Chapitre 40D: septembre 1791 - février 1792
Je lâchais la lettre pour m'asseoir sur le canapé. Malou la gardait pour la lire plus confortablement, elle me fixait.
—''Je ne sais pas vous mais je trouve sa décision un peu rapide. Il l'a prise en un mois quoi...
—''Je suis perdue à l'idée de ne probablement jamais revoir mon fils.
—''Vous êtes sans doute un peu pessimiste mais c'est vrai qu'il aurait pu rentrer pour nous expliquer tout cela et prendre sa décision avec plus de discernement.
L'été passa avec l'anniversaire de Malou organisé par Gustavine le treize septembre et le dimanche vingt-trois octobre, mon voisin me conduisit avec André jusqu'à l'école des frères chrétiens qui venait de déménager plus en périphérie. Mon fils retrouverait là-bas certaines de ses connaissances, des garçons de son âge qui étaient au pensionnat depuis quatre ans sans interruption. A l'entrée, comme moi, quelques mères laissaient leurs fils, mais ces enfants-là étaient beaucoup plus jeunes, commençant tout juste leurs études. Certains pleuraient, et je savais à quel point il était difficile de quitter sa maman lorsqu'on n'avait que cinq ou six ans.
Je laissais donc mon fils après de longues embrassades sur le seuil du portail de l'école, les femmes étant proscrites dans l'enceinte. Après que le frère lui ait donné sa longue soutane noire et blanche et tentant de maîtriser ces jambes qui continuaient de se tordre, André traversa la cour avec sa petite mallette dans la main, le beau livre de prières que je lui avais acheté la veille et il disparut dans le bâtiment. On aurait dit un ange.
Au retour, je m'asseyais près de mon voisin sur le siège du cocher, et nous fîmes un peu connaissance. Il s'appelait Guillaume et il vivait dans l'immeuble depuis onze mois, ayant déménagé de chez ses beaux – parents juste après la naissance de son premier enfant.
Le dimanche quatre décembre après – midi, Gustavine partit une semaine à Rouen avec son mari et sa fille, pour aller célébrer la Saint-Nicolas en famille et prendre des nouvelles de Marie-Camille et Jean-Charles. Nous passâmes donc le six décembre toutes les deux avec Malou, dans un silence pesant et entourées de ces chaises vides qui nous rappelaient les absents. Ma nièce avait pris froid et elle toussait énormément, mais je ne pouvais pas non plus surchauffer l'appartement, au risque de la rendre plus malade encore.
Je me souviens, nous apprîmes le décès inattendu d'un des plus grand compositeurs de notre siècle, deux jours avant le retour de Gustavine, en lisant le journal, qui en avait fait sa page principale. Dans les rues, on clamait à la minute de silence, Mozart était mort le cinq, soit plus d'une semaine avant que le tout Paris en soit informé.
Ma belle – fille, rentrée le mardi, vint nous voir le mercredi suivant pour nous raconter sa semaine à Rouen, chez ses beaux-parents. Elle devait sans cesse essuyer le nez coulant de sa petite enrhumée.
—''Alors dites nous tout. Comment s'est déroulé votre visite ?
—''Assez bien, si ce n'est au retour la colique d'une des juments d’Étienne qui nous a retardé de deux jours. Sinon nous avons pu voir la fiancée de Jacques.
—''Alors, comment est – elle ?
—''Gentille mais pas très élégante. Elle se mouche pendant les repas...
—''Pas terrible en effet... Comment s'appelle t-elle ?
—''Louise ou Alice je ne sais plus.
—''Eh bien... Elle a dû vous marquer...
—''C'est qu'elle n'a dit son prénom qu'une fois pendant le repas et avec la petite fatiguée qui râlait, je n'ai pas bien entendu. Nous ne l'avons vu que deux heures parce-qu’elle passait les fêtes de décembre avec ses parents, ses frères, sœurs et ses neveux et nièces.
Gustavine nous parla aussi de l'affection de ses beaux – parents pour la benjamine de leurs petits– enfants. Jacqueline qui en avait bien profité, avait même manqué de s'étouffer avec un petit morceau de chocolat qu'ils lui avaient donné, encore incapable de le croquer convenablement.
Elle nous raconta la première nuit infernale qu'ils avaient passé avec elle dans l'appartement de Rouen. Incapable de s'endormir, elle grimpait sur sa mère et la secouait pour la réveiller, coincée entre ses parents pour éviter de tomber du lit. Étienne, peu habitué à devoir supporter sa fille, avait manqué de la faire dormir par terre, tant il n'en pouvait plus. Les nuits suivantes avaient été plus tranquilles, l'enfant étant moins énervée par le caractère nouveau de cet environnement. Chez eux, Jacqueline venait de quitter son berceau devenu étroit et trop dangereux et installée dans la chambre qui jouxtait celle de ses parents. Cependant, comme la petite n'aimait pas être seule dans une chambre, sa mère préférait encore la faire dormir près d'elle pour l'allaiter, lorsque Étienne s'absentait certaines nuits.
Nous ne la vîmes plus jusqu'au mois de janvier. Quand elle revint nous voir, ce fut pour nous annoncer un heureux événement. Gustavine venait de s’apercevoir qu'elle était enceinte de quelques semaines, malgré la tétée qu'elle donnait toujours à sa fille. C'est ce qui précipita le sevrage de Jacqueline, âgée de dix-huit mois. Même si personne ne l'interdisait d'allaiter pendant sa grossesse, Gustavine voulait profiter de ce changement prochain dans leur vie pour y incruster avec moins de bruit cet autre bouleversement. Cela prendrait bien sûr plusieurs semaines, mais elle en était sûre, à la naissance en août de son deuxième enfant, Jacqueline serait complètement sevrée.
Gustavine souffla sa vingt-quatrième bougie, le mardi sept février. Prise de nausées, elle était cependant incapable d'avaler un morceau du gâteau d'anniversaire que nous lui préparâmes avec Malou. Gourmandes comme nous étions, cela ne nous dérangeait guère de devoir partager avec une personne de moins. Malou et moi avions été le dimanche d'avant lui acheter une chaîne en or, dans une bijouterie sur les boulevards. Elle souriait pendant que Malou l'aidait à accrocher le fermoir du collier, que Jacqueline, assise sur les genoux de sa mère et de ses petites mains potelées, tentait d'attraper, intriguée.
Quand ma nièce avait mal au ventre, elle se recroquevillait sur le canapé en serrant la bouillotte contre son ventre douloureux. Elle me rappelait sa mère, que j'avais plusieurs fois retrouvée endormie dans cette position, sur la banquette de la voiture, lorsque nous étions partie toutes les deux voir la mer.
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