Chapitre 45B: décès
André (25 février 1781 - 8 septembre 1796)
Le soir-même, André commença à se tordre de douleur au ventre. Il n'avait rien avalé depuis la veille au matin et il était dans un état d'extrême faiblesse. La nuit, il vomit deux fois et pour essayer de se soulager, il trouva la position recroquevillée, les jambes repliées contre lui, comme un fœtus. C'est ainsi qu'il passa la nuit, trempé de sa sueur et terriblement pâle, râlant d'angoisse et de douleur. Le lendemain matin, en plus de ne rien avaler, il commença à s'essouffler. Je le veillais jusqu'au soir.
—''Maman... J'peux plus... Suffoqua t-il sans que je ne puisse rien faire.
Je passais doucement ma main dans ses cheveux, et j’enfouissais mon visage dans son cou, pour sentir une dernière fois sa chaleur et la douceur de sa peau. Quand j'écoutais son cœur, il était si faible que je ne savait plus vraiment si il battait encore ou si je rêvais. Soudainement prise de sanglots convulsifs et d'une grande faiblesse, je m'effondrais au pied de son lit. Incapable de bouger, paralysée de douleur et de chagrin, j'entendais impuissante Jacqueline sortir. Je restais étendue ici, dans la chambre, ayant attrapé la main glacée de mon fils et la tenant fermement comme pour ne pas le laisser me quitter. Une porte s'ouvrait, des pas, et une voix d'homme se penchait sur moi. Il me tapotait la joue.
—''Madame ? Madame vous m'entendez ?
J'ouvrais les yeux, l'odeur de tabac de son haleine me faisait reprendre mes esprits. Il était barbu et il tenait quelque chose dans sa main. Je gémissais. Il me prit par les épaules pour m'allonger sur mon lit, me forçant à lâcher la main d'André. Je me débattais faiblement.
—''Laissez – moi mon fils... Laissez – moi…
—''Il est mort madame. On ne peut plus rien pour lui. Maintenant, laissez – moi vous aider.
Je finissais par me laisser allonger. On m'apportait un verre d'eau dont je ne buvais pas une goutte et je retombais dans mes larmes, qui me faisait hoqueter et qui s'infiltraient dans ma bouche et mon nez. J'entendais des pas sur le parquet mais je ne savais pas ce qu'il se passait réellement. Je n'en avais rien à faire de toute façon. Je ne pensais plus qu'à le rejoindre. L'homme revenait près de moi. Je fermais les yeux pour m'échapper de cet enfer, mais il me forçait à rester en me parlant.
—''Avez – vous de la famille par ici madame ? Ohé, vous m'entendez ?
Je me relevais pour prendre une gorgée d'eau, avant de tomber d'effroi en voyant pour la première fois le corps inerte de mon enfant. On avait croisé ses mains sur sa poitrine et ses yeux demeuraient clos, comme si il dormait. L'homme me secouait l'épaule doucement.
—''Alors ? Vous avez de la famille sur Paris ?
—''Non.
—''Et les deux gamines ? A qui sont t-elles ? Ce sont vos enfants ? Madame répondez, je vous en prie. je veux juste vous venir en aide.
Je fermais les yeux avant de retomber dans le sommeil. Je n'entendais plus rien. Plus rien n'avait d'importance à mes yeux. A mon réveil, mon fils était toujours allongé dans son lit près de moi mais il faisait demi-pénombre dans la chambre. J'avais soif. J'allais donc toute groggy me remplir un verre d'eau, sans même jeter un œil aux enfants assis sur le canapé.
Le soir venu, je préparais une soupe pour Jacqueline et Bernadette, mais je n'y touchais pas, manquant d'appétit. En la regardant manger, je l'interrogeais.
—''Qui était cet homme tout à l'heure?
—''Un voisin que je suis allé chercher car je croyais que vous étiez morte.
—''Oh... Est t-il rentré chez lui ?
—''Je crois que oui. Comme je ne savais pas mon nom de famille et l'endroit où maman travaille.
—''C'est déjà bien d'être allé le chercher. Vous ne mangez pas Bernadette ?
—''J'ai pas faim Louise. Ça me fait peur les morts.
Quelque peu étonnée de sa réflexion, et ne sachant trop comment réagir, je l'ignorais. Le soir, je lavais, et j'habillais André de son plus beau vêtement, avant de glisser mon chapelet entre ses mains froides. C'est avec mes larmes que j'écrivais la lettre à Léon – Paul. Il n'aura pas eu le temps de revoir son frère. Le soir, n'ayant pas envie d'attendre le lendemain pour me lever et tout simplement de les laisser dormir dans le salon, j'obligeais malgré elle Bernadette à dormir dans son lit. En la bordant, je n'avais qu'une chose à lui dire.
—''Si vous dormez, vous ne le verrez pas. Et puis regardez, on dirait qu'il dort.
Elle enfouissait sa tête dans son oreiller en prononçant des mots incompréhensibles. Je voulais attendre Léon – Paul pour enterrer André. Ça me paraissait la moindre des choses et puis surtout, je n'avais pas les moyens de financer seule les obsèques.
Le vendredi, je recevais par la Poste une lettre de ma nièce.
Louise,
Je vous informe que je ne pourrais pas venir vous rendre visite au mois d'août car je suis enceinte d'un deuxième enfant et Armand juge préférable que je reste ici pour me reposer et prendre soin de moi. Bernard a eu un an le sept avril et il marche seul depuis le mois de juin, nous sommes très fiers de ses progrès(…)
Je vous promet de monter sur Paris le plus tôt possible après la naissance du bébé.
Chaleureusement, Malou.
Que je déchirais aussitôt, folle de rage contre cette femme qui pourtant, ne devait son bonheur et son bon train de vie qu'à la chance. Sans que je puisse me l'avouer, je me savais jalouse.
André étant décédé le huit septembre, je restais la seule au courant du décès jusqu'au samedi soir suivant. Gustavine en arrivant, s’apercevait très vite qu'un drame avait eu lieu. Elle s’approcha.
—''Il s'est passé quelque chose de grave ? Dites – moi.
—''André est mort jeudi.
—''Seigneur...
Une larme qu'elle essuya de sa manche s'écoulait de chacun de ses yeux. J'essayais de la consoler.
—''Il faut rester forte. J'ai moi – même en ce moment horriblement mal.
—''C'était mon demi-frère...
Jacqueline, ne devant pas parvenir à s'endormir et ayant entendu sa mère rentrer, nous rejoignit sur le canapé. Elle posa sa tête contre l'épaule de sa mère, qui lui caressait doucement les joues.
—''Pourquoi pleures – tu maman ?
—''Parce – qu'André est mort.
—''C'est quoi un demi – frère maman ?
—''Tu écoutes aux portes toi ? Disons qu'on avait le même père mais pas la même mère. Sa maman c'était Louise.
—''Et son papa ?
—''Ton grand – père que tu n'as jamais connu. Bon, je t'accompagnes dormir. Je suppose que Bernadette dort ? Se levais t-elle
—''Oui, et André aussi. Il repose sur son lit. Ne soyez pas surprise.
Je craignais être obligée de le faire enterrer sans son frère aîné, si il n'arrivait pas avant une semaine, car le corps commencerait alors à sentir.
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