?
L'état de mon mari se stabilisait un peu, mais je me refusais à pénétrer dans sa chambre désormais. Mes nuits, je les passaient couchée sur le canapé, bien plus à l'aise que près d'un homme gravement malade qui toussait sans cesse, que je devais laver deux fois par semaine au gant de toilette et faire manger. Je me serais cru bonne sœur dans un hôpital. Mon fils était inquiet, car il aimait beaucoup son beau - père, mais je tentais de lui faire penser à autre chose en lui lisant par exemple un livre ou un poème.
J'avais parfois des nouvelles de Léon - Paul, dans de courtes lettres qui montraient bien à quel point il était fier des études qu'il entreprenait. D'ici quelques temps, mais je ne savais pas quand exactement, il rentrerait à la maison, auprès de moi.
Si ma sœur s'était battue pendant plus d'un an avec sa maladie, mon mari ne la supporta pas plus de deux mois. Nous l'enterrâmes avec émotion au cimetière Sainte-Gabrielle le 4 août. Son beau - fils adoré ne pu même pas y assister. Je découvrais autour de la tombe la sœur cadette de mon défunt mari. La femme aux cheveux blonds presque cachée derrière la foule devait sans doute être sa sœur qui était veuve. Je n’allais pas lui parler parce que je n’avais pas le temps d’entamer une conversation : je me devais de rentrer rapidement pour m’occuper de mon fils que je détestais savoir tout seul à l’appartement.
Le jour où Léon-Paul rentra, et qu'il se demanda où était passé mon mari, j'éclatais en sanglots, fatiguée par tant de drames et de maladie. Pourquoi étaient-ce toujours les autres qui tombaient malades et jamais moi ? Un jour, je décidais d'abandonner les soins de mon petit enfant, fatiguée, et désespérée. Léon - Paul, indigné, souhaita le faire a ma place. C'était désormais lui qui massait matin et soir les jambes de son petit frère, pour lui éviter, si le sang n'y circulait plus assez, l'amputation, comme m'avait alerté le médecin revenu pour la dent d'André qui le faisait énormément souffrir.
Il n'avait rien pu faire, mais il m'avait conseillé d'aller voir un barbier ou un bourreau, pour la lui arracher. Le souci était qu'André ne pouvait se déplacer, alors je me disais que cela attendrait bien.
Gustavine, dans sa lettre du mois de septembre, informée du décès de mon mari et consciente que l'échéance de ses noces approchaient, m'invita chez ses futurs beaux-parents pour discuter. Alors que j'allais refuser, une petite victoire s’immisça dans notre vie. Un matin, mon fils benjamin se réveilla en criant de joie. Il pouvait bouger son petit orteil.
Je l'embrassais de tout mon cœur, heureuse, nous avancions dans sa guérison.
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