Chapitre 37I: avril 1788
Trois autres femmes toutes aussi vieilles firent leur apparition, souriants d'une bouche édentée.
- Vous voilà revenue Marie ? Où est donc mon neveu que je l’embrasse ?
La vieille, qui avait l’air de bien connaître Marie–Camille, l’embrassa en la laissant se pencher, trop petite pour atteindre ses joues. Ses trois sœurs la rejoignaient bientôt, en la saluant de la même manière, il n’y en avait que pour elle. - Il n’est pas là, resté un peu à Paris. Cria t-elle pour se faire entendre.
- Et ces jeunes gens ? Qui sont-ils ?
- Voici Gustavine, l’épouse de Étienne, notre fils benjamin. Louise, la seconde épouse du père de Gustavine. André, son fils. Étienne, Marie, Jacques et Pierre, nos neveux et nièces.
- Et vos fils Pierre et Jacques ?
— Pierre est décédé il y a deux ans dans l’incendie de leur appartement avec son épouse. Jacques est en ce moment même avec Étienne à Paris. Nous sommes venus ici pour fuir la ville, incendiée et détruite, en proie aux révoltants qui en veulent au Roy.
— Entrez. Nous invita t-elle de sa voix chevrotante, usée. Il y a de la place pour tout le monde. Vous n’avez pas d’affaires ?
— Elles sont restées là-bas, dans notre appartement qui a été incendié. Nous n’avons plus rien.
Nous pénétrâmes dans l’immense logement qu’occupaient les quatre sœurs depuis leurs veuvages respectifs. Dans le salon au sol de pierre, une immense cheminée contenait le bois qui brûlait dans une odeur reconnaissable entre mille, la cuisine se situait à côté. Un grand escalier de pierre permettait d’accéder à l’étage où se situaient les chambres. Il y en avait cinq dans ce logement, dont une seulement était occupée par les sœurs, qui avaient été habituées à dormir ensemble depuis leur plus tendre enfance et qui couchaient dans un immense lit formé par l’accolement de quatre petits. André découvrait avec Marie, Étienne, Jacques et Pierre leur chambre, et ils s’appropriaient les lits, tandis que deux enfants restaient sans rien. On en dénichait donc deux petits pour Marie et Pierre, et on attribuait les autres chambres. Une de celles qui abritaient un grand lit serait réservée pour Gustavine et Étienne lorsqu'il reviendrait, l'autre servirait aux parents d’Étienne. Enfin, la dernière permettrait de me coucher, et de faire dormir Jacques à son retour.
Nous trouvâmes loin de Paris le calme et le confort d'une maison, une première pour Marie – Camille et ses petits-enfants qui avaient toujours vécus en appartement. Les quatre sœurs de Jean–Charles, Charlotte, Marie–Élisabeth, Catherine et Anne étaient très âgées. Ayant chacune environ quatre–vingt ans, j’ignorais bien à quoi elles devaient leur longue vie. Du fait de leur grand âge, les tâches ménagères leur étaient devenues difficiles à accomplir et nous les aidions beaucoup en venant vivre chez elles quelques temps. Mais nous ne resterions pas longtemps, me promettait Marie–Camille.
Comme nous étions en avril, le temps restait pluvieux, et les enfants ne pouvaient pas vraiment profiter de l'espace autour de la maison pour jouer et se défouler, mais bientôt, leur promettaient-on, ils pourraient sortir. En attendant, ils s'amusaient à découvrir les recoins cachés de cette grande bâtisse du seizième siècle, jouant à faire résonner leurs voix et à sauter les marches des escaliers.
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