Chapitre XIV : Au fond du trou, Partie 2
Le problème avec les recrues surexcitées, c'est leur grande incapacité à réagir à une action imprévue. Durant leurs activités quotidiennes au repaire, ils vivent normalement, et c'est bien là où je me rends compte que leurs méfaits ne sont que des manifestations de leurs maladies d'âme. Ils n'ont rien de réels bandits. Ce sont juste des gens dont la folie se matérialise par la délinquance.
Quelle plaie. Depuis cet énorme bruit, tout le monde s'est agité et personne n'est venu me rendre compte de quoi que ce soit. À croire que personne n'en a rien à cirer de l'autorité. Une recrue faisait irruption dans mon office et s'inclinait face à moi, tremblant comme une feuille.
« Cheffe, nous sommes attaqués. Et ça craint, Cheffe. Criait-il en se remettant droit.
– Vous avez mis tout ce temps à venir m'en rendre compte ?!
– Cheffe, parfois des accidents domestiques liés à des explosifs se produisent, Cheffe !
– Et ce danger a-t-il pu être estimé en nombre ? Nos pertes aussi peut-être ? Marmonnais-je en écrasant mon regard sur la recrue.
– Cheffe, un intrus, Cheffe, mais nos pertes sont considérables, Cheffe. Je dirais même catastrophiques. Cheffe.
– Quoi ?! Je frappais mon bureau, renversant tout ce qui s’y trouvait. Je me levais de mon fauteuil et fronçais les sourcils. Vous êtes en train de me dire que plusieurs unités armées contre un seul intrus n'ont rien pu faire !?
– Cheffe, nous n'avons aucune nouvelle de dix de nos escouades, Cheffe. Rampait-il.
– Comment ?! Soixante unités, un seul intrus. Il est mort j'espère ! Et cette histoire d'explosifs, qu'est-ce que c'est que ça, encore ?
– Cheffe, quand j'ai entendu le cri d'alerte pour l'intrus, une explosion a eu lieu, et dans mon absolue lâcheté j'ai couru au plus vite vers ici. Cheffe. Les flammes m'auraient aussi consumé, Cheffe.
– Des flammes ?! Je ne comprends pas ! De quoi parlez-vous, bordel ?! J'enjambais mon bureau vide et m'avançais d'un pas lourd en direction de l'homme désemparé, le faisant trembler davantage.
– Cheffe, je dirais que tout le premier étage a été inondé par les flammes. Cheffe. Que tout le monde est mort, Cheffe.
– IMPOSSIBLE. J'hurlais désormais, bousculais le soldat prosterné et sortais de la tente-office pour me faire entendre dans cette caverne. QUE L'ON ME CONSTITUE UNE ESCORTE DE SEPT UNITÉS D'ÉLITE ET QUE L'ON PRÉPARE DES COHORTES ORGANISÉES POUR DÉFENDRE NOTRE POSITION ! »
Tout le petit monde qui était à portée de mon hurlement, venait d'emboîter le pas d'une manière plus synchronisée que la pagaille qui régnait alors. La crainte permet toujours de calmer les faibles. Je me dirigeais à présent dans ma tente personnelle. Je récupérais mes tromblons ainsi que ma sacoche de boules de plomb et mes flasques de poudre. J'étais prête à en découdre, il y allait avoir du sang sur les murs. Aussitôt équipée je ressortais et découvrais sept recrues au garde à vous, face à moi. Nous nous mettions en marche vers l'étage supérieur du repaire.
Cette planque sur deux niveaux nous permettait au moins de bien nous réorganiser. Sa longueur, et son étroitesse ne permettaient cependant pas la facile circulation des deux cent âmes ici présentes. Cependant, nos drapés noirs nous donnaient l'avantage de jouer de l'obscurité ambiante du lieu. Peu importe qui avait fait ça, j'étais confiante quant à notre réussite. Les escouades restantes allaient pouvoir préparer de belles embus...
Un cri émanant de nos rangs parvint jusqu’ici : "LUMIÈRE À L'HORIZON". S’en suivit une vague de bruits tantôt stridents, tantôt sourds, ponctuée de hurlements. En fait, je commençais à moi-même céder un peu à la panique, ne comprenant rien à la situation. C'est à ce moment-là qu'elle apparut face à nous. Je dépassai notre formation en pointe, pour avoir un champ de vision dégagé.
« Je t'ai retrouvée. Résonna une voix de femme claire, mais furieuse, depuis l’obscurité de la grotte. »
À cause de l'obscurité de la caverne, je distinguais mal la silhouette exacte de la personne. Seule la lame de son arme reflétait le pâle éclat rouge des faibles torches qui garnissaient les parois de la grotte. Je dégainais mes deux tromblons. Sans plus attendre, je décochai un tir dans sa direction. Cependant je ne pus constater en réaction qu'un éclair argenté suivi de quelques étincelles, elle venait de trancher la boule de plomb ? Impossible...
L’intruse se mit à sprinter et fonça droit sur moi, comme une ombre parsemée d’or, elle me sauta par-dessus au dernier instant, je tentai de tirer dans la trajectoire de son acrobatie, mais la ratai. Elle avait bondi bien trop vite et son vêtement sombre couvrait l'amplitude de ses mouvements. J’exécutai une roulade en avant pour ne pas rester à portée de son épée. Je me relevai et m'accroupis derrière une aspérité de la grotte afin de recharger mes armes. Je scrutai en sa direction. Elle ne s'était pas retournée, elle avait foncé sur mes gardes.
Cela fut si bref que son assaut me figea sur place, incapable de me servir de mes dix doigts. Sa lame alla se planter dans le crâne de deux de mes hommes simultanément, elle les acheva d'un mouvement de poignet, laissant les têtes mâchées par l'arme choir sur le sol. Elle fonça sur le suivant, le saisit, tourna sur elle-même et le jeta en direction de deux autres. Les trois pris au dépourvu n'eurent aucune chance, d'un geste, un large éclair lumineux en oblique laissa leurs corps scindés en deux, s'effondrer dans une mare de sang.
Sa frénésie ne cessa pas, elle fit face à l’avant-dernier de mes soldats, ayant lui eu le temps de sortir son cimeterre, elle le désarma en lui tranchant le bras puis l'éventra. Laissant l'instrument de mort en lui, elle se précipita sur le dernier membre de mon escorte, le percuta simplement avec une violence inouïe, le renversa, puis le roua d'un déluge de coups de poing. Laissant mon ultime gardien brisé, agonisant sur la pierre humide, de cette grotte qui allait devenir notre tombeau à tous.
En un instant, mon escouade fut anéantie, et alors que je tremblais comme une feuille et n'avais pas même eu le temps de mettre la poudre à canon dans mon arme, ni même de réagir, une incroyable pression sur ma gorge était en train de m'étouffer et de me soulever du sol. J'essayais de me débattre, mais cette poigne demeurait trop forte. J'apercevais son visage, ses yeux blancs plein de rage, puis sa chevelure mauve. Si je n’avais pas réellement pris le temps de l’inspecter, je réussissais néanmoins à l’identifier… C'était la gamine que nous avions ligotée l'autre jour avec le nain ailé, celle qui était accompagnée de l'autre assoiffée de sang.
« Impo...ssible. Avais-je du mal à prononcer.
– Rien n'est impossible. La preuve en est faite. »
Elle m'amenait à la rencontre du mur caverneux et sans me lâcher m’assénait un coup de crâne. Ma tête fut prise en étau entre la sienne et la paroi rocheuse. Je tombais sur les genoux, et fondais en larme, convulsant de douleur. J'essayais de respirer, crachais une gorgée de sang. Tout était confus, qu'est ce qui se passait ?
Un violent impact de genou m'extirpa de mes songes. Je n'entendais presque plus rien, si ce n'était le battement apeuré de mon cœur. Ma tête était maintenant comme parasitée d'un sifflement horrible, elle me scrutait tandis que je rampais à ses pieds. Mon regard rivé au niveau de ses jambes me laissait entrevoir le détail de son habit. En doré était cousu "Irasandre".
« Ce... n'est pas possible... Tu ne peux pas êt... Mais... Mais dans ce cas-là Pour... Pourquoi me faire ça ? Ma voix était trop faible. »
Elle s'éloignait de moi, délogeait son épée qui était encore figée dans le corps inerte de mon soldat, laissant toutes les tripes retenues par le bout de ferraille couler par terre. Elle revenait vers moi.
« Pas de pitié, pour les rats de ton espèce. Crachait-elle. Tandis qu'une seconde voix me parvenait aux oreilles.
– Evi', attends ! »
Son bras armé se dressait face à moi, et retombait en direction de mon crâne.
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