Chapitre 47D: novembre 1798
Grelottante, je rentrais juste après la sortie des décombres du premier corps, celui sans vie et meurtri d'un tout petit garçon. Léon – Paul reprenait ses patients l'après – midi même, en ayant soin d' expliquer a chacun qu'il n'y aurait plus de médecin au village à partir du vingt décembre, et en se prenant un coup de poing de la part d'un homme sollicitant des soins quotidiens plutôt mécontent.
Frottant douloureusement son œil au beurre noir, il s'asseyait en pestant dans le salon. Son épouse arriva peu de temps après, et s'exclama.
—''Oh mais que t-on t-ils fait ? Je reviens !
Elle courait chercher un petit sac qu'elle bourra de neige fraîche. Elle s'asseyait près de lui et elle lui appliquait sur la paupière violette. Moi aussi étonnée, je me demandais ce qu'il lui était arrivé. Il pestait.
—''On me reproche de vouloir quitter ce trou paumé dans lequel je suis enterré depuis huit ans et de vouloir élever mes enfants dans une grande ville où ils pourront faire des études !
Elle le regardait tendrement en continuant de lui tamponner l’œil.
—''Ne t'inquiète pas, personne ne critique ton choix. Même si c'est vrai que ces pauvres gens demeureront sans médecin.
—''Je ne vais quand même pas rester ici à contempler des paysans et leurs cochons alors qu'un bon poste et de belles opportunités de carrière m'attendent à Rouen ! Il y a huit ans, j'étais jeune, je voulais mon indépendance vis a vis de ma mère, lui montrer que je pouvais aller travailler loin d'elle, mais aujourd'hui, je suis marié et bientôt père de famille, et j'estime que tout ça n'est plus pour moi.
C'est ainsi que le vingt, après avoir passé la journée de la veille a réunir nos affaires et a ranger les malles, nous quittâmes La Houblonnière. Si seulement je n'avais pas oublié le tableau dans l'entrée, posé contre le vaisselier... Je devais vraiment être gourde pour réussir à oublier une œuvre aussi imposante. Un cheminement dans ma tête me poussait à réclamer auprès de mon fils de faire demi – tour. Il soupirait. J'embêtais tout le monde avec cette chose dont personne ne voulait, mais je promettais en riant à ma belle – fille de très vite aller le porter à Auguste, autant pour m'en débarrasser que trouver une excuse pour passer le voir. Il m'attendait. Je m'en emparais avant de parvenir à le faire rentrer par la portière de la voiture dans l'habitacle, si nous baissions tous la tête.
—''Rangez – le sur le toit. M'ordonnait mon fils agacé.
—''La peinture risque de couler avec l'humidité de l'air, et vous imaginez si il pleut...
—''Bon, nous n'allons tout de même pas arriver en retard à la remise des clefs pour une telle croûte, je vous dit de le ranger sur le toit.
—''Emballons – le alors.
—''Si vous voulez mais dépêchez. Nous avons six heures de route.
La domestique m'aida à défaire ma malle pour pouvoir emballer le tableau et le protéger d'une éventuelle pluie. Voyant que le temps passait et que nous avions du mal, mon fils m'aidait à le ranger sur le toit, avec les bagages. Enfin nous pûmes partir et quitter définitivement La Houblonnière. Après plusieurs arrêts dans différentes auberges, nous arrivâmes en début de soirée dans la cour de la bâtisse que venait d'acheter mon fils. C'était bien elle, je la reconnaissait. La maison des sœurs de Jean – Charles, où Jacqueline était née il y a huit ans. Quelle coïncidence folle ! Jamais je n'aurais pensé revenir un jour habiter ici.
Nous poussâmes la porte qui s'ouvrait sur notre nouveau chez – nous, qui sonnait plutôt comme une promesse tenue de retour pour moi. Ma belle – fille, la tête en l'air, contemplait le plafond du grand salon, où, attablé, Jean - Charles remuait ses clefs dans un bruit de cliquetis. Il se leva et serrait chaleureusement la main de Léon – Paul. Mal a l'aise, j'évitais son regard.
—''Je vous salut docteur Aubejoux.
—''Monsieur, je suis ravi de vous rencontrer.
—''Mon cher docteur, vous êtes accompagné d'une dame que je connaît.
Je rougissais, ayant un instant espéré qu'il m'aurait oublié. Mon fils s'asseyait près de lui.
—''J'ignorais bien que vous vous étiez déjà vu! Et, sans indiscrétion, puis – je savoir en quelles occasions?
Je me tournais vers lui.
—''Jean – Charles est le père de l'ancien mari de Gustavine. J'ai habité avec eux pendant quelques années, et notamment ici pendant trois ans jusqu'à leur déménagement au centre – ville. D'ailleurs, avez – vous des nouvelles de ma belle – fille ?
—''Des nouvelles d'elle? Oh non, mais je sais qu’Étienne est particulièrement soulagé qu'elle n'ait pas donné suite à ses accusations. Il aurait été dans une forte mauvaise passe... Une forte mauvaise passe je vous dit.
Pendant qu'ils continuaient de discuter, je rejoignais Marie à l'étage. Rien n'avait changé. Dans les chambres, les lits étaient faits, les volets fermés, les bougies éteintes sur les tables de chevet. Ma belle – fille était assise sur le grand lit de la troisième chambre, pensive. Je venais près d'elle.
—''Tout va bien ?
Elle avait l'air de subitement quitter ses rêves.
—''Oh oui, parfaitement. J'étais juste en train de m'imaginer avec le bébé, dans quelques mois.
La domestique monta ensuite les malles à l'étage, et elle changea tous les draps.
Léon – Paul nous rejoignit une heure plus tard, lorsque Jean – Charles quitta la maison après lui avoir donné les clefs. Il ordonna à Mariladom de ranger nos affaires dans nos chambres respectives, avant de nous emmener dans une en particulier. C'était sans aucun doute la plus spacieuse, où, près du grand lit, un beau berceau trônait. Je caressais ses rebords et le bois aussi lisse que neuf, c'était assurément celui de Jacqueline, qu'on avait pas pris la peine de déménager. Mon fils souriait en regardant sa femme.
—''C'est ici que nous coucherons, si cela ne te dérange pas. J'apprécie cette chambre en particulier. Elle dégage une âme particulière et beaucoup de vécu.
—''Je n'y voit aucun problème. Mais dit moi... Ne serais – ce pas plutôt par fainéantise de devoir aider la bonne à le déplacer ?
Elle s'appelait Marie, elle devait avoir environ mon âge, c'était une bonne comme on pouvait les aimer, qui s’exécutait sans jamais poser de questions et qui était suffisamment discrète pour servir sans nous importuner. Pour ne pas la confondre avec la femme de Léon – Paul lorsqu'on la demandait, nous l'appelions Mariladom. Mon fils avait décidé de lui réserver une des cinq chambres, tant que nous n'en aurions pas besoin, bien que son épouse trouve la petite pièce sous l'escalier suffisante pour y coucher une simple domestique. Le cocher quant à lui, partagerait non pas son lit mais sa chambre avec elle.
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