Chapitre 37C: juillet - septembre 1787
Alors que je relativisais en me disant que ce ne serait qu'une petite disette, le treize juillet, un orage de grêle exceptionnel dévasta les campagnes entre le Rhin et la Loire, et acheva de détruire les récoltes, précipitant le Royaume dans une fatale misère. Chez nous, à Paris, nous ne subissions pas la grêle, mais un gros orage dans la nuit du douze au treize juillet, avec des trombes d'eau qui tombaient du ciel. André s'était levé, effrayé par le tonnerre, et s'était réfugié dans mon lit, sous ma couverture gratteuse, avant de rapidement la retirer, ayant trop chaud. La pluie battante sur les carreaux du salon où il n'y avait pas de volets, et qu'on ne pouvait qu'occulter avec de grands et lourds rideaux empêchait la plupart des habitants de dormir. Le lendemain matin, André me confiait s'être d'abord trompé de chambre pendant la nuit, et d'avoir eu peur de se faire gronder par sa demie - sœur qui dormait avec son mari dans la chambre de ses beaux - parents, qui de leur côté, avaient été exilés dans le salon, sur les deux canapés.
Dans la rue, le peuple mourait doucement de faim, privé de sa base alimentaire vitale qui était le pain, dont une miche était devenue pour lui aussi cher qu'une journée de salaire, dépense impossible lorsqu'il fallait aussi payer les lourds impôts et le loyer. Les distributions de soupe sauvaient quelques mendiants et petits vendeurs d'allumettes, mais elle ne pouvaient pas jouer le rôle du Roy, qui lui seul avait le pouvoir de véritablement changer les choses. Jean - Charles réalisait enfin que ce Louis XVI était un salaud qui continuait a faire la fête avec les impôts de ceux qui mouraient de faim dans son Royaume. Lorsque nous n'eûmes plus de pain en réserve et que la domestique ramena à la place ce pain horrible que Marie - Camille fit de suite donner aux pauvres en train de mourir de faim a deux rues de chez nous, nous réalisions alors que si nous n'étions pas les plus à plaindre. La famine toucherait cette fois tout le monde, sauf la noblesse qui continuait a se remplir les poches des impôts des bourgeois et du peuple.
Étienne, en lisant le soir du quinze juillet le journal, interpellait ses parents et son épouse :
—'' Écoutez un peu : Chrétien de Lamoignon, le fameux garde des sceaux, a soumis hier a Louis XVI un mémoire sur la situation catastrophique de notre pays. Le Roy aurait répondu que cela attendrait bien sa réception à Versailles avec Marie - Antoinette!
—'' Espérons tout de même que cela fasses bouger les choses. Répondit Marie-Camille.
—'' Oh, vous croyez que cela changera quelque chose? Il n'en a rien a faire de son peuple. Se désespérait ma belle-fille la tête entre les mains, attablée près de sa belle - mère.
La sécheresse tuait le peuple, la chaleur écrasante d'août faisait que nous ne sortions plus que le dimanche, pour aller à la messe, et profitant de la fraîcheur de cet endroit préservé des rayons du soleil. Août passa avec difficulté, la chaleur nous accablant.
Au début du mois de septembre, bien que la température n'ait pas beaucoup diminuée, il était temps pour le jeune couple de partir. Étienne, qui quittait pour la première fois véritablement ses parents très inquiets, leur promettait une visite pour la Saint-Nicolas, pendant que la domestique chargeait les malles dans la voiture. Gustavine, déchirée de nous quitter, embrassait son demi - frère, ses beaux-parents et je l'enlaçais aussi longuement que tendrement.
—'' Prenez bien soin de vous. Hein? Allez, Étienne va vous attendre.
Tous les deux quittèrent Paris dans la petite voiture d’Étienne, pour rejoindre Grenoble où désormais, il travaillerait.
Je reçu sa lettre l'avant veille, le six septembre. Léon-Paul nous fit à André et moi une petite surprise avec sa visite imprévue. André lui sauta dans les bras, heureux de revoir son frère aîné.
Mon fils aîné avait beaucoup grandi, du haut de ses quinze ans, il me racontait tout heureux son quotidien à la Faculté, les deux bons amis qu'il s'était fait, mais aussi ses études, dont il était satisfait, même si il regrettait ce côté trop théorique. Son stage avec l'époux de Berthe l'avait beaucoup intéressé et il pensait que les études à la Faculté seraient pratiques et théoriques, mais elles étaient seulement théoriques, ce qui au début, me racontait t-il, l'avait un peu déçu.
Il ne s'ennuyait pas malgré tout, et, même si je n'y croyais pas vraiment, il disait penser souvent a nous, et que nous lui manquions beaucoup.
— '' Pourquoi n'ai-je jamais de lettres alors? Lui demandais-je un sourire en coin
—'' Oh... Chercha t-il une excuse. Nous n'avons pas le droit au courrier.
—'' C'est cela oui... Prenez - moi pour une sotte. Pourquoi alors me disiez-vous que les autres pouvaient en envoyer ?
—'' C'est que... Il faut payer et je n'ai pas d'argent. C'est vrai cette fois maman! J'arrête de mentir.
—'' Ce serait mieux Léon-Paul, ce serait mieux... Je vous donnerais de l'argent, si ça vous manque. Quand repartez - vous?
—'' Dans deux jours. Voulez - vous vous débarrassez de moi?
—'' Jamais de la vie mon fils. Jamais. L'embrassais-je tendrement.
Quand il repartit, au bout de deux jours, je priais pour qu'il revienne vite nous rendre visite. Je l'aimais tellement mon fils...
C'est sans Marie-Camille et Jean-Charles que je me rendais, le matin du vingt septembre, à l'église Sainte-Geneviève, pour le mariage de mon petit cousin Charles. J'étais accompagnée de mon petit garçon, qui du fait de ses faibles jambes sortait peu de l'appartement, incapable de marcher plus longtemps que quelques mètres sans s'épuiser. Jean-Charles nous avait déposé dans sa voiture, je m'y serais sans doute rendue à pied, si je n'avais pas été accompagnée d'André.
La cérémonie se déroula sans encombres, si ce n'est le malaise lorsque Charles se trompa de ligne dans la prière qu'il devait réciter pour s'unir à sa promise. La jeune femme avait été habillée d'une robe bordeaux pour se marier, ne pouvant porter la robe blanche, étant avec honte déjà enceinte de trois mois de son désormais mari, d'après ce que j'avais entendu chez les femmes présentes à la cérémonie. Les commérages fusaient dans l'église, la jeune mariée, contrairement à Charles qui n'y était pourtant pas pour rien, portait sur elle la honte de ne pas avoir su attendre pour concevoir cet enfant. Je saluais Berthe, qui me parlait de sa belle-sœur avec mépris, ce qui ne me plaisait pas beaucoup. Je compatissais avec Charlotte, car j'étais moi même enceinte le jour de mon mariage, à la seule différence que personne n'était au courant de mon grave péché.
Les jumeaux de Berthe, qui avaient en juillet fêtés leurs quatre ans, venaient de rentrer chez leurs parents après avoir passé le début de leur vie chez une nourrice. Leur mère m'invita donc a passer à son appartement pour prendre le thé et les saluer, avec le nouvel enfant qu'elle venait d'avoir, né en août, qui partirait bientôt a son tour. A chaque fois, j'avais assez de chance pour pouvoir saluer ses enfants juste avant qu'ils ne partent chez leur nourrice, mais ce n'étaient que des coïncidences.
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