Chapitre XXIV : L'éveil d'une tenace aversion, Partie 1
Si Hérylisandre avait brillé durant son adolescence par son ingéniosité quant aux diverses résolutions de litiges auxquelles elle avait été confrontées, ce n'était rien comparé à ce qu'elle accomplit par la suite.
La jeune femme était devenue une oratrice de renom : elle savait comment délier les esprits, les langues et les cœurs. Son premier talent était de trouver les mots adaptés à toute situation, elle pressentait les formules magiques qui pouvaient apaiser la rage interne de quiconque, au détour de seulement quelques échanges verbaux.
Elle prit conscience qu'elle possédait la capacité de sonder les songes de ses interlocuteurs, et cela devint un pouvoir qu'elle développa, peut-être trop rapidement. Ce dernier lui permit de comprendre ce qui motivait les agitateurs et les profiteurs, à toujours agir de façon à briser l'équité et l'égalité qui auraient dû normalement déterminer les actes de tous les Mithreïlidiens. Elle se garda bien de maintenir secret cette incroyable force silencieuse.
Cependant, plus les cycles se succédaient, plus elle se retrouvait face à une constation inéluctable : le Continent était en proie à une injustice croissante, et les puissants du Continent ne cherchaient plus qu'à étendre leur domination, même si cela entendait affamer leurs sujets ou les asservir. Les jugements qu'elle apposait afin de résoudre les troubles de cet équilibre social, qui pourtant, lui semblait nécessaire à l'harmonie entre les habitants du continent, devenaient de plus en plus prompts à être prononcés.
La puissance télépathique qu'elle possédait, lui procurait la capacité de savoir immédiatement si la personne qu'elle interrogeait, était rongée par l'abus et la corruption. Là où le Mal était, elle le débusquait et réduisait en cendres les sombres desseins de tous ceux qui avaient engendré la peine et la famine.
Ce don s'avérait être aussi une tare, car la jeune femme était assaillie par les songes de tous ceux dont elle croisait le regard. Rapidement, les cheveux sombres qui ornaient le visage cristallin et nacré de la justicière, se teintèrent de mèches aussi pâles que ses yeux. Hérylisandre se voyait affligée par la noirceur et la méfiance qui semblaient voiler l'inconscient de toutes les personnes qui venaient à s'approcher d'elle.
Tant les critiques muettes ou les peurs enfouies au fin fond de chacun la traumatisaient un peu plus chaque jour, l'héritière des Sandre sombrait intérieurement dans un abysse, force était pour elle de constater que ses efforts pour rendre Mithreïlid meilleur, ne semblaient pas avoir l'effet escompté. Peut-être prenait-elle cette quête d'équité trop à cœur, peut-être imaginait-elle débarrasser le monde de la noirceur à tout jamais. Son innocence s'évanouissait, remplacée par une fatalité démesurée.
Ses croisades pour la Justice durent prendre fin, le temps qu'elle apprenne à maîtriser son pouvoir et son utilisation. Elle put donc rejoindre Urghal, et l'épousa peu de temps après, acclamée par la foule en liesse de son bourg-domaine natal. Cependant, même cette joie d'apparence universelle, ne servait qu'à cacher les remarques désobligeantes de tous ceux avec qui elle avait grandi, y compris ses propres parents.
Cela lui brisa le cœur, aussi, feigna-t-elle de vouloir s'isoler de la cohue et tous deux retournèrent sans attendre dans la bourgade où son mari était chef du village. Lui seul ne lui témoignait pas la moindre pensée négative, bien au contraire. Hérylisandre pouvait aisni passer des heures à travailler le fer avec lui, en se contentant de suivre le fil des pensées du forgeron, qui l'idolâtrait sans retenue. Elle continua de garder secret son don, même pour son bien-aimé.
Follement épris l'un pour l'autre, ils essayèrent alors de concevoir un bambin, qui aurait fait leur plus grand bonheur par la suite. Cependant, malgré de nombreux essais et toujours le même désir ardent de porter un enfant en son sein, dix cycles s'écoulèrent, sans que jamais, au grand jamais, Hérylisandre ne tombe enceinte. Outre cette incapacité qui l'accablait d'une tristesse inéxorable, rapidement, les songes de son homme commencèrent à se voiler, lui-même affligé de ne pouvoir avoir de descendant.
La jeune femme le savait, cette pensée le terrifiait, l'angoissait et lui insufflait parfois l'impression de ne pas avoir épousé la bonne personne. Parfois, ce dernier balayait cette idée, en se rappelant quelle femme extraordinaire elle était. Mais plus le temps passait, plus l'horloge biologique du forgeron tournait et plus l'obscurité s'emparait de son âme.
Hérylisandre, qui n'avait jamais eu de cesse d'observer le monde avec un regard dépouvu de haine, et qui avait toujours combattu le Mal, devenait une victime de l'injustice farouche. L'espadon sombre, dont elle ne s'était plus jamais séparée, avait cessé de la tourmenter, jusqu'à ce qu'un beau jour, l'arme se décida à communiquer à nouveau avec la jeune femme.
La lame la consolait, et tentait de lui faire comprendre qu'elle n'avait pas besoin d'endurer la cruauté de tous ceux qu'elle aimait et respectait sans condition. Les songes embrumés, Hérylisandre partait souvent dans la montagne, objet de sa rencontre avec Urghal, afin de pouvoir converser avec l'immense épée. Elle pensait avoir trouvé une alliée qui la comprenait complètement, une partenaire qui savait quel fardeau l'accablait, et quels tourments l'attendaient si elle ne se débarassait pas du poids de la culpabilité.
L'acier obscur se rendait indispensable à Hérylisandre, au point qu'elle ne pouvait désormais plus dormir si l'arme n'était pas dans la chambre. Cette chimère inquiétait Urghal au plus point, il finit même par se demander si sa femme n'était pas en train de perdre la tête. Cette reproche qui ne fut pourtant pas prononcée et qui ne trouva place qu'en l'esprit de son bien-aimé, la conforta de le fuir à son tour.
La jeune femme, partit donc en pleine nuit, quittant le foyer qu'elle avait tant aimé, fuyant l'homme qu'elle avait tant désiré. Elle se mit en route, drapée d'une long chaperon, couvrant ses yeux et masquant sa silhouette, transportant sur son dos l'espadon qui lui semblait désormais aussi léger qu'une plume.
Décidée à savoir si tout Mithreïlid était corrompu, elle se décida de se rendre en son cœur, à Bourg-en-Or. Elle célèbra seule, accompagnée de son arme, son vingt-cinquième cycle, à l'orée d'un bois. Perdant son regard dans le ciel étoilé, elle se demandait s'il y avait, quelque part là-haut, une place pour les personnes aussi tristes qu'elle, un refuge pour toutes les âmes en peine, égarées. Elle n'eut pour réponse qu'une vocifération de sa lame, lui affirmant que la Mort s'emparait de tout ce que l'on possédait, et qu'il n'y avait pas de havre de paix, ni dans le ciel, ni sous la terre.
C'est l'âme éreintée qu'elle arriva le lendemain, après une semaine de marche, sous les lueurs d'un soleil orange, face aux portes de la cité commerçante. Les habitants de la magnifique bourgade chantaient les louanges de leur héroïne locale. Quelques bribes de pensée lui permirent de comprendre que la femme en question, avait occit, seule, un Dragon, le jour-même. Elle constata avec surprise que les songes des locaux n'étaient que miel et enthousiasme ; la sécurité, la prospérité et l'allégresse inondaient et animaient les rues et ruelles de Bourg-en-Or.
En sondant les dires muets de la population, elle estima rapidement que Teïnelyore devait être ce genre de petit soldat parfait, celui qui lutte par devoir, qui répond aveuglément aux ordres, qui pourrait très bien retourner sa veste si l'on lui proposait une coquette somme d'argent pour trahir la confiance qu'en lui porte, qui pourrait même mourir si on le lui ordonnait.
Elle se ressassait alors tous les serments inviolables qu'elle s'était faite à elle-même, ce désir d'apporter une justice sans faille à Mithreïlid. Hérylisandre maugréait quant à cette pseudo-héroïne, que l'on acclamait, de vive-voix ou dans les pensées. Elle se disait une fois de plus que la vie était injuste, que les regards du peuple se tournaient toujours dans la mauvaise direction, qu'il n'y en avait toujours que pour les pourris.
L'espadon appuyait son avis, lui susurrant qu'elle avait raison de penser cela, qu'elle n'était pas assez bien reconnue pour tout ce qu'elle avait fait et accompli pour aider les pauvres gens. Cela l'énervait au plus haut point.
Fulminant, Hérylisandre se frayait tant bien que mal un chemin parmi la foule compacte et sautant dans tous les sens. Afin de limiter les flux d'informations qu'elle recevait par la télépathie, elle recouvrait ses yeux par sa capuche, et marchait désormais en regardant ses pieds. L'étrangère ne levait la tête que pour s'assurer de ne pas heurter qui que ce soit.
Elle fuyait les allées principales pavées afin de s'enfoncer dans des artères plus calmes. Elle n'avait pas pu profiter d'un bon repas complet et d'un lit confortable depuis plusieurs jours, aussi se décida-t-elle à pénètrer dans l'enceinte d'une auberge peu peuplée.
Elle jetait un coup d'œil à droite, quelques aventuriers semblaient calmement se restaurer, puis à gauche, une drôle de femme à l'apparence féline roupillait sur une banquette, sa queue se balançant de bas en haut et se recourbant par spasmes. Elle ne manqua pas dans son innatention d'heurter une pièce en acier.
Lorsqu'elle se focalisa sur l'obstacle qu'elle venait de rencontrer, elle tombait nez-à-nez avec une épaisse tignasse mauve, en partie retenue par un chignon maintenu à l'aide de deux baguettes en bois surmontées de rubis, le reste des pointes chevelues couraient anarchiquement le long du dos de celle qu'elle avait percutée. Le choc métallique avait été provoqué par d'imposantes spallières en acier, retenant une longue cape écarlate usée. Elle s'attendait alors à voir se retourner un homme aux attributs physiques peu courants...
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