Chapitre 42F: novembre 1793 - février 1794
Prise d'un palpitement soudain au cœur, je dû m'asseoir. L'on m'apporta un verre d'eau et après une discussion avec la jeune femme, qui repartait vite dans sa chambre, je pensais l'avoir fait changé d'avis. Je voulais qu'elle se marie, car pour moi, son mariage d'amour était la clef de la cage dans laquelle elle se trouvait enfermée depuis sa naissance. Avec Armand, j'étais sûre qu'elle goûterais à beaucoup plus de libertés et de joie que je n'avais moi-même pu en profiter dans toute ma vie. Si je me trouvais un peu inquiète, je pensais que c'était normal et légitime à toutes les femmes qui voyaient partir leurs protégés. Je l'avais vu naître, et je l'avais élevé, de surcroît et pour la toute première fois, je croyais ressentir un véritable amour maternel envers elle.
L'hiver défilait devant la fenêtre de mon salon. Les innombrables voitures passaient devant l'immeuble dans un bruit qui, étrangement, me paraissait de plus en plus insupportable. Depuis combien de temps vivais-je ici ? Je ne le savais même plus. Désormais, ma notion du temps en était réduite aux deux petites filles de Gustavine, qui grandissaient à une vitesse phénoménale, et qui ensoleillaient mes journées, par leurs jeux et leur gaieté innocente.
Malou essaya sa robe de fiançailles, un peu inutilement, car c'était en fait sa robe du dimanche qu'elle mettait chaque semaine pour la messe. Je priais pour que la famille d'Armand prenne en charge les frais de noces, notamment la robe de mariée et la réception, car toute seule, je ne pouvais absolument pas les assumer. Je ne voulais pas voir ma nièce être au courant que son mariage pouvait être annulé à cause de mon manque de moyens. En effet, c'était normalement à moi de payer la robe à la future mariée, et l'alliance qui reviendrait à Armand.
En février, je pensais à André, qui venait d'avoir treize ans, et Gustavine, vingt-six ans. Je me demandais bien, en regardant les flocons de neige tomber derrière ma fenêtre, ce que devenait Gabrielle. Cependant, n'ayant plus son adresse depuis longtemps, je ne risquais pas de pouvoir aller la voir.
C'est alors que se produisit un véritable miracle. Je m'ennuyais si fort que j'en étais venue à me demander à quelle température le crottin gelait sur la route, quand j'entendais une voix qui criait depuis le bas de l'immeuble. Après avoir aperçu une femme qui regardait en l'air pile dans ma direction, j'enfilais ma veste et je dévalais les escaliers jusqu'en bas. Arrivée sur le trottoir, Gabrielle m'attendait. Je n'y croyais pas tant c'était fou, mais pourtant, c'était bien réel. De longues accolades et embrassades suivirent.
— C'est incroyable puisque j'étais justement en train de me demander ce que vous deveniez.
— Écoutez Louise, le vouvoiement est interdit depuis quelques temps, alors pour ne pas se faire arrêter, nous allons rentrer.
Je lui faisais visiter mon modeste appartement et nous nous assîmes autour d'un traditionnel thé. Malou se demandait bien qui était cette femme, ce que je ne manquais pas de lui rappeler.
— Quand vous étiez petite, nous habitions avec votre oncle Léon à Montrouge, où est né André. Vous ne vous en souvenez pas ?
— J'ai de vagues souvenirs de l'école, et de l'étang. Mais pas plus.
— C'est étonnant, car vous aviez quand même une douzaine d'années quand nous sommes partis. Bref, voilà mon amie Gabrielle, qui était la mère de l'ami d’Émile. Je me tournai vers Gabrielle. D'ailleurs, que devient François ?
—Il a suivi une formation de charpentier finalement, car les leçons de médecine de son père ne convenaient plus. Il n'aime pas trop, mais cela lui permet d'entretenir son épouse et leur petite fille.
— S'est t-il marié ?
— Oui, en fin d'année dernière. Il entretenait une relation amoureuse avec une jeune fille qui s'est retrouvée enceinte, et qu'il a été contraint d'épouser. Elle est très jeune, mais bon, pour l'instant, je trouve qu'ils ne s'en sortent pas si mal avec leur enfant.
— Quel âge a t-elle?
— Pierrette avait seize ans au mariage, et elle a dix-sept ans maintenant. François est à peine plus vieux, il s'est marié le mois de ses dix-huit ans.
Annotations
Versions