Chapitre 43B: juin 1794
—''Je n'y manquerai pas Louise. Au revoir.
—''Attendez. Ne voulez – vous pas dire au revoir à Gustavine?
—''Si... Où est t-elle ? Gustavine ! Cria – telle. Je m'en vais !
—''Elle doit être chez elle. Attendez ici.
Je montais à l'étage pour aller la chercher. Après avoir frappé, j'entrais dans son petit appartement en évitant de marcher sur la poupée de Jacqueline qui traînait par terre. Ma belle – fille s'occupait de Bernadette, assise sur un des deux fauteuils de son salon. Je m'adressais a elle.
—''Malou s'en va. Ne voulez – vous pas lui dire au revoir ?
—''Bien sûr que si. Se leva t 'elle. Ne devait – elle pas partir après – demain ?
—''Armand a pressé les choses. Dépêchez – vous, il l'attend en bas ! Je garde vos filles, je lui ait déjà fait mes adieux.
Gustavine se dépêchait de descendre. Elle revenait dix minutes plus tard, en se frottant les yeux.
— '' Ça va me faire une drôle d'impression de ne plus la voir. Elle va beaucoup me manquer.
Une page se tournait. Les enfants grandissaient et devenaient des adultes. C'était un peu triste parfois, mais la vie continuait malgré tout. De toute manière, elle devait continuer, pour les enfants qui étaient encore des enfants, les tout – petits de Gustavine, par exemple, ou mon fils de treize ans.
Les journées, je les passais désormais seule. En début d'année prochaine, André reviendrait, car il aurait atteint ses quatorze ans et la fin de ses études primaires. Il ne lui manquerait plus de savoir ce qu'il voudrait faire comme métier. J'avais terriblement hâte de le revoir.
Jacqueline avait quatre ans depuis le vingt – six juin et son anniversaire avait été gâché par une vilaine éruption cutanée sur les mains développée d'après le médecin par le contact avec les chevaux. C'était très étonnant car je crois qu'elle n'avait jamais touché un cheval de sa vie, bien qu'elle en croise dans les rues depuis toujours, comme n'importe qui sur cette terre normalement constitué. La petite fille se grattait tant que sa mère avait dû lui enfiler une paire de gants, pour lui éviter de se réveiller une nouvelle fois les mains en sang.
L'été passait ainsi, le matin vers neuf heures je me réveillais, puis je prenais mon déjeuner en humant l'air du soleil levant, avant d'aller me promener, flâner dans les rues, et rentrer pour prendre mon dîner avec ou sans ma belle – fille, cela dépendait. L'après – midi, je lisais ou j'allais me recueillir à l'église toute proche, prendre un temps à réfléchir à mes éventuels péchés et au sens de ma vie. Le soir, après le souper, nous jouions aux cartes ou à la belote dans la chambre, en surveillant de temps en temps le sommeil des deux petites qui avaient bien du mal à rester éveillées au delà de dix heures du soir.
Le seize août, Bernadette soufflait sa deuxième bougie légèrement aidée par sa sœur aînée qui voulait aller vite pour pouvoir manger le gâteau dégoulinant de caramel que sa mère avait cuisiné l'après – midi même. Les deux sœurs se disputaient souvent, mais derrière les apparences, elles étaient unies et complices. Jacqueline protégeait farouchement Bernadette qui pourtant, était douée d'un caractère plus fort. Si lorsqu'elle voulait quelque chose, Jacqueline demandait sans insister, Bernadette s'accrochait à la robe de sa mère en hurlant de désespoir, la figure rouge de pleurs et bavant abondamment. Cela ne fonctionnait jamais bien sûr, car Gustavine tenait la part d'autorité du père absent. La plupart du temps, Gustavine soulevait sa fille par les épaules pour la mettre au coin. Si la petite en venait à quitter le coin, sa mère la mettait quelques minutes sur le palier. Cela fonctionnait souvent car se sentant seule, elle finissait par se calmer, comprenant que plus personne ne s'intéressait à ses caprices. C'était cependant plutôt rare et Gustavine m'avait rapporté qu'un soir, alors qu'elle recevait des amis, ces derniers avaient comparé les petites filles à deux anges.
Septembre arrivait pour Malou, mais elle n'était plus là. Je me demandais bien comment s'était passé son voyage de noces dont elle devait être rentrée depuis quelques semaines. J'attendais de ses nouvelles avec impatience. Elle m'avait assuré qu'elle m'écrirait.
La lettre tant attendue arrivait seulement en novembre, et après avoir su le nom du destinataire, j'allais chercher Gustavine pour qu'elle la lise avec moi. Partiellement trempée d'eau, l'enveloppe était un peu déchirée, mais la lettre était quasiment intacte.
Ma chère tante,
Je vous écrit depuis la chambre que j'occupe avec Armand dans la maison qu'il a récemment achetée. Après notre départ de Paris en juin, nous sommes arrivés à la fin du mois chez mes beaux – parents, monsieur et madame Corcelles, car la maison n'était pas encore tout a fait meublée, et les peintures refaites. Ils habitent en périphérie de Bordeaux, dans la maison natale de mon mari. Nous y sommes restés jusqu'à début juillet, et cela fait maintenant presque quatre mois que nous avons emménagés dans la nouvelle maison. Ma déception fus immense lorsque Armand m'annonça que nous ne partirions pas en Corse, mais cela tient d'une ânerie de ma part. En effet, je me suis si vite retrouvée enceinte, que, surprise, j'ai pensé bon de l'annoncer dans la foulée à Armand. Malheur à moi, car maintenant, il préfère que je me repose, et bien qu'il me dise que nous pourrons partir en Corse après la naissance, je n'y croit pas, car une fois que le bébé sera là, je sais très bien que j'aurais d'autres choses à faire. Il a fait très chaud jusqu'à la fin du mois de septembre et le temps s'est radouci, sans descendre très bas dans les températures. Je dois accoucher au début du printemps prochain, mais je suis très inquiète de vivre cela aussi loin de vous, bien que ma belle – mère et mes trois belles – sœurs soient rassurantes et gentilles avec moi. J'espère que vous et Gustavine allez bien, je vous souhaite une bonne fin d'année.
Affectueusement, Malou.
Trop heureuses qu'elle attende un enfant, bien que tout ailles sans doute un peu trop vite, nous relisions mille fois la lettre avant de songer à lui répondre. Pendant la sieste de ses filles, Gustavine me dictait la lettre, pendant que j'écrivais soigneusement.
Nous reçûmes dans cette période là un faire part de naissance, que je lisais, avant de le renvoyer à Malou, qui paraissait d'avantage concernée. Son frère n'était pas au courant de son départ pour Bordeaux.
''Monsieur et madame Meursault vous annoncent la naissance de leur fils.
Rouen, le 1er octobre 1794.
Je trouvais cela frustrant car j'aurais aimé connaître le prénom de l'enfant. Soit, je les imaginais heureux avec ce nouveau petit – être à aimer, leur bébé que je l'espère, Dieu laisserait grandir.
Je passais le balai une après – midi lorsque ma belle – fille arrivait chez moi presque paniquée.
— '' Étienne ne paie plus. Étienne a arrêté de me verser l'argent !
Je m'approchais d'elle.
—''Attendez, venez vous asseoir. Que se passe t-il au juste ?
—''D'habitude, il me verse les sous à chaque fin de mois. Mais là, j'ai attendu jusqu'au début du mois de novembre l'argent d'octobre, qui n'est toujours pas arrivé. Je ne sais pas quoi faire Louise.
—''Où sont vos filles ?
—''En haut. Elles dorment.
—''Bon, si j'ai bien compris, le problème, c'est votre loyer. C'est ça ? Si vous voulez, je me serre la ceinture et je vous avance le mois.
—''Je ne pourrais jamais vous rembourser... Et puis, vous avez besoin de cet argent. Je pensais plutôt aller voir le notaire. Sans doute pourrait-il m'aider. Étienne est obligé de me verser les sous, de toute façon. Il est en faute.
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