Chapitre 38C: août - novembre 1789
Ce dimanche trente août 1789, c'était l'effervescence au bureau où nous achetions le journal, et d'ailleurs, le vendeur se déclara en rupture de marchandises. Et pour cause. Mardi dernier, l'assemblée, réunie depuis le vingt août dernier, avait signée un texte qui promettait l'application de leurs droits aux hommes, peu importe leur classe sociale. Elle s'appelait la ''Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen''. Le premier article fut clamé par le crieur de rue à Rouen perché sur la grande statue, qui lisait avec un grand sourire aux lèvres.
—''Article premier : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
—''Article deuxième : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. Vive la révolution ! Vive le peuple ! Criait t-il sous des acclamations de la foule réunie au pied de la statue sur lequel il était monté pour mieux se faire entendre.
Nous l'écoutâmes ainsi pendant plus d'une heure, lisant un par un les articles du gros et si précieux livre rouge qu'il tenait entre ses mains. Les enfants, ennuyés par cette lecture pourtant passionnante, couraient autour de la statue, bousculant au passage les gens attroupés et attentifs.
Étienne repartait vers Paris après avoir pris deux semaines de bon temps avec sa famille et comme d'habitude, la date de son retour nous était comme pour lui complètement inconnue. Nous espérions seulement passer le nouvel an avec lui, qui serait notre tout premier dans cette maison.
Charlotte était parmi les quatre tantes de Jean–Charles celle qui passait les années avec le plus de difficulté. Alitée depuis la fin de l'été après une vilaine chute, la vieille femme fatiguait. Bien sûr, nous la veillions, mais il était un moment de la vie où plus rien ne pouvait être fait pour un malade et où il était bon de le laisser partir.
Un dimanche et comme étant une femme je ne pouvais pas pénétrer à l'intérieur, c'est Jean–Charles qui conduisit les deux garçons Étienne et André visiter le couvent où logeaient et enseignaient les jésuites à Rouen. Mon fils ne montra pas de résistance, enfin, juste après que j'ai passé un quart d'heure accroupie devant lui à lui expliquer les bienfaits des études. Je n'étais pas sûre que cela ferait effet longtemps, mais je voulais que cette fois il y reste plus longtemps que deux mois. D'après ce qu'il me rapporta, l'endroit ressemblait beaucoup au couvent de Paris, ce qui ne me rassurait pas sur ses intentions d'y rester. Jean–Charles les avaient inscrits sur les registres pour qu'ils intègrent tous deux l'institution au mois de mars prochain, après l'hiver qui ne participerait assurément pas à leur envie de rester là–bas.
En octobre, nous apprîmes le cœur brûlant que des centaines de femmes s'étaient révoltées à Paris contre le prix du pain devenu ridiculement élevé. Elles avaient alors, qu'importe leur classe sociale, défoncés les portes des boulangeries pour piller les miches de pain, autant affamées que décidées à changer les choses. Si nous avions été à Paris en ce moment, je les aurais aidées ces femmes courageuses, à défendre leur famille, avec toute la hargne que je pouvais donner dans une cause aussi importante que celle–ci. Elles voulaient prouver qu'elles aussi pouvaient se révolter et plus seulement à travers leurs maris et j'étais profondément d'accord avec cet état d'esprit.
La tête appuyée contre la fenêtre de sa chambre sur lequel le vent frappait, André avait l'air mélancolique.
—''Pourquoi l'hiver est-il si triste maman ?
—''Cela doit être parce que la nature se meurt. Les feuilles des arbres tombent, il fait froid et vous ne pouvez plus aller jouer dehors. Voulez–vous que je vous apprenne un nouveau jeu pour cesser un peu de vous ennuyer ?
—''Oui... Si ce n'est pas trop compliqué.
—''Suivez–moi alors. Nous allons demander à Marie, Jacques, Pierre et Étienne si ils veulent jouer avec nous.
Nous descendîmes les escaliers pour rejoindre le salon où Marie–Camille, assise sur le canapé, raccommodait à l'aiguille les pantalons des enfants troués pendant l'été.
Nous jouâmes a un jeu où il suffisait que je souffle un animal à l'oreille d'un des enfants pour qu'il essaye de le faire deviner aux autres en le mimant. C'était très drôle et nous finîmes en larmes. Bientôt, ils surent y jouer seuls et je n'avais plus besoin de les aider. Bien sûr, cela n'empêchait pas qu'ils s'ennuient beaucoup, mais au moins, je leur donnais des idées pour que les journées leur paraissent un peu moins longues.
Pour éviter un nouvel accident, je faisais boire chaque matin à ma belle–fille un verre de jus de citron, censé empêcher les fausses–couches. Marie–Camille se demanda bien l'origine de cette cure, et c'est pourquoi je finissais par lui avouer l'état de Gustavine, et les deux accidents qui avaient bien failli la faire mourir. Elle se réjouissait de la savoir enceinte, mais elle ordonna en même temps l'alitement permanent de la jeune femme jusqu'à la délivrance, que nous refusâmes absolument. L'alitement était un supplice qui devait être réservé au dernier mois de la grossesse, où en cas de saignement inquiétant, certainement pas pendant neuf mois pour soit–disant éviter une fausse– couche qui ne serait si ça se trouve même pas due à ses activités.
Octobre passa, entraînant avec lui novembre et son vent glacial qui soufflait sur la grande bâtisse de pierre perdue dans la campagne rouennaise. Gustavine me montra son petit ventre qui commençait à poindre, en le caressant tout doucement. Elle n'était pas fatiguée mais elle avait du mal à manger, ses maux d'estomac la faisant souffrir. Ma cousine France aurait eu cinquante ans cette année et d'ailleurs je me demandais bien ce que devenait son mari et ses deux fils.
Adélaïde m'écrivit pour m'informer de la situation inquiétante que subissaient Auguste et Malou à Paris. C'étaient pourtant deux adultes, mais malgré tout, elle les avaient retrouvés sans le sou dans leur appartement. Leur tante les avaient accueillis chez elle, mais cette situation ne pourrait pas durer éternellement. On avait voulu trop tôt en faire des adultes alors qu'au fond, ce n'étaient encore que deux enfants. Je comptais me rendre à Paris, pour aller les voir et si possible, les ramener avec moi à Rouen, même si je savais que la maison des tantes de Jean–Charles n'était pas un hospice.
Ce mois de novembre, accompagnée de Jean–Charles qui menait les chevaux, je me rendais donc à Paris, pour aller les récupérer chez leur tante qui n'avait pas assez de place dans son appartement pour les héberger plus longtemps.
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