Chapitre 41D: octobre 1792 - janvier 1793
Nous roulâmes vingt minutes durant, passant des quartiers modestes de la ville aux immeubles cossus partiellement incendiés, pour finalement revenir aux quartiers moyennement aisés, ces rues où s'enfilaient des immeubles appartenant à la moyenne bourgeoisie parisienne. Guillaume nous laissait là, arrêtant son cheval entre deux grandes portes d'entrée d'immeuble.
—''Voilà mesdames. Nous sommes dans la rue que vous m'avez indiquée. Je reviendrais vous chercher vers seize heures. je ne peux pas avant, ni beaucoup après. Bonne après – midi.
Sur ces mots, sans nous laisser dire la moindre petite chose, il fouetta l'animal qui, trimbalant la voiture, repartit au trot et disparut à l'angle d'une rue. Je me souviens que nous nous regardâmes avec Malou, elle n'avait bien sûr plus de souvenirs de cet endroit, mais moi en revanche, je m'en rappelais bien et revenir ici m'apporta une certaine mélancolie.
Nous montâmes la rue jusqu'à la grande porte d'entrée de bois. A quelques pas d'ici, il y avait un square où je les emmenais jouer lorsqu'ils étaient petits, et où Camille allait se promener avec ses enfants. Nous poussâmes la porte, et nous montâmes jusqu'au deuxième étage.
Malou frappait trois coups contre la porte de bois. Un instant j'imaginais ici Camille, dans sa longue robe bleue, le sourire aux lèvres. Trop heureuse de notre visite car la solitude lui pesait, elle nous aurait embrassé, laissant sur nos vêtements le parfum de la crème qu'elle se mettait sur la peau. Fatiguée, elle aurait malgré tout présenté sa fille à ma cousine France, et son fils qui venait de faire ses premiers pas, et qui ne la lâchait que difficilement.
Mais cette parenthèse ne durait qu'un instant puisque c'était une vieille dame qui nous ouvrait. Les cheveux longs et grisonnants, elle avait l'air de s'interroger sur notre présence devant chez elle.
—''Que me voulez – vous ?
Malou me regardait, et je l'encourageais à s'exprimer.
—''Je suis la fille des anciens locataires qui vivaient ici...
—''Hum... Et alors ?
Comme je voyais qu'elle n'y arriverait pas, je prenais la parole.
—''Un couple et leurs deux enfants qui vécurent ici de 1768 à 1772. Auguste Meursault, cela vous dit quelque chose ?
—''Non. Il faudrait contacter le propriétaire. je ne peux rien pour vous.
Elle allait refermer la porte mais Malou tentait sa dernière carte.
—''Nous recherchons quelques affaires de famille que nous pensons oubliées ici... Je vous en prie...
—''Je vous ai dit de contacter le propriétaire. Je ne vous laisserais pas entrer sans une lettre signée de sa part. Bonne journée mesdames.
Sur ce, elle refermait sa porte sur nos deux visages terriblement déçus. Surtout Malou, qui aurait au moins espéré savoir si oui ou non, la robe de mariée de sa mère se trouvait entre ces murs. Malheureusement, nous n'avions aucune information sur ce fameux propriétaire, qui avait de plus largement eu le temps de changer pendant toutes ces années.
Pour tenter d'évacuer notre amertume, nous allâmes nous promener dans ce square où je n'avais pas mis les pieds depuis des décennies. Nous nous assîmes sur un banc et nous regardâmes sans un mot les enfants qui s'amusaient, couverts de la tête aux pieds en ce froid mois d'octobre, sous l’œil souvent distrait de nourrices et de mères qui discutaient assises sur d'autres bancs. Lorsque nous eûmes froid, nous patientâmes dans le hall d'entrée de l'immeuble jusqu'à temps que Guillaume revienne nous chercher.
Malou, dès qu'elle le pouvait, allait faire part de notre mésaventure à Gustavine, qui lui répondait que sur cette Terre, il y avait bien des imbéciles, et qu'on ne pouvait rien y faire.
La petite Jacqueline adorait venir chez nous pour faire la cuisine avec Malou, et goûter encore et encore la pâte à gâteau ou à tarte. A deux ans et demi, elle ne parlait pas mais elle était curieuse et gourmande. Souvent, Gustavine nous la confiait en début d'après – dîner, et elle revenait en début de soirée après la longue sieste de Bernadette, pour pouvoir prendre son souper avec nous.
Certains soirs, n'acceptant pas aussi facilement d'abandonner les recherches si courtes des affaires de famille, je fouillais de nouveau dans mes correspondances en espérant tomber sur le nom de l'ancien propriétaire. Même si il avait vendu entre temps, il nous serait d'une grande aide, car lui serait capable de nous donner le nom du nouveau propriétaire de l'appartement. Malou n'y croyait déjà plus, peu persévérante.
à la demande de ma nièce, nous nous rendîmes au cimetière le deux novembre, pour déposer des fleurs sur la tombe bien délaissée de sa maman. Avant, je nettoyais la stèle couverte par les débris de feuilles, de branches, emportés par le vent glacial qui soufflait fort à cette période. Malou déposait elle - même les chrysanthèmes, et nous nous recueillîmes une minute sur cette femme qu'elle n'avait presque jamais connue. Avant de partir, nous priâmes sur les autres tombes, dont celle de son père.
C'est toutes les trois que nous célébrâmes la première Saint-Nicolas de Bernadette, le six décembre. Âgée de quatre mois, elle s'éveillait, sous nos regards bienveillants et ceux de sa sœur aînée, qui lui faisait plein de baisers en regardant au passage la réaction de sa mère, espérant toujours recevoir des compliments sur son bon comportement.
—''Pourquoi me regardes-tu ainsi Jacqueline ? Oui, je vois que tu fais plein de baisers à Bernadette. C'est bien ma fille.
Gustavine embrassait l’enfant qui souriait de toutes ses dents en se tournant vers elle pour redemander des câlins.
Un soir de décembre, je retrouvais le cœur battant ce que je pensais être l'adresse de l'ancien propriétaire, je me souvenais qu'un jour Camille m'avait parlé de ce monsieur Julot, à moins qu'il ne s'agisse d'un faux souvenir. Pourtant pleine d'espoir, je lui écrivais donc dans un court billet pour qu'il me donne, si il avait vendu, le nom et l'adresse du nouveau propriétaire.
Le temps que je reçoive ma réponse et nous passâmes à la nouvelle année 1793. Quatre jours plus tard, une lettre importante me parvenait. Mon fils aîné, exilé en Normandie, avait besoin d'argent. Bienveillante et aimant plus que tout au monde mes enfants, je lui envoyais donc par courrier une grande partie de mes économies, pour qu'il puisse vivre correctement jusqu'à ce qu'il trouve une solution durable. Il me rembourserait lorsqu'il le pourrait.
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