Chapitre 39F: mars 1791
Adélaide ( décédée en mars 1791)
Heureusement, même si André rechigna un peu à prendre son déjeuner le lendemain matin, l'idée de pouvoir prendre dans ses bras la fille de Gustavine qui devait passer prochainement nous rendre visite lui redonna de la force. C'était un garçon calme qui aimait les enfants, particulièrement les bébés, ces cadeaux de Dieu fragiles et innocents.
Ce n'est que le lendemain que ma belle-fille arriva chez nous avec sa fille dans les bras, princesse joliment coiffée d'un bonnet blanc de dentelle et d'une robe immaculée qui laissait voir ses mollets potelés. Jacqueline râlait dans les bras de sa mère en dévoilant ses quatre petites dents, Gustavine m'indiquait qu'elle avait mal au ventre depuis quelques jours.
Comme elle allaitait toujours sa fille, je supposais que Jacqueline prenait mal le sein et qu'elle avait simplement faim. A cet argument, Gustavine était catégorique.
—''J'essaye de lui faire manger de la purée et de la soupe en plus de mon lait mais elle rechigne. Si elle avait faim, elle dévorerait. Non, je crois plutôt que mademoiselle est bloquée.
—''Vous croyez ? Depuis combien de temps n'a t-elle pas sali ses langes ?
—''Je réfléchi... Ça va faire quatre jours aujourd'hui.
Malou proposa donc à son amie de masser le petit ventre du bébé pour tenter de débloquer sa douleur. Elle l'allongea donc sur ses genoux et délicatement, elle massa son ventre endolori. L'enfant pleurait, alors sa mère assise près d'elle lui parlait et caressait ses pieds pour la rassurer. Nous espérions un retour à la normale rapide pour Jacqueline. J'avais bien des recettes mais je n'avais jamais eu l'occasion de les mettre en œuvre, mes enfants n'ayant jamais soufferts de ce genre de problème.
—''Je pense qu'il faudrait lui faire boire de l'eau pour l'aider à éliminer.
—''Je ne suis jamais parvenu à lui en faire avaler. Ce qu'elle veut c'est mon lait, le reste elle n'y touche presque pas.
—''Je n'irais jamais critiquer négativement votre manière de vous occuper d'elle, mais je crois qu'il serait temps de la sevrer. A presque un an...
—''Je ne peux pas pour l'instant. Pour moi, l'allaiter est une forme de liberté. Réalisant que je ne comprenais pas trop, elle me rassura. Je vous expliquerais plus tard.
Après un repas prit autour de l'unique homme du foyer, je proposais à Gustavine de passer la nuit ici, son mari s'étant absenté de chez eux pour quelques jours. Elle refusa un peu confuse, n'ayant rien ici pour s'occuper de sa fille, ni de berceau, ni de langes en quantités suffisantes. Même si elle aurait aimé rester quelques jours avec nous en bonne compagnie, détestant la solitude et la froideur de son appartement.
Avant que Gustavine ne parte de chez nous, Malou enroula son bébé dans une couverture chaude pour qu'elle ne prenne pas froid. Les rues pourtant éclairées aux réverbères, je n'était pas très rassurée de la voir repartir à pied dans la nuit.
Quand elle revint nous voir quelques jours plus tard, sa fille était guérie et nous revîmes ses grands sourires édentés et baveux. Comme elle allait mieux, et malgré les réticences de Malou et de Gustavine qui pensaient qu'un jeune garçon ne devait pas se préoccuper d'un bébé, André pu tenir Jacqueline quelques minutes sur ses genoux. Il paraissait tellement heureux de pouvoir câliner l'enfant. Pourquoi donc l'en priver ?
Nous nous rendîmes, parmi une foule monstrueuse, le vingt-cinq avril, à la toute première exécution par guillotine sur la place de la Grève. Cela me parut moins cruel et plus rapide que les pendaisons auxquelles nous assistâmes parfois. André, lui, comprenait mieux le sens de ces condamnations, et la mort en général. En revanche, voir la tête tomber le dégoûtait, et il se cacha les yeux au moment clef.
Le printemps revenait mais il n'apportait pas que des bonnes nouvelles. D'abord, l'école dans laquelle aurait dû entrer André en octobre prochain venait d'être déménagée encore plus loin de Paris, et comme si cela ne suffisait pas, je recevais dans la foulée l'avis de décès de la sœur d'Auguste père, ma chère Adélaïde, dans sa quarante-huitième année. J'étais presque autant bouleversée pour son sort que pour celui de ses deux fils, désormais orphelins. Celle qui avait le plus de mal à s'en remettre c'était bien Malou, très attachée à sa tante depuis longtemps, qui perdait selon ses mots une véritable amie. Si nous ne pûmes nous rendre à l'enterrement, je pu témoigner par lettre mes sincères condoléances à son mari et à ses enfants dont l'aîné n'avait qu'un an de moins que Léon-Paul.
Lorsque je regardais ma nièce de vingt ans, et ne pouvant m'empêcher de la comparer à sa mère au même âge, je me disais qu'elle n'en avait pas la beauté. Ses traits moins fins et ses cheveux moins soyeux me laissaient penser qu'elle tenait d'avantage de son père. Pourtant, je l'adorais.
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